mercredi 10 mars 2021

Lectures perdues

 Je n'évoque presque jamais les abandons de lectures. Pourtant, cela m'arrive parfois d'ouvrir un roman, de le lire pendant une heure et plus, d'avoir parcouru une centaine de pages et vraiment, le charme ne prend pas, la magie s'enlise au fil des pages. Cet abandon m'agace, évidemment, mais pourquoi poursuivre, perdre des heures vivantes et précieuses ? D'autres auteurs m'attendent, des livres achetés en quantité espèrent sortir de leur léthargie pour se lover dans mes mains. Pourtant, je me sens un peu culpabilisée de cet acte peu sympathique envers l'écrivain qui, lui, a passé un temps infini pour écrire son texte. Ce manque de respect m'afflige. Hier, j'avais commencé un roman de Lise Charles, "La Demoiselle à cœur ouvert", publié chez P.O.L., un éditeur de très grande qualité littéraire. Le sujet m'intéressait beaucoup. L'action se déroule à la Villa Médicis à Rome où elle a été pensionnaire en 2017. Les premières pages décrivaient la vie quotidienne des artistes choisis par un jury. L'écrivaine a opté pour la forme épistolaire, considérée comme une écriture plus fluide, plus pragmatique. Le personnage principal, Octave Milton, romancier, n'a plus d'inspiration. Son éditrice et ancienne amante lui suggère de composer un roman en ligne, mettant ses lecteurs en scène. Il veut produire un texte innovant où l'on peut se connecter, intervenir, laisser des messages, créer ainsi un lien interconnecté. Mais, l'autrice a trop voulu mêler des formes littéraires (mails, articles universitaires, chroniques de presse, journal intime) et ses protagonistes sont aussi réels que fictifs. J'avoue que je me suis perdue dans ce labyrinthe brillant, ludique et d'un formalisme abstrait. Ce roman s'enferre dans un jeu de miroirs qui lasse en fin de compte. Lise Charles, agrégée de Lettres classiques, a certainement une très haute idée de la littérature d'avant-garde, d'une littérature novatrice et contemporaine. Peut-être que ma fonction de lectrice s'est heurtée à un mur d'incompréhension et j'ai fait preuve, certainement, d'une paresse intellectuelle. Je pense à Lise Charles et à sa théorie d'un littérature exigeante et ambitieuse. Le roman contemporain délaisse une certaine tradition de l'intrigue traditionnelle. A trop jouer avec l'artifice textuel et les concepts, j'ai manqué de patience et d'empathie. Dommage, ce n'était pas le moment, pour moi,  de découvrir la talentueuse et prometteuse Lise Charles. Je me promets de reprendre ce roman plus tard quand mon esprit sera plus disponible pour accueillir ce style de livre.