lundi 25 novembre 2019

"Une minute quarante-neuf secondes"

Livre coup de poing, livre coup de cœur, Riss, dessinateur de presse et directeur du journal Charlie Hebdo, raconte l'insoutenable attentat du 7 janvier 2015 où sont abattus, par des terroristes islamistes, ses collègues : Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris, Elsa Cayat, Mustapha Ourrad. D'autres victimes tomberont dans la rue et ce 7 janvier 2015 restera à tout jamais dans notre mémoire collective. Ce témoignage d'une force incroyable n'est pas un recueil de pleurs, de regrets, de nostalgie. Bien au contraire, Riss évoque avec une certaine rage, l'aveuglement de notre société, sa légèreté, sa lâcheté, sa vulgarité face à cette guerre larvée et déclarée de la part des fanatiques religieux contre la liberté d'expression. Le titre "Une minute quarante-neuf secondes" résume la tragédie du moment où Riss échappe au massacre et se relève blessé. Il évoque dans le prologue l'inutilité des mots et des dessins pour traduire cette "désagrégation", ce "délitement". Il revient constamment sur la violence qu'ils ont subie et montre un courage inouï en écrivant : "Il ne fallait pas se révolter, ne pas désigner de responsables, ni tendre le doigt en direction des lâches et des coupables. Et encore moins dénoncer le prosélytisme des croyances archaïques, de concepts réactionnaires, afin de ne pas heurter ceux qui les pratiquent". L'obsession du narrateur tourne autour de cette question : "suis-je à la hauteur de ce qui nous est arrivé ?" Il rend hommage à tous les collaborateurs décimés dans l'attentat. Les portraits des dessinateurs sont très émouvants et donnent au récit une densité encore plus grave. Comment vivre dorénavant avec l'absence de tous ces amis disparus ? Riss leur dédie ce livre pour qu'ils restent vivants. Ce récit autobiographique, politique, philosophique raconte aussi l'histoire du journal satirique, Charlie Hebdo, symbole de la liberté d'expression, la liberté totale, le droit de tout caricaturer. Riss analyse les émotions surgies lors de l'attentat (sidération, stupéfaction, culpabilité) et entremêle dans son récit des souvenirs d'enfance et de jeunesse. Il évoque les soins à l'hôpital, la sensation de la peur d'être recherché par les terroristes, la gentillesse des soignants, le retour à Charlie Hebdo, les problèmes de la nouvelle équipe, l'indifférence des médias à leur égard. Cet ouvrage me rappelle évidemment celui de Philippe Lançon, "Le Lambeau", un témoignage extraordinaire sur l'attentat du 7 janvier. L'ouvrage de Riss, "Une minute quarante-neuf secondes", n'est pas comparable à celui de Philippe Lançon. Riss conserve sa colère, à juste titre. Il dénonce le totalitarisme islamique, la lâcheté des politiques, la comédie sociale, la perte irréversible de ses amis, la peur de vivre sous une menace permanente. Ce récit magnifique devrait réveiller les consciences, et se range dans la catégorie de la littérature de combat. Les derniers mots du récit montrent le chagrin définitif et bouleversant du témoin qui reste seul en vie : "Les jours qui s'écoulent m'éloignent des adieux que je leur fis, et me rapprochent de l'accueil qu'ils me feront demain. Un jour, c'est sûr, on se retrouvera tous".