lundi 18 février 2019

"Chien-loup"

J'ai déjà signalé le roman de Serge Joncour, "Chien-loup", adopté par Mylène comme coup de cœur dans l'atelier lectures de février. J'ai donc voulu plonger dans l'univers de cet écrivain. Dès les premières pages, la magie opère et les heures de lecture forment une bulle temporelle à deux temps. Les chapitres se succèdent sur deux époques : la Première Guerre Mondiale et la France de 2017.  Franck et Lise, parisiens fatigués, partent en vacances pour trois semaines et choisissent une maison ancienne en plein Quercy, entourée d'hectares inhabités, dans un cadre bucolique.  Cette mise au vert enchante Lise mais effraye Franck, addict à son smartphone qui ne capte plus la Wi-Fi. Il travaille dans le milieu du cinéma comme producteur et commence à ressentir un certain malaise pour sa carrière finissante. Lise, comédienne, ne reçoit plus d'appels pour jouer des rôles. Leur maison de campagne a abrité, durant la Première Guerre Mondiale, un dompteur allemand et ses fauves. Il les cache pour leur épargner un massacre certain. Cet Allemand fuit la guerre et vit isolé. Les villageois se méfient de cet ennemi avec ses lions qui pourraient quitter la colline et envahir le village. Le couple apprivoise leur maison et les environs. Lise s'adapte parfaitement au silence, à la solitude et se voue à la peinture. Franck lui reproche cette sérénité alors qu'il descend au village pour capter ses messages et ses méls tellement il est en manque du Net. Un évènement va colmater son angoisse par la présence d'un chien-loup, à demi-sauvage. Le citadin commence alors sa mutation : il oublie peu à peu la civilisation moderne en apprivoisant le chien-loup. Leur complicité se manifeste dans les longues randonnées. Il découvre en pleine forêt une grande cage abandonnée. Le lien passé-présent surgit dans le récit et Franck se demande à quoi servait ce piège. En fait, le dompteur piégeait du gros gibier pour nourrir ses bêtes. Les villageois avaient peur que les lions dévorent leurs brebis cachées dans la montagne. En 1915, la peur en fait règne partout : peur de la guerre, des lions, de la nature sauvage. En 2017, la peur a changé de nature mais elle est bien là : Franck craint ses deux jeunes collègues qui admirent les dévoreurs du net, les GAFA, qui mettent en péril sa carrière professionnelle. Le chien-loup va apprendre à Franck qu'il faut se défendre des prédateurs. Je ne vais pas raconter tous les détails romanesques de ce roman-conte fabuleux, composé comme une symphonie de couleurs, de sons, d'odeurs à la manière d'un Giono. Sylvain Tesson a salué le livre de Serge Joncour, la comparant à une fable écolo-philosophique lucide : "Il n'est pas de paix possible en ce monde, pas de vie paisible". Un des plus beaux romans de la rentrée sur la relation aux animaux, à la nature et à la liberté. A lire sans tarder.