mercredi 29 mars 2023

"Monsieur Proust", Céleste Albaret

J'ai reçu un beau cadeau pour mon anniversaire en février, un "Monsieur Proust", d'après les souvenirs de Céleste Albaret, recueillis par Georges Belmont en 1973 et publié chez Seghers en 2022. L'originalité du livre réside dans son graphisme particulièrement réussi. Illustré par Stéphane Manel, adapté par Corinne Maier, cet ouvrage raconte la cohabitation singulière et bien heureuse entre un illustre écrivain et une employée de maison, issue de la province. Entre cet homme souffreteux, obsédé par son œuvre et cette femme du peuple peu éduquée, un lien affectif prend naissance pendant les dix ans de dévouement de Céleste. Arrivée au service du "Maître" en 1913, par l'intermédiaire de son mari, Odilon, son chauffeur. La gouvernante s'adapte parfaitement aux horaires décalés de l'écrivain. Il est calfeutré dans sa chambre dont les murs sont couverts de liège car il craint le bruit et les odeurs à cause de son asthme. Ce témoignage est passionnant pour tous les amoureux et amoureuses de Proust. Céleste Albaret raconte, avec son langage simple, la vie quotidienne dans l'appartement haussmannien entre sa cuisine et la chambre de Proust. Une vie quotidienne organisée selon les souhaits du maître : le rite matinal du café-croissant, les repas du traiteur à des heures fantaisistes, les fumigations, le ménage maniaque de la chambre, les draps changés tous les jours. Marcel Proust n'exigeait aucun caprice culinaire : "Il pouvait résister et travailler, malade comme il l'était, et sans prendre une ombre de nourriture". Mais, Céleste n'a pas seulement joué le rôle de femme de chambre, de cuisinière et de femme de ménage. Elle participe aussi à l'élaboration de "La Recherche" en collant des ajouts sur les fameux "béquets" et prenant aussi des notes sous la dictée du Maître. Secrétaire idéale, elle reçoit Gaston Gallimard, gère le courrier et les visites. Ces souvenirs précis et concrets sur la vie quotidienne de Marcel Proust sont précieux pour une histoire intimiste de la littérature française. Ce géant des lettres se comportait aussi comme un gentleman. Céleste insiste sur sa politesse exquise, sur sa générosité et sur sa gentillesse : "Et puis cette élégance magnifique et cette façon curieuse, cette espèce de retenue que j'ai remarquée ensuite chez beaucoup d'asthmatiques, comme pour économiser leurs forces et leur souffle". Leur complicité s'est maintenue tout au long de ces années sans un nuage entre eux. Céleste Albaret a été filmée par Roger Stéphane dans un documentaire sur l'écrivain en 1962. Elle a déclaré plus tard : "J'ai vécu avec cet homme avec une intensité de plaisir, de joie, de son charme, de sa conversation, de l'homme extraordinaire qu'il était : il a rempli ma vie". Un ouvrage indispensable pour connaître l'écrivain dans l'élaboration de son œuvre. 

mardi 28 mars 2023

Rubrique Cinéma, "Les Chemins noirs"

 J'avais bien aimé l'ouvrage de Sylvain Tesson, "Les chemins noirs" et je voulais voir son adaptation au cinéma par le réalisateur Denis Imbert. En 2014, l'écrivain aventurier chute de huit mètres car il était adepte de ce sport acrobatique qui consiste à escalader les façades d'immeubles, les monuments et autres édifices urbains. Il sera hospitalisé pendant de longs mois pour retrouver la forme physique. Le film raconte cette rédemption car l'écrivain (interprété par Jean Dujardin) se lance le défi de traverser à pieds la "diagonale du vide", du Mercantour en passant par le Cantal jusqu'à La Hague, soit plus de mille kilomètres. Le personnage incarne l'écrivain, amoureux absolu de sa liberté. Il entreprend son solitaire "chemin de croix" dans les paysages sublimes d'une France sauvage et abandonnée. Quand le marcheur est en butte aux difficultés pour grimper, des tranches de vie surgissent pour relater le passé de l'écrivain : son alcoolisme, son goût de la fête, sa liaison amoureuse avec une femme qui le quittera. Pendant son périple, il rencontre un jeune homme, Dylan, à qui il conseille de lire Thoreau. Il retrouve un ami qui l'accompagne pendant quelques jours et sa sœur le rejoint aussi pour évoquer leur mère disparue. Et ces coins de France qu'il traverse ? C'est une France non urbaine, non métropolitaine où l'on respire mieux mais on l'on vit au ralenti. Il constate la disparition des paysans, l'effondrement économique des petits commerces dans les villages. Mais ces rencontres sociologiques sont assez sobres et courtes comme des esquisses de critiques. L'important du film réside dans la reconstruction physique d'un homme blessé et de sa volonté farouche de s'en sortir. La marche est une vraie thérapie pour Sylvain Tesson, l'homme de la géographie comme il se définit. Dans un passage du film, il rappelle son credo : "prendre l'air" dans des paysages de montagnes. Cet écrivain déteste la politique, la modernisation effrénée, la course au progrès. Des critiques ont dédaigné ce film pour les idées "réacs" de Sylvain Tesson. Mais, pour apprécier cet écrivain de "plein air", il vaut mieux lire ses livres plus intéressants que voir ce film qui manque de rythme et de profondeur.  Les randonneurs et randonneuses apprécieront certainement cet éloge de la marche vive et vitale pour le corps et pour l'esprit... C'est déjà pas mal !

lundi 27 mars 2023

La retraite philosophique

 Le numéro de mars de Philosophie Magazine épouse complétement l'actualité : "Est-ce qu'on travaille trop ? Réforme des retraites, grande démission, lassitude". Depuis plusieurs semaines, la réforme des retraites rythme la vie quotidienne du pays. Manifestations massives et paisibles de la part des syndicats (vérifiées à Chambéry où j'ai croisé des grévistes la rage au cœur), blocages divers, trains annulés, services publics fermés, tous ces mouvements contre la réforme n'aboutissent à rien sauf à une colère et à un dépit qui auront un jour des conséquences politiques imprévisibles. Et quand des bandes de délinquants mettent le feu aux poubelles dans les rues de Paris, l'atmosphère sociale devient irrespirable. Pourquoi notre président n'a-t-il pas lu la revue de mars sur le travail ? Il aurait compris le malaise des actifs surtout après la crise du Covid. Et oui, les Français et les Françaises travaillent moins que leurs collègues européens. Et oui, il y aura des milliards de déficit et les gouvernants ne veulent pas augmenter les cotisations, ni les impôts. Cette réforme problématique économique crispe les actifs car pour ceux et pour celles qui devaient partir à 62 ans, on leur dit brutalement : "Allez, faites un petit effort de 24 mois, ce n'est pas grand chose !". Les règles changent trop vite alors que la majorité du peuple rejette cet effort injuste. Dans un article signé de Cédric Enjalbert, un sentiment d'injustice domine chez les protestataires et "ébranle aussi un imaginaire, renvoyant à la promesse d'un "après" , libéré des contraintes de la vie professionnelle, pas nécessairement contemplatif d'ailleurs". Le monde du travail se complexifie aussi et on parle de "démission volontaire" et d'épuisement professionnel. Le dossier sur le travail est particulièrement passionnant à lire. Notre Jean-Jacques Rousseau a même dit : "C'est pour parvenir au repos que chacun travaille : c'est encore la paresse qui nous rend laborieux". Avant d'imposer par le haut cette décision présidentielle, un chantier sur le travail aurait permis de dégager des compromis souhaitables. Dommage ! Dans la revue, on trouve aussi un test sur le profil de travailleur, une réflexion de Denis Maillard, un philosophe spécialiste de la question qui cite Voltaire : "J'ai toujours envisagé la retraite comme le port où il faut se réfugier après les orages de la vie". La revue aussi propose cinq réformes nouvelles sur la retraite, etc. Pour éclairer une actualité brûlante, il est bon de lire des analyses approfondies, des points de vue originaux et de retrouver la pensée des philosophes sur le thème du travail. La lecture d'articles donne du recul, de la distance. Ah, si Monsieur M. avait lu la revue !

vendredi 24 mars 2023

"Franz Kafka ne veut pas mourir", Laurent Seksik

 Laurent Seksik aime les écrivains et la littérature. Ces romans qualifiés d'exofiction parlent de Stefan Zweig ("Les derniers jours de Stefan Zweig), de Romain Gary ("Romain Gary s'en va-t-en guerre"). Cette année, il a choisi un troisième grand du début XXe : Franz Kafka, "Franz Kafka ne veut pas mourir", publié chez Gallimard. L'écrivain cite Walter Benjamin : "On pourrait faire de Kafka une légende". L'écrivain pragois de culture allemande a fasciné le monde littéraire avec sa décision finale : il voulait que tous ces manuscrits et ses écrits soient brûlés par son ami Max Brod. Ce testament heureusement n'a pas été respecté par cet amoureux de la littérature. Laurent Seksik s'empare du destin tragique de Kafka (1883-1924) mort de la tuberculose à l'âge de 41 ans. Les premières pages médicales évoquent les derniers moments de l'écrivain entouré de son ami, Robert Klopstock, de sa femme, Dora Diamant. Sa sœur, Ottla, est aussi présente bien que restée à Prague. Le roman suit les trois personnages clés de la vie de Kafka et mêle leurs destins. Robert, jeune étudiant en médecine, rencontre l'écrivain dans un sanatorium où il soigne sa tuberculose. Comme il voue un culte à la littérature, il prend soin de Kafka et devient son ami. Il sera le témoin de son agonie, une agonie atroce. Au fil des chapitres, ce héros deviendra un grand chirurgien, spécialiste de la tuberculose en Amérique. Dora est sa dernière compagne, la seule avec laquelle il aura réussi à partager sa vie à Berlin. Elle va se réfugier à Moscou car elle croit à l'utopie communiste mais quittera ce pays pour avoir subi elle-même la terreur stalinienne. Ottla, la sœur bien aimée, représente la famille avec un père autoritaire qui n'a jamais compris son fils. Elle sera déportée et périra dans un camp de concentration. L'écrivain évoque l'antisémitisme de l'époque, les pogroms et les déportations et tous ces évènements tragiques semblent prédits par l'immense génie de Franz Kafka. Les trois personnages (l'ami, la sœur et la compagne) témoignent de leur relation intime avec l'écrivain pragois et donnent au texte un côté très intimiste pour mieux appréhender la vérité historique à travers leur vie quotidienne.  "Kafka ne veut pas mourir", ce titre résume bien ce roman biographique, littéraire et politique autour de l'écrivain, vaincu par la maladie. Ses œuvres ont été sauvées et nous pouvons les lire pour comprendre les plaies béantes de l'antisémitisme toujours actif, du fanatisme politique et de l'absurdité bureaucratique. Ce roman "vrai" m'a vraiment donné envie de relire 'Le Procès", "Le Château" et "La métamorphose" et surtout son "Journal" avec un regard nouveau. 

mardi 21 mars 2023

"La nuit des pères", Gabrielle Josse

 Gaëlle Josse vient de publier "La nuit des pères" aux Editions Noir sur Blanc. Ces précédents romans dont "Les heures silencieuses", "Le dernier gardien d'Ellis Island", "Une femme en contre-jour" ont rencontré un grand succès d'estime même si cette écrivaine d'une discrétion exemplaire n'apparait jamais dans les médias. La narratrice, Isabelle, revient dans sa Savoie natale pour retrouver son père, un père avec lequel elle n'entretient plus de relation depuis quelques années. Son frère Olivier, resté sur place, l'appelle au téléphone pour lui dévoiler qu'il souffre de la maladie d'Alzheimer dans tous ces débuts. Avant que l'oubli ne submerge ce père souffrant, Isabelle veut comprendre cet homme si peu aimant. Il était guide de montagne dans le village alpin. Mais, cet homme aussi terrorisait les siens et se refusait à toute tendresse. Le passé revient en boucle dans ce roman intimiste. Isabelle se souvient d'anecdotes déchirantes sur son comportement brutal et cynique. Sa mère colmatait les incidents familiaux avec une patience d'ange. La narratrice évoque une enfance triste et sombre quand la petite fille entendait les cris de son père dans la nuit. Qui était donc cet homme tyrannique et silencieux ? Dans ce huis clos, deux autres hommes apportent une note bien plus heureuse dans la vie d'Isabelle : le frère Olivier, kinésithérapeute, un soignant généreux, prenant toute la charge de son père et son ex-compagnon, vidéaste comme elle, disparu dans un accident de plongée sous-marine alors qu'il filmait un reportage sur les fonds marins. Pendant le séjour de sa fille, le père se met à parler avant de sombrer dans un silence irrémédiable. Il est devenu un homme souffrant, hurlant la nuit dans des cauchemars récurrents car il avait vécu une expérience horrible pendant la Guerre d'Algérie. A cette époque, on ne parlait pas de post-traumatisme. Ce poison de la guerre l'a empêché de vivre sa vie de mari et de père. Isabelle comprend alors l'attitude de ce père tant détesté et ce secret enfin révélé l'apaise. Gaëlle Josse évoque dans un article du Monde une part autobiographique dans ce roman poignant : "Le silence honteux qui entoure les guerres coloniales a laissé de traces. J'appartiens à une génération où la règle était le silence sur les histoires familiales. On se retrouve héritier d'une histoire qu'on ne connaît pas". Ce beau roman d'une sensibilité maîtrisée présente une histoire familiale bien plus complexe qu'en apparence avec un père solide mais vulnérable et une fille aimante mais impatiente. Gaëlle Josse écrit : "Nous le savons que, chaque matin, il faut se rassembler, se lever, se mettre en marche, quoi qu'il en coûte. Que la douleur est un archipel dont on n'a jamais fini d'explorer les passes et les courants. Qu'il est inépuisable. Lente, féroce et patiente comme un fauve". 

lundi 20 mars 2023

"Sisyphe est une femme, la marche du cavalier", Geneviève Brisac

Geneviève Brisac a écrit en 2019, chez l'Olivier, un ouvrage exquis sur la littérature féminine en choisissant avec sa clairvoyance d'écrivaine quelques sœurs en gratitude, surtout celles qui ont vécu un certain ostracisme des critiques "mâles" comme Nabokov : "J'écris ce livre pour résister à la tristesse qu'engendre cet état de choses. J'écris ces pages pour puiser dans les livres que j'aime, dans les rêveries et les réflexions qu'ils m'inspirent, la force de penser". Elle prend la plume pour remettre à l'honneur des créatrices oubliées ou dédaignées, enfouies dans un silence injuste. Ce travail de Sisyphe porte sur quelques noms : Jane Austen, Virginia Woolf, Alice Munro, Grace Paley, Lydia Jorge, Christa Wolf, Natalia Ginsburg, Jean Rhys, Rosetta Loy, Sylvia Townsend Warner, Karen Blixen, Ludmila Ouliaskaïa, Christiane Rochefort. Cette pléiade de "belles âmes" enchante le parcours de Geneviève Brisac : "Celles à qui nous devons la force et le courage d'écrire ce que nous voyons, ce que nous sentons, ce que nous savons, et qui, décennie après décennie, sont renvoyées à leurs ténèbres, oubliées, effacées encore et encore". Quelle est donc cette voix plurielle de ces femmes qui ont eu l'audace et le courage d'écrire ? Elles disent toutes en commun la vie quotidienne, la vie minuscule, les détails où "rien n'est majestueux, ni symbolique mais où tout est important, les soupirs, les rhumes, les agonies, les bains de mer". Geneviève Brisac analyse les résonances qui trouvent des échos en chaque lectrice de ces nouveaux mondes littéraires. Un point commun les réunit toutes : ces écrivaines ont dû résister au mépris et aux préjugés dont elles étaient victimes et elles ont malgré tout poursuivi l'écriture de leurs œuvres. Et elle relève aussi leur ironie, leur humour et leur honnêteté comme armes symboliques. Ces "instants de vie" qu'elles captent dans leurs textes détiennent une dimension intime, propre à une écriture singulière et originale. Ce livre compose un hymne délicat, doux, sensible aux femmes qui se mettent à vivre en écrivant : "Ecrire : nommer ce que nous vivons d'innommé et d'innommable, de confus. Ecrire : interroger cet état somnambule qu'est presque toute vie. Nous ne savons ce que nous faisons, et sommes bouts de bois ramés flottillant sur la mer. L'enfant en nous le sait". Un ouvrage indispensable sur la magie des mots et de la littérature du côté des femmes ! Une lecture indispensable. 

vendredi 17 mars 2023

Les cabanes à livres

 Lors de mon séjour en Côte basque, j'ai revu mes cabanes à livres situées dans la commune d'Anglet, commune prise en sandwich entre Biarritz et Bayonne. J'avais conservé dans la maison de mon frère des livres, collectionnés pendant mes études de lettres et comme je ne voulais pas les déménager à Chambéry, j'ai décidé de les intégrer dans les cabanes disposées le plus souvent dans les jardins publics de la ville. Mon gentil frère s'est chargé de cette mission avant mon arrivée. A mon grand étonnement, les classiques déposés, de Rabelais à Balzac, en passant par Baudelaire et Rimbaud,  ont tous été retirés par des lecteurs et des lectrices anonymes en quelques jours. J'éprouve une grande satisfaction quand j'imagine ces romans dans les bibliothèques privées d'Anglet. Dans les années 70 (ma séquence nostalgie), la démocratisation culturelle battait son plein. Il existait des collections reliés en simili cuir qui, comme des peintures en trompe l'œil, reconstituaient des bibliothèques "bourgeoises". Posséder de nombreux livres chez soi représentait une conquête culturelle. Certains éditeurs proposaient les œuvres complètes à des prix attractifs comme les classiques français, des auteurs modernes comme Aragon ou Colette, des littératures étrangères, etc. Ces ventes parfois à crédit ont disparu de notre horizon commercial. Il ne reste plus que la Pléiade chez Gallimard pour lire la littérature mondiale ou les Folio. Du grand luxe et des poches. Jeune, j'avais ce désir "livresque" d'habiller mes murs avec des belles étagères bien remplies. Inconsciemment, ces remparts de papier m'apportaient un sentiment quasi océanique envers la littérature comme on l'éprouve devant l'océan. Tous ces romans lus ou à lire apaisaient ma faim originelle d'appréhender le monde de la création littéraire. Quel est l'éditeur qui reviendrait, aujourd'hui, sur ces formules de vente ? Aucun.  J'ai donc fouillé cinq cabanes à Anglet et évidemment, je ramène à Chambéry un ouvrage de Claude Mauriac sur Marcel Proust dans la collection "Ecrivains de toujours". Cette collection "Microcosme", née dans les années 60 jusqu'en 1981, me rappelle mes nombreuses lectures d'étudiante en lettres où j'ai englouti avec passion les classiques étudiés : de Balzac à La Fontaine, de Zola à Proust, de Nerval à La Bruyère. C'est pour cette raison que je commence à relire mes classiques et cette envie ressemble à un bain de jouvence, un retour proustien sur ma jeunesse sérieusement studieuse. Et j'avoue que je redécouvre avec encore plus d'intensité des écrivains que je n'avais pas relus depuis des décennies comme Colette tout récemment. 

jeudi 16 mars 2023

"Le Choix", Viola Ardone

 La romancière italienne, Viola Ardone, vient d'écrire son deuxième roman, "Le choix" après "Le train des enfants", et ce texte se lit avec un grand plaisir. Cette histoire émouvante se situe dans les années 60 à Martorana, un petit village de Sicile. Oliva Denaro, une jeune fille de quinze ans, adore le latin et collectionne les mots rares pour exprimer ses émotions. Malgré son âge, elle est restée encore dans son enfance innocente et insouciante. Elle accompagne son père dans la chasse aux escargots que celui-ci vend dans les marchés. Sa mère, figure de proue de la famille, respecte la tradition sans se poser une seule question. Son adolescence la trouble de plus en plus et les garçons commencent à la regarder. Un jeune homme, pâtissier de métier, l'a remarquée et tente de la séduire au cours d'un bal du village. Mais, cette relation contrainte ne la satisfait pas et contrairement aux coutumes locales, elle dit non. Sa conduite audacieuse contrarie sa mère qui veut déjà marier sa fille. Car à cette époque, les filles n'avaient pas "le choix" et les parents arrangeaient les mariages comme dans beaucoup de pays. Une voisine propose un fiancé providentiel qu'elle finit par rencontrer mais celui-ci est aveugle. La mère du jeune homme refuse en définitive ce mariage indigne de sa classe sociale. Oliva avait accepté de se marier avec fatalité. Mais, un jour, l'irréparable surgit dans sa vie, car elle va subir un viol. Le jeune pâtissier, frustré de ce rejet et assuré de son droit de "couchage", l'enlève et la séquestre avec des complices. Dans une Sicile archaïque, une loi ancestrale obligeait l'agresseur à se marier avec la victime pour réparer son forfait ! Le père d'Oliva, pourtant silencieux et assez absent, va pourtant jouer un rôle essentiel dans la rébellion d'Oliva. Il encourage sa fille à porter plainte alors que la police l'incite à accepter la proposition de réparation. Oliva ira donc au tribunal, assistée par une avocate féministe. Son "choix" la libère car le garçon est puni par la loi. Oliva reprend ses études avec l'aide d'une amie et devient institutrice dans son propre village vingt ans après le procès. Ce beau roman d'émancipation féminine, écrit dans une langue simple et vivante, illustre la condition des femmes dans une Italie moyenâgeuse où les viols et les mariages forcées  n'étaient pas considérés comme des crimes. Ce deuxième roman de Viole Ardone confirme son  talent romanesque, mêlant les destins individuels à la Grande Histoire. 

mardi 14 mars 2023

"La Paix des ruches", Alice Rivaz

 Ma deuxième lecture pour l'atelier Littérature de mars concerne une romancière suisse, Alice Rivaz (1901-1998). Publié pour la première fois en 1947, ce roman autofictionnel, "La paix des ruches", est réédité aux éditions Zoé. Cette écrivaine appartient à la catégorie des "oubliés" de la littérature du XXe siècle comme tant d'autres, hélas. Mona Chollet, spécialiste de la condition féminine et des relations hommes-femmes, propose une préface dithyrambique et militante. Elle souligne l'audace de l'écrivaine, rejetant le mariage et la procréation, anticipant les idées de Simone de Beauvoir. L'intrigue du roman semble bien mince mais la force du texte réside dans la colère du personnage principal, une femme en mal d'être.  La narratrice, Jeanne, déclare d'emblée dans la première phrase : "Je crois que je n'aime plus mon mari". Ce mari s'appelle Philippe, un homme traditionnel, éduqué à l'ancienne, et assuré depuis sa naissance de son esprit de "domination" : "Si peu fait pour vivre avec nous, n'aimant pas les mêmes choses que nous, n'aspirant pas aux mêmes choses que nous, attiré par ce que nous n'aimons pas, indifférent, hostile à ce que nous aimons". Le compte rancunier est réglé dès le début, un compte sans pitié pour les hommes de sa génération. Quand son mari s'absente longtemps du foyer pour des raisons professionnelles, elle respire mieux, s'adonne à la lecture et surtout à l'écriture comme si elle comprenait qu'une "chambre à soi" lui donnait une liberté retrouvée, la liberté d'être elle-même. Cette solitude heureuse permet la naissance de son journal intime où elle décrit une vie quotidienne en relevant l'absurdité de leur couple dans une relation subie plus que choisie. Sa soumission volontaire à ce mari d'un machisme absolu se révèle dans sa mission de femme au foyer alors qu'elle travaille dans un bureau de secrétariat. Elle se révolte de ces doubles taches  : "Quand donc apprendront-ils le sens de la justice qui pourtant enfle leur voix dans les parlements, les cathédrales, qui les fait descendre dans la rue et élever des barricades ? ". Elle pointe avec ironie ce décalage entre la vie privée et la vie publique. Plus loin, elle se moque d'eux avec cette sentence : "Ils préfèrent tenir un fusil ou une mitraillette qu'un balai". Ce texte impitoyable sur le mariage rappelle "La femme gelée" d'Annie Ernaux. Son style scalpel se met au service de sa pensée sur le couple : "C'est là le frame du couple, ces feux croisés qui s'affrontent, se pulvérisent mutuellement, signaux incompréhensibles à celui à qui ils sont adressés et qui les reçoit en aveugle". Leur histoire lamentable se termine heureusement par un divorce. Alice Rivaz n'oublie pas ses compagnes de travail, avec qui elle ressent un sentiment de solidarité. Ce roman pamphlet, rude et rugueux, sur les relations hommes-femmes conserve malgré tout toute son actualité même si les conditions sociales ont bien changé avec l'émancipation féminine depuis des décennies. Ce roman curieux et explosif, un témoignage assez rare à l'époque, anticipe les futures luttes féministes des années 70. Un OVNI littéraire à découvrir par curiosité. 

lundi 13 mars 2023

Une bonne nouvelle : la nouvelle floraison des librairies

 Un article du Monde a attiré mon attention sur "l'étonnante floraison des librairies". J'ai conservé une identité de "libraire" car dans les années 70, j'ai travaillé dans une grande librairie de Bayonne, "Le Livre", aujourd'hui disparue et un an plus tard, j'ai ouvert près du Musée basque la mienne. A l'époque, le prix du livre était libre et la concurrence avec les grandes surfaces m'a été fatale. J'ai fermé ma librairie alors que Jack Lang avait imposé la loi du prix unique du livre qui a certainement sauvé des milliers de librairies en France. Cette expérience de cinq ans m'a profondément marquée évidemment jusqu'à ma pratique du métier de bibliothécaire. Je me souviens d'avoir présenté des nouveautés sur une table dans mon premier poste à Eybens et ma collègue trouvait cela assez étrange de procéder de la sorte. J'apprécie que les bibliothèques ressemblent à des librairies et vice versa. Ce sont, au fond, des sœurs jumelles au service de la lecture, une mission qu'elles remplissent au mieux. Quand je lis dans le Monde que des jeunes quadragénaires s'engagent dans ce métier passionnant mais ô combien précaire, je ne peux que m'en féliciter. Le Centre National du livre soutient quelques initiatives sur tout le territoire. Il existe 3500 librairies indépendantes, réputées les moins rentables dans le commerce de détail avec seulement 1% de bénéfice net. Bon nombre de gérants ne se rémunèrent pas la première année (ni souvent les suivantes !). Dans la formation donnée à l'école des libraires, les formateurs préviennent les futurs libraires : des horaires larges, des colis à transporter, des clients pas toujours accommodants, des recettes parfois épisodiques. Mais, l'engouement pour ces commerces "intelligents" ne cesse de progresser. En Bretagne, onze magasins ont vu le jour, huit en Aquitaine. A Chambéry, une nouvelle librairie franco-italienne,  "L'accent qui chante" est née en 2021, rue Sainte-Barbe, près de la Place Grenette, spécialisée en littérature italienne en langue originale et traduite en français. Je fais toujours l'éloge des librairies partout en France et aussi à l'étranger. Même si je ne comprends pas la langue, comme à Berlin, je visite toujours ces espaces hautement culturels et civilisationnels. Quand je pense à la période du Covid, j'étais vraiment étonnée que ces commerces ne soient pas considérés comme essentiels, une décision maladroite qui a été réparée par la suite. Les librairies restent malgré tout fragiles et il faut les soutenir en les fréquentant le plus souvent possible et en acquérant aussi de très bons livres ! 

vendredi 10 mars 2023

"Empire of Light", rubrique Cinéma

J'ai vu un beau film à Biarritz au Royal, le cinéma d'art et d'essai de la ville. Sam Mendes, le réalisateur britannique, raconte une histoire intime à travers le personnage principal, Hilary, inspiré de sa mère bipolaire. Dès les première images, la nostalgie charme le spectateur(trice). Dans les années 80, sur la côte anglaise, une employée ferme un cinéma Art déco : velours rouge sur les fauteuils, rideaux rouges sur la scène, moquette rouge sur le sol, du pop-corn jonchant le sol  et le ménage à faire pour le personnel. Hillary gère le fonctionnement de l'Empire avec une compétence remarquable mais parfois rigide. Le directeur de l'établissement abusif et autoritaire appelle Hilary avec laquelle il entretient une relation clandestine. Elle lui prodigue gratuitement des services sexuels. Quand elle rentre chez elle, sa solitude éclate sur l'écran. Ses problèmes psychiques aussi car elle prend du lithium. Ce personnage féminin, émouvant par sa fragilité et par sa vulnérabilité (interprété magistralement par Olivia Colman) va rencontrer un jeune employé noir, victime d'un racisme ambiant. Leur destin commun de victimes les rapproche et ils finissent par nouer une relation amoureuse malgré la différence d'âge. La scène du pigeon blessé qu'ils soignent ensemble symbolise leur amour fragile et socialement impossible. Norman, le projectionniste, initie Stephen à la manipulation des bobines. Un épisode violent intervient quand Stephen est pourchassé par des racistes qui le tabassent avec une haine insupportable. Sam Mendès dénonce à travers ce fait le racisme des années thatchériennes. Il rend un hommage appuyé au cinéma en montrant une scène touchante quand Hilary découvre le contenu des films alors qu'elle ne les visionnait jamais. Elle comprendra que son jeune amant va partir faire des études d'architecture mais ils resteront amis. Malgré ce handicap, son travail avec son équipe à l'Empire la socialise et l'éveille à la vie et à l'amitié malgré ses troubles psychiques récurrents qu'elle soigne périodiquement à l'hôpital. Un  film sensible et émouvant à découvrir. 

jeudi 9 mars 2023

"Le temps des féminismes", Michelle Perrot

 J'ai choisi pour l'atelier Littérature du jeudi 23 mars une sélection de titres sur les femmes. Pourtant, ce sujet éternellement traité dans la production éditoriale prend une ampleur dès que le mois de mars arrive comme si c'était une rentrée littéraire particulière. Je ne pouvais pas omettre dans ma liste la pétillante Michelle Perrot, d'une élégance discrète quand elle est passée à la Grande Librairie pour parler de son dernier ouvrage, "Le temps des féminismes", publié chez Grasset en janvier dernier. Quand je l'écoute évoquer sa longue vie d'historienne, (elle est née en 1928) on ne peut qu'espérer vieillir comme elle en conservant sa curiosité culturelle intacte et son immense savoir historique. Historienne des voix longtemps muettes, elle a consacré un bel ouvrage à la classe ouvrière, "Mélancolie ouvrière" en 2012. Elle a participé à la grande "Histoire des femmes en Occident", un classique traduit dans le monde entier et universellement apprécié. D'autres titres approfondissent son travail de recherche sur les femmes comme "Les femmes ou les silences de l'histoire" en 1998 et "Histoires de chambres" en 2009. Elle déclare dans un article du Monde qu'elle veut contribuer de façon décisive à "combattre le partage inégal des traces". Pourtant, l'historienne ne dévoile rien d'elle-même comme ses collègues masculins l'ont fait dans des récits "d'égo-histoire" : "Peut-être suis-je devenue historienne pour ne pas parler de moi, voire pour ne pas y penser, parce que je trouvais que le moi, mon moi, n'avait rien d'extraordinaire". Dans son dernier ouvrage, "Le temps des féminismes", élaboré avec le journaliste Eduardo Castillo, elle reste très pudique sur sa vie privée. Les jeunes générations devraient lire ce "catalogue" sur les féminismes de ses origines à nos jours, une synthèse très claire sur la naissance du féminisme jusqu'au mouvement "Metoo". Cette remise en forme des luttes féministes montre l'éclectisme du mouvement, allant des suffragettes d'antan aux écoféministes d'aujourd'hui. Elle revient sur les pionnières : la première bachelière de France, les femmes écrivains, les scientifiques et les artistes. Ce panorama n'exclut pas les interrogations soulevées par le politique : le patriarcat, l'accession à l'égalité, les débats sur le genre, sur le corps, sur l'universalisme ou sur le differentialisme, Des femmes célèbres traversent ce texte : d'Olympe de Gouges à Hubertine Auclert, de Monique Wittig à Simone de Beauvoir. Cet ouvrage offre une bonne approche historique pour comprendre les féminismes du XIXe au XXIe siècle sans tomber dans un dogmatisme archaïque et dans un militantisme agressif. 

mercredi 8 mars 2023

Le 8 Mars, Hommage national à Gisèle Halimi

Dans le cadre symbolique de la Journée internationale du droit des femmes, notre Président va rendre un hommage solennel à Gisèle Halimi, disparue en 2020. Cette femme est devenue une icône pour les féministes et sa "panthéonisation" est à l'ordre du jour même si quelques réticences perdurent. L'avocate féministe et anticolonialiste n'avait toujours pas reçu de reconnaissance officielle de la part de l'Etat. D'origine tunisienne, Gisèle Halimi est née en 1927. Elle fait des études de droit à Tunis et devient avocate à partir des années 50. Sa réputation de femme politique engagée à gauche se manifeste lors de sa défense d'une activiste militante algérienne, Djamila Boupacha. Aux côtés de Simone de Beauvoir, elle ose attaquer les méthodes brutales de l'armée française au moment de la Guerre d'Algérie. En 1971, elle signe le "Manifeste des 343" réunissant les femmes déclarant avoir avorté clandestinement. Sa lutte pour la loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) se concrétisera en 1975 grâce à Simone Veil. Une deuxième loi, celle qui définit l'attentat à la pudeur et le viol, sera votée en 1980. Le viol est dorénavant considéré comme un crime alors qu'il était traité comme un délit ! L'avocate, proche de François Mitterrand, devient députée socialiste en 1981. Elle milite pour la parité hommes-femmes en politique et occupera des fonctions à l'UNESCO et à l'ONU. Européenne convaincue, elle voulait étendre les droits des femmes à l'ensemble des citoyennes de chaque pays membre de l'Union européenne. Pour mieux connaître cette féministe emblématique, il suffit de lire ses récits autobiographiques :  "Le lait de l'oranger", "Fritna", "Ne vous résignez jamais". Je me demande si la jeunesse d'aujourd'hui connait son itinéraire exemplaire. L'hommage rendu par notre Président se révèle donc nécessaire. Il a annoncé dans son discours l'inscription de l'IVG dans la Constitution pour rendre cette liberté intouchable. Une belle conquête républicaine. Je me souviens d'un slogan très marquant des luttes féministes : "Mon corps m'appartient". On pourrait ajouter : "mon esprit m'appartient, ma vie m'appartient", etc. Cette journée symbole pour parler des femmes et du féminisme dans les médias me semble importante et pour ma part, je pense aux femmes Afghanes, interdites d'école, interdites de vie, victimes d'un patriarcat islamiste odieux et horrible. Restons vigilantes ! 

mardi 7 mars 2023

Escapade à Biarritz, 2

 Chaque fois que je visite une ville, un reflexe me taquine toujours l'esprit : la place de la littérature sous la forme des librairies, des bibliothèques, des centres culturels. Et à Biarritz, où se niche l'âme littéraire ? Evidemment à la Médiathèque, un vaisseau des livres, d'images et du son, un bâtiment tout en bois et en verre ouvert à tous à un prix modique. La mairie propose aussi un parcours fléché sur dix citations éparpillées dans divers quartiers et inscrites sur des lieux totémiques. La première, signée de Sarah Bernhardt, que j'ai aperçue se situe sur la promenade de la Grande Plage : "La vie est courte même pour ceux qui vivent longtemps". La seconde est inscrite sur la façade de la splendide Médiathèque, signée de Victor Hugo : "Savoir, penser, rêver. Tout est là". Slogan humaniste d'un grand Sage de l'humanité. Puis, dans mes balades quotidiennes, j'ai débusqué celle de Debussy sur le kiosque de la Place Sainte-Eugénie : "N'écoute les conseils de personne, sinon du vent qui passe et nous raconte les histoires du monde ". Au Rocher de la Vierge, écoutons cette sentence de Madeleine Vionnet, "Il faut toujours se dépasser pour s'atteindre". Sur la Côtes des Basques, Marguerite Duras, la grande amoureuse des mots, a susurré : "S'il n'y avait ni l'amour, ni la mer, personne n'écrirait des livres". En montant les marches vers les Halles, j'ai lu celle de Louis Guillaume : "Où la voix dira le mot, la vie recommencera". Sur le sol de la Gare de Midi, le théâtre de la ville, une phrase de Romy Schneider à retenir : "L'envie est plus forte que la peur". Et aussi, en langue basque, une langue étrange et unique, cette belle phrase sibylline de Manex Erdozaintzi-Etxart  : "Izadian eta Gizadian - Ixiltasuneam bezala elhean - Bihotzek elgarri". Il faut prononcer cette citation et la traduire ensuite : "Dans la nature et l'humanité - comme le silence dans le silence - les cœurs sont nourris". Les deux dernières : "Un secret a toujours la forme d'une oreille" de Jean Cocteau et "La couleur comme les odeurs se mêlent étroitement, effaçant par leur forme, les formes" de Gina Pan. C'est amusant de se déplacer en traquant ces citations bien choisies comme une chasse aux trésors littéraires. Comme j'ai réservé ce billet à ce jeu de lettres, voici ma dernière trouvaille, celle du slogan de la ville en latin : "Aura Sidus Mare adjuvant me" ou en français : "J'ai pour moi les vents, les astres et la mer". Je fais mienne cette maxime que j'ai bien pratiquée en haut de mon balcon sur l'océan. Et ces citations qui jalonnaient mes balades quotidiennes, je les relisais avec un grand plaisir et les apprenaient par cœur ! 

lundi 6 mars 2023

Escapade à Biarritz, 1

 Je viens de passer un séjour à Biarritz avec un froid ensoleillé, inhabituel pour la Côte basque. Car, je ressentais trop le manque de l'océan et je retrouve régulièrement aussi mes racines familiales dans ce si beau coin de France. Ma location provisoire d'un studio au sommet d'un grand immeuble face à la Grande Plage m'a procuré un "sentiment océanique" salvateur et je m'imaginais telle une gardienne de phare face à ce panorama sublime entre l'Hôtel du Palais et le Rocher de la Vierge. Devant mes yeux sans cesse à l'affût, l'océan s'agitait, gigotait, bougeait, se prélassait sur la Grande Plage. Le soir, les couchers de soleil transformaient le paysage en toile de Turner. Je me sentais toute petite face à ce panorama de vagues somptueuses. Regarder l'océan pendant des heures ressemble à un exercice de contemplation, une contemplation de plénitude sereine. Quel délice de déambuler le long des plages mythiques, du Miramar à la Côte des Basques, en passant par le port des pêcheurs ! Dès le matin, je ne croisais que quelques propriétaires de chiens et des sportifs locaux. En me promenant, j'ai discuté avec un pêcheur dans le port où les maisonnettes appelées crampottes n'ont pas changé depuis des décennies. Il venait d'attraper avec son bateau des maquereaux et des aloses. Il m'a offert deux poissons pour mon repas de midi ! Il règne une atmosphère paisible, charmante quelque soit le lieu où l'on se trouve. La beauté de la cité basque apaise et console.  Les atouts de Biarritz : un air iodé en permanence, des mouettes dansant le fandango local dans un ciel bleuté, des surfeurs traversant les rues avec leurs belles planches sous le bras comme de bizarres extraterrestres, vouant un culte particulier aux vagues. Dans cette ville si particulière, la nature et la culture se mêlent à merveille et je m'arrêtais souvent dans le Bookstore, la librairie de la Place Clémenceau que je fréquente depuis les années 70. Le matin, sur la Grande Plage, un bulldozer de la mairie ramène le sable en amont car les vagues éloignent cet élément vers le large et sans sable, pas de plage. Ce travail de Sisyphe, éternellement recommencé, montre bien la puissance de l'océan et l'acharnement des humains pour préserver un lieu mouvant. Je sais que Biarritz possède un côté blingbling, un goût du kitsch basque, avec ses boutiques de mode, ses restaurants chichiteux et ses soirées mondaines. Il existe aussi  l'énergie vitaliste des vagues, la présence solide des rochers près du rivage, le port confidentiel et caché des pêcheurs, la valse incessante des mouettes rieuses, l'attente des surfeurs et surfeuses en quête d'un bon rouleau, la gentillesse attentive des Biarrots, un air salé et revigorant. Biarritz, une ville élégante, légère, énergisante, ma deuxième Ithaque.