dimanche 9 septembre 2018

"Un monde à portée de main"

J'attendais avec impatience le nouveau roman de Maylis de Kerangal, "Un monde à portée de main" et je l'ai acheté dès sa sortie en librairie en fin août. Les critiques soulignent déjà une légère déception de la part de ses "fans" car son livre précèdent, "Réparer les vivants" traitait d'un sujet hautement sensible, la transplantation cardiaque, qui touchait la vie et la mort des personnages. Dans "Un mode à portée de main", l'écrivaine poursuit sa méthode d'écriture : décrire au scalpel une réalité dans le monde de l'art, de la copie, du trompe l'œil. J'ai retrouvé son style puissant, des personnages complexes, le milieu fascinant de l'art. La première phrase donne le rythme, le tempo du texte : dix huit lignes pour décrire Paula Karst, sa fougue, sa jeunesse, sa détermination. Paula a enfin trouvé sa voie : elle s'est inscrite dans une école d'art où elle va apprendre les techniques picturales de la copie, de la fresque, de la décoration intérieure. Pourtant, Paula, "cette fille moyenne, protégée, routinière, et assez glandeuse", se prend de passion pour découvrir l'apprentissage des couleurs, des techniques du dessin, des outils, Une plongée dans une planète du fac-similé, de la copie et pour reproduire le réel, il faut une panoplie technique inouïe… Paula se lie d'amitié avec Kate et Jonas, deux étudiants de l'école avec lesquels elle partage une colocation. Cette aventure artistique se conjugue donc à trois, et ce lien infaillible va aider Paula à surmonter cette initiation épuisante. Son corps constamment en mouvement est soumis à une rude épreuve dans les exercices que leur professeur, la grande initiatrice exigeante, leur impose. La question du temps semble un des sujets majeurs du roman. Quand elle évoque, avec une minutie de miniaturiste, le dessin du marbre, des écorces d'arbre, des roches, Maylis de Kerangal élabore la théorie de "la sédimentation mémorielle", une vision d'une identité qui se construit par couches successives produites par l'expérience, les souvenirs, les lectures. Avant de peindre (ou d'écrire), Paula observe les matières, étudie les lieux, lit des ouvrages documentaires. Comme si l'écrivaine devenait Paula en révélant que le travail en amont transcende la réalité et stimule l'imagination. Dans un article du Monde, Maylis de Kerangal se confie : "la documentation émancipe la fiction, nourrit l'imaginaire". Paula part à Rome pour réaliser des décors de cinéma, chez des particuliers et à Lascaux pour créer le fac-similé de la grotte. Paula s'est enfin réalisée, devenue une artiste complète. Ce roman d'éducation, d'initiation montre l'infinie patience qu'il faut pour atteindre une forme de sérénité et d'accomplissement. L'écrivaine renouvelle dans "Un monde à portée de main" son art inimitable de raconter une histoire magnifique, interprétée par des personnages émouvants et jouée sur un air endiablé… Et surtout un des plus beaux styles de la littérature contemporaine.