mardi 30 mai 2017

Notre nouvelle ministre de la Culture

Françoise Nyssen, quel choix judicieux et subtil ! Quand j'ai entendu la composition de la nouvelle équipe gouvernementale, je connaissais les personnalités politiques, les Nicolas Hulot et compagnie, mais le nom de Françoise Nyssen pour le ministère de la culture m'a vraiment "épatée"... Je me suis demandée si ce choix inhabituel et original répondait à une attente citoyenne. Je n'aurais jamais imaginé que cette éditrice plus que talentueuse obtienne ce poste hautement politique et même acrobatique car le monde de la culture ne se gère pas comme une armée obéissante. En 2013, j'ai croisé Françoise Nyssen dans sa librairie à Arles où j'avais fait quasiment un pèlerinage "livresque", teinté d'admiration et de respect pour cette maison d'édition qui a tant marqué et bouleversé le monde éditorial français. Quand les éditions Actes Sud sont nées, le fondateur, Hubert Nyssen, éditeur et écrivain, n'a eu que des idées géniales : le choix d'auteurs surtout étrangers (Auster, Berberova, Lindgren), le goût des voix fortes de la littérature française (Laurent Gaudé, Nancy Huston), la tradition d'un artisanat éditorial pour la qualité du papier, le format, le graphisme classe, l'audace d'un enjeu territorial dans le midi, hors de la sphère impérialiste de Paris et aussi un souci permanent de l'excellence littéraire de leurs publications. Et le miracle a eu lieu : les livres d'Actes Sud ont trouvé place dans les librairies, les bibliothèques, les intérieurs des amoureux de la littérature. Françoise Nyssen a repris le flambeau quand le "patriarche" a pris sa retraite. La petite maison d'édition arlésienne a grandi, s'est développée en incluant d'autres éditeurs, a diversifié ses collections (dont une collection jeunesse formidable), a obtenu un prix Nobel avec Kertész, des Prix Goncourt et d'autres consécrations. Maintenant, François Nyssen, a certainement pris conscience de la mission qu'elle va remplir pour la culture, l'art, le théâtre, la musique, la politique du livre et la défense de la langue française. Elle a ouvert une école pour des adolescents en échec scolaire et elle sait que sans la culture, nos vies seraient bien ternes et bien monotones... Je lui souhaite un quinquennat efficace, lumineux et même si la lumière d'Arles va lui manquer, elle prendra des initiatives certainement passionnantes qui ressembleront à l'aventure magnifique des Editions Actes Sud...

vendredi 26 mai 2017

Mardi des livres, 2

La séquence "coups de cœur" se poursuit avec Régine qui participe activement à un groupe de lecture du Festival du Premier Roman. Elle a évoqué deux titres qui l'ont particulièrement marquée cette année : "Désorientale" de Negar Djavadi  et "Fils du feu" de Guy Boley. Le premier roman retrace l'itinéraire d'une femme iranienne à la conquête de sa liberté et le second, l'histoire d'une famille dans les années 50 et 60 où le narrateur-auteur reconstruit un passé douloureux. Geneviève a présenté "L'exception" de l'Islandaise Audur Ava Olafsdottir. Ce roman intéressant aborde un domaine amoureux actuel et inhabituel car le mari quitte sa femme pour un homme... Danièle a choisi deux ouvrages : "Colette et les siennes" de Dominique Bona et "La porte" de Magda Szabo. La biographe de Colette décrit sa vie amicale pendant la Première Guerre mondiale. Colette cultivait ce sentiment et son cénacle féminin durera toute sa vie. Magda Szabo, écrivaine hongroise, avait obtenu le prix Femina en 2004. Ce huis-clos, entre une maîtresse et sa domestique, vire au drame à cause de leur relation intense et inversée malgré de nombreux non-dits. Dans la deuxième partie de la rencontre, nous avons évoqué Romain Gary. Evelyne et Véronique ont lu avec plaisir "Les cerfs-volants", un roman attachant sur un jeune garçon, amoureux d'une petite fille polonaise dans les années 30. Geneviève a beaucoup aimé "La promesse de l'aube" et apprécie la fantaisie, l'empathie de Romain Gary pour ses personnages. Janelou a lu ""La vie devant soi" dont elle a aimé l'humour cocasse de l'auteur. Mais, l'écrivain à la vie hautement romanesque, n'a pas convaincu Régine qui remarquait le manque de profondeur psychologique dans "Clair de femme". J'avais ressenti la même impression en lisant Gary. Sa notoriété reste intacte depuis les années 80 et malgré un style un peu vieilli, il conserve de très nombreux fans, au sens inconditionnels de son univers loufoque, de sa recherche éperdue de l'amour des femmes car il avait un amour fou pour la sienne... La critique littéraire l'a longtemps considéré comme un écrivain "populaire" alors qu'il est devenu aujourd'hui un classique comme Albert Cohen, Jean d'Ormesson, Le Clézio, etc. Il lui reste maintenant l'étape majeure de la Pléiade pour entrer dans le panthéon de la littérature...

mercredi 24 mai 2017

Mardi des livres, 1

Mardi après-midi, nous étions presque toutes présentes à ce mardi des livres (et non plus le jeudi...). J'ai informé "mes" lectrices amies que je poursuivrai ce rendez-vous "littéraire" un mardi par mois à partir du mois d'octobre. Nous allons aussi nous retrouver le vendredi 23 juin pour terminer la saison. Pour la dernière séance de l'année, nous devons lire deux romans : celui de Michel Houllebecq, "Soumission" et celui de Philip Roth, "Némésis". Ces deux oeuvres susciteront certainement des commentaires contradictoires qui vont nourrir notre future rencontre. Pour le mois d'octobre, j'ai proposé une sélection d'ouvrages philosophiques de la collection "Folio Sagesses" et l'œuvre indispensable de Milan Kundera. Les lectrices amies disposent de trois mois pour découvrir ces livres que je considère comme des "gentils devoirs de vacances", souvenirs émouvants qui nous rajeunissent à merveille. Dans mes projets, j'avais préparé un programme encore plus solide pour l'été en choisissant dix romans classiques du XIXe et à ma grande satisfaction, elles m'ont demandé de leur envoyer la bibliographie toute prête. Nous aurons ensuite toute l'année pour évoquer ces dix romans emblématiques d'une prose française somptueuse... Ces lectures futures confortent mon désir de partager ma passion des livres et de la littérature. Nous avons démarré la partie "coups de cœur" avec Janelou qui s'est enthousiasmée pour le roman d'Andreï Makine, "L'archipel d'une autre vie". L'écrivain (de l'Académie française) nous entraine sur les terres hostiles et glaciales de la Sibérie où des soldats de Staline pourchassent un homme qui s'est évadé d'un camp de prisonniers. A travers la Taïga, la chasse à l'homme impitoyable finira par transformer un des soldats.  Un roman puissant et certainement très bien écrit... Evelyne a choisi un roman noir de Pierre Lemaître, "Trois jours et une vie". Une lecture un peu difficile sur un meurtre accidentel entre deux enfants. Mylène et Régine ont apprécié le même roman, ce qui est rare comme coïncidence... Mais, quand elles ont révélé le titre de Zeruya Shalev, "Douleur", cela ne m'a pas du tout étonnée. Ce roman, fort et inouï, brasse les passions humaines, les relations parents-enfants, le couple, l'amour, les regrets, l'infidélité. Je l'avais lu avec jubilation et ce portrait d'une femme, épouse déçue et mère amère,  rejoint toutes les héroïnes de Zeruya Shalev. Si l'on veut résumer le sujet central du livre, j'utiliserai le mot "crise" en mi-parcours d'une vie : l'usure du temps dans le couple, les relations fragiles et complexes entre mère et grands adolescents, la vie professionnelle trop prenante, un pays sensible, le retour du passé, l'amour retrouvé, puis perdu. Ce roman, "Douleur" se situe dans la lignée des précédents dont l'inoubliable "Ce qu'il reste de nos vies". Et la douleur, les douleurs peuvent aussi se calmer, s'atténuer et s'éteindre...  

lundi 22 mai 2017

Des trésors, des livres

Vendredi après-midi, j'ai pris la direction de la librairie Decître où j'aime bien repérer les nouveautés dans les secteurs littérature et sciences humaines. Je note des titres à retenir et je feuillette quelques ouvrages, une habitude que je conserve depuis toujours. Rien ne remplace ce contact charnel, sensuel, gourmand quand on regarde, quand on saisit un livre dans ses mains. Internet sera toujours un espace virtuel, dénué d'odeurs et du toucher. Les livres, objets vivants à mes yeux, réclament toute mon attention et je les imaginais la nuit dans leur vie secrète quand ils se retrouvent sans les humains. Ils se racontent plein d'anecdotes sur les lecteurs pressés et efficaces ou rêveurs et hésitants. J'ai demandé l'emplacement d'un essai et comme l'employé de librairie m'a gentiment tendu le livre, je suis repartie de ma visite avec Belinda Canonne et son "S'émerveiller"... Plus tard, je me suis dirigée vers la Chapelle Vaugelas où se tenait le rendez-vous annuel de la bouquinerie d'Amnesty International. Je suis bien restée une bonne heure car j'ai  farfouillé avec méthode, les bacs des livres d'art, les tables chargées de romans brochés ou en format de poche. Au fur et à mesure, mon sac se remplissait de mes découvertes. Pour une somme plus que modique, j'ai donc trouvé quelques ouvrages qui m'ont rappelé de très bons souvenirs de lectrice. Les livres vont et viennent dans une vie déjà bien avancée. On a tendance à se défaire de certains titres que l'on regrette plus tard d'avoir abandonnés... Et surprise, ils réapparaissent par hasard. J'ai donc eu la bonne surprise de rencontrer Pierre Dumayet, un des passeurs magnifiques de littérature à la télévision dans les années 70. Il avait écrit son "autobiographie d'un lecteur", paru en 2002 chez Pauvert. Son amour total de la littérature m'enchante encore. Des volumes sur Epidaure, Corinthe et Athènes complèteront ma collection sur la Grèce antique. Un ouvrage d'art sur la Grèce m'a conquise pour son iconographie. J'ai aussi acheté un livre culte de ma période féministe, "Du côté des petites filles" d'Elena Gianini Belotti, un essai de W.G. Sebald, "Les Anneaux de Saturne", le théâtre de Sophocle dans une belle édition et un essai d'un inconnu, J.-P. Martin, "Le piano d'Epictète" aux éditions Corti. Tous ces livres vont donc prendre leur place sur mes étagères "à lire" et je suis toujours prête à les accueillir, donnés par des lecteurs et repris par d'autres.... Livres nomades, livres sédentaires, il faut que chacun d'entre eux trouve sa place dans le monde des lecteurs... Et chez moi, ils font leur nid....

vendredi 19 mai 2017

Prague, 6

Je termine ma "suite pragoise" avec l'évocation des deux plus belles bibliothèques patrimoniales du continent européen. J'ai visité l'Abbaye de Strahov où se trouvent ces deux merveilles du baroque tchèque. Les bibliothèques se situent dans l'enceinte extérieure de l'abbaye et disposent de 130 000 ouvrages dont 5 000 incunables et 25 000 manuscrits. Les vitrines du couloir reliant les deux salles, présentent des exemplaires d'enluminures médiévales. Des coquillages et des animaux empaillés, rangés dans des armoires vitrées, constituent un petit musée d'histoire naturelle, un cabinet de curiosités qui donne déjà à ce lieu, la magie de la connaissance. La salle philosophique, haute et étroite, mesure trente mètres sur dix et les livres sont rangés dans des étagères en bois précieux. La fresque du plafond retrace l'histoire du Savoir. La deuxième salle, dite théologique, date de 1671 et possède une voûte basse et large. Le plafond se compose de médaillons enchâssés qui racontent la passion de l'instruction et de l'étude. Ces deux merveilleuses bibliothèques méritent absolument le détour et je n'arrivais plus à quitter ces lieux uniques. Ma fibre de bibliothécaire vibrait à l'unisson de tous ces livres, exposés dans des écrins de beauté baroque et sublime... Les livres, je les ai aussi vus en "pile" devant l'entrée de la bibliothèque municipale, située près de la place de la Vieille Ville. Cette montagne de livres accueille les lecteurs dans un clin d'œil très cocasse et ce n'est pas étonnant de la part des Pragois... Je suis aussi rentrée dans les librairies (je ne peux pas résister...). Près de mon hôtel, la librairie "Shakespeare" propose des ouvrages en langues étrangères. Un charme très particulier règne dans ce lieu avec des fauteuils anciens, des affiches vintage, des livres éparpillés sur des tables, des étagères et des piles au sol... La littérature française mettait à l'honneur l'immense Kundera...  Prague m'a réservé de très beaux moments : le Pont Charles, le Château, la Vlata, Kafka, Kupka, Cerny, les Palais, les bibliothèques baroques, les églises, les statues, les trams, l'art nouveau, Wei-Wei, etc. Une très belle ville à visiter sans tarder avant qu'elle ne connaisse le sort funeste du tourisme de masse que l'on vit quand même sur le Pont Charles... Mais, il reste encore des lieux de charme et d'envoûtement à Prague... 

jeudi 18 mai 2017

Prague, 5

La ville de Prague n'est pas réputée pour ses musées alors que Berlin, Rome, Madrid, Londres surpassent de très loin l'offre muséale. Quelle fut donc ma surprise de découvrir deux très belles institutions : la Galerie Nationale d'Art moderne et le Palais Stenberg ! L'art moderne est présenté dans un immeuble fonctionnaliste des années 20 bien que son nom officiel (Palais Veletrzni) évoque un bâtiment ancien, rénové en 1995. Extérieurement, j'ai confondu cet immense immeuble avec un complexe de bureaux administratifs. Mais, dès que je suis entrée, j'ai vu l'intérieur d'un paquebot tout blanc avec cinq étages, surplombant un espace intérieur. Dans ce lieu, digne de notre Beaubourg parisien, j'ai découvert des peintres tchèques : Kupka, Toyen, Sima, Filla, Kubista. J'ai retrouvé nos artistes nationaux : une bonne dizaine de Picasso, des Braque, Bonnard, Van Gogh, Matisse, Courbet, et bien d'autres. Kupka en particulier m'a vraiment intéressée. Cet artiste novateur appartient à la mouvance de l'abstraction lyrique et dans ces tableaux ultra-colorés, le peintre utilise les formes géométriques circulaires, verticales, horizontales dans un ballet constant de mouvements variés. Il a inventé l'orphisme, une harmonisation des sons, des couleurs et des formes. Ce peintre magique, très original, symbolise l'esprit inventif et fantasque de Prague. Il aura marqué intensément mon escapade tchèque. Dans cette galerie, une surprise géante m'attendait. L'artiste chinois, Wei-Wei, a installé un canot pneumatique de 70 mètres de long avec à son bord, 258 mannequins représentant des réfugiés. L'embarcation plane dans l'espace et son image se reflète dans un miroir. L'artiste contestataire adresse un message au monde politique pour leur rappeler les Droits de l'homme. Pour cet artiste, les réfugiés sont des citoyens du monde. J'étais vraiment remuée de voir une œuvre aussi puissante. Rien de tel dans la Galerie nationale du Palais Stenberg, située dans le quartier du Château royal. Ce beau palais présente une collection de peintures européennes du XVe siècle au XIX. J'ai surtout apprécié des Cranach, Dürer, Rubens, Tintoret, Guardi et surtout un festival de natures mortes exceptionnelles... De l'art ancien à l'art moderne, Prague recèle des trésors artistiques et les musées devraient attirer beaucoup plus de visiteurs. Tant mieux pour mes déambulations dans ces lieux magiques... Je n'oublierai jamais la vision d'un Bruegel l'Ancien, "la Fenaison",  dans le palais Lobkowiczi...

mercredi 17 mai 2017

Prague, 4

La ville de Prague s'est emparée de l'image de Kafka. Pragois de naissance et germanophone, cet écrivain majeur de la littérature mondiale m'a toujours fascinée pour son œuvre à la croisée du fantastique et de la philosophie. Sa culture juive influence ses écrits par le sentiment "étrange" qu'il éprouve de se sentir toujours un peu "étranger" au monde. Je suis donc partie sur ses traces et j'ai, dès le lundi, visité le musée Franz-Kafka dans le quartier Kampa qui longe le fleuve, la Vlata. Dès que l'on pénètre dans ce lieu assez modeste, situé sur une placette, la lettre K attend les amateurs de littérature. Le pauvre Kafka n'a jamais connu la reconnaissance de ses pairs à son époque (1883-1924) et serait étonné de voir sa vie ainsi étalée et décortiquée. Le musée propose des vitrines remplies de documents privés, de ses publications, des photos de ses compagnes éphémères dans une ambiance très noire, nimbée d'une lumière blafarde qui accentue le côté sombre et angoissant de son œuvre.  Des documents vidéos complètent la collection. Une petite salle comporte un meuble noir avec des rangées de tiroirs qui symbolisent la froideur de la bureaucratie kafkaïenne. Kafka souffrait de dépression et de phobie sociale. Il est mort de la tuberculose. Cet état permanent dans la maladie a certainement contribué à la noirceur de son univers qui annonce la notion de l'Absurde de Camus et l'existentialisme de Sartre. J'ai aussi vu sa maison "A la minute" où il a vécu avec ses parents dans la place de la vieille ville. J'ai déjeuné au Café Louvre où il se réunissait avec ses amis. J'ai parcouru la célèbre Ruelle d'or où il séjournait chez sa sœur. En dehors des maisons et des institutions, j'ai rencontré Kafka dans deux œuvres d'art. La première est une tête gigantesque de David Cerny (2004), haute de onze mètres, composée de 42 plaques superposées en aluminium et toujours en mouvement. La deuxième se situe au cœur de l'ancien quartier juif et montre un Kafka sans tête, en bronze et sur l'épaule de ce corps, campe un Kafka dans un corps d'enfant. Cette sculpture (2004) de Jaroslav Rona symbolise certainement l'esprit déroutant de l'écrivain... Prague avec Kafka comme Lisbonne avec Pessoa célèbre la littérature et même si ce phénomène commercial peut agacer les puristes, j'apprécie cet éloge au génie littéraire... 

mardi 16 mai 2017

Prague, 3

Mon hôtel se situait idéalement tout près du Pont Charles (Karluv most) que j'ai traversé une bonne dizaine de fois. Cet endroit central rythme la vie de Prague. Ce pont piétonnier, long de cinq cents mètres et large de dix mètres,  relie la vieille ville au quartier Mala Strana. Des milliers de touristes le traversent et cet afflux permanent gâche un peu la beauté de ce lieu unique qui date du Moyen Age. Une quarantaine de statues religieuses ponctue les parapets. Leur noirceur étonne car il est impossible de les rénover à cause de leur fragilité. Le temps les obscurcit et cette couleur sombre leur donne une aura particulière, nimbée de mystère, surtout la nuit. Il faut donc éviter si possible le pont entre 10h et 20h. J'ai préféré donc me balader la nuit, plus propice à la magie pragoise. La masse des touristes téléguidés s'est évaporée comme une nuée de moineaux et j'ai pris le temps de flâner sur le pont en écoutant des musiciens, en admirant le Château royal illuminé au loin sans oublier les tours, les clochers, les églises, le fleuve et les environs. Le terme "Praga magica" se savoure dans ces moments là. Les visiteurs vivent, alors,  une intimité avec cette cité millénaire pendant que toutes les formes architecturales s'estompent, les bruits de la ville s'étouffent, les couleurs se fondent dans un gris bleuté romantique. J'ai ressenti la magie de la ville à tous moments, mais surtout en fin d'après-midi et le soir. J'ai consacré une journée pour le Château, dominant la ville de toute sa splendeur. J'ai évité la foule du matin en pénétrant dans les jardins royaux où un militaire m'a fouillée pour des raisons de sécurité. Traverser ce parc était un enchantement avec la présence d'arbres centenaires, de massifs de fleurs et de statues. Alors que les touristes choisissent le Château (beaucoup de scolaires aussi), la galerie de peinture n'attire quasiment personne. Rodolphe II avait constitué les collections et j'ai retrouvé Lucas Cranach que j'admire particulièrement. Le Château royal mérite le détour pour son immense salle Vladilas, un chef d'œuvre du gothique flamboyant. La cathédrale Saint-Guy offre une belle surprise pour ses dimensions grandioses, ses vitraux, ses chapelles et son kitsch baroque. J'ai préféré la basilique Saint-Georges, un écrin roman d'une pureté absolue. Des vestiges de peintures du XIIe siècle sont visibles dans le chœur. J'ai terminé la visite de cet ensemble par la célèbre Ruelle d'or, composée de maisonnettes transformées en boutiques de souvenirs et en musées ethnographiques. Mais, la foule des touristes m'a vraiment découragée pour apprécier cette petite rue enchâssée entre la cathédrale et le Château royal. Du haut des jardins, Prague s'étage et s'étale tout au long du fleuve et constitue un panorama unique. Je savais que cet espace très prisé serait saturé de visiteurs (dont moi, évidemment), mais j'ai eu de la chance ce mardi matin d'arpenter ce lieu sans attendre des heures pour arpenter le Château et les sites voisins... Une visite incontournable, prioritaire dans une escapade de cinq jours... 

lundi 15 mai 2017

Prague, 2

Dès que je suis arrivée à Prague le lundi matin, j'ai ressenti une ambiance différente de toutes les capitales européennes que j'ai visitées. L'aéroport se nomme Vaclav Havel, une icône politique essentielle pour comprendre le passé mouvementé de la Tchécoslovaquie qui s'est scindée en deux pays distincts dans les années 90. Prague ne se résume pas qu'au Pont Charles, au Château et aux cent clochers. Cette cité millénaire s'est construite au fil des siècles. Des Celtes aux tribus germaniques, des Slaves aux Tchèques, du Saint Empire Germanique au règne de Charles IV qui fit construire le Château et le Pont, le christianisme s'est diffusé malgré la révolution "hussiste" (Jean Hus s'opposait à la richesse scandaleuse de l'Eglise et il fut exécuté). Au début du XVIe siècle, les Habsbourg règnent à Prague et attirent les artistes dans le cadre humaniste de la Renaissance. Puis, Rodolphe II, le monarque loufoque et éclairé dote le pays de collections d'art très importantes. Après 1620, une guerre de religion entre catholiques et protestants déchire le pays et dure trente ans. Les Catholiques écrasent leurs adversaires dans la bataille célèbre de la Montagne Blanche. Au XVIII, l'esprit baroque triomphe dans l'art et la tolérance envers la communauté juive de la ville est pratiquée grâce à Joseph II. Au XIXe, le panslavisme s'intensifie et s'impose face à la culture allemande. En 1918, la République tchèque est proclamée et la démocratie s'installe jusqu'en 1938. Hitler s'empare du pays en 39 et en 45, l'armée russe reçoit un accueil triomphal... Les années de plomb asphyxient l'atmosphère pragoise jusqu'au Printemps de Prague en 1968.  Mais, la liberté démocratique s'interrompt avec l'entrée de 400 000 soldats russes dans la ville. Milan Kundera s'exile en France et beaucoup d'intellectuels sont obligés de quitter le pays. Mais un homme, Vaclav Havel va libérer son pays avec son mouvement contestataire, le Forum civique. Il est élu président en 1989. Dans les années 90, le pays se divise en deux entités : la Tchéquie et la Slovaquie. En 2004, la Tchéquie rejoint l'Europe... Ce tableau plus que bref peut donner une toute petite idée de l'Histoire pragoise. Je ne visite jamais une capitale sans connaître le contexte historique, clef de lecture de tous les monuments patrimoniaux. Prague compte aussi un million trois cent mille habitants et se situe à trois cents cinquante kilomètres de Berlin... Un brin d'Histoire, un tout petit brin de géographie, et me voilà de nouveau à Prague pour quelques billets dans ce blog. 

samedi 6 mai 2017

Rubrique Cinéma

Dès que le cinéma se saisit de la littérature, je ne manque pas ce rendez-vous. Cet après-midi, j'ai vu "Emily Dickinson, a quiet passion" du réalisateur Terence Davies. Ce film britannique et belge raconte la bouleversante biographie de la poétesse américaine au cœur du XIXe siècle. Les premières images frappent tout de suite les spectateurs par une austérité voulue qui va "montrer" l'ambiance psycho-rigide d'un monde soumis à la religion protestante. La pauvre Emily étouffe dans le milieu patriarcal où les femmes ne connaissaient pas la liberté d'aujourd'hui. La famille Dickinson est réunie dans le salon : son père autoritaire et croyant rigoureux, sa mère toujours silencieuse, sa sœur et son frère proches d'elle. Emily demande à son père la permission de composer des poèmes dès trois heures du matin. Une femme ne doit pas se conduire ainsi dans ce monde ordonné à l'extrême. Les doutes métaphysiques d'Emily effrayent sa famille et choquent son entourage. Il ne se passe presque rien dans sa vie quotidienne. Emily s'abstrait du monde social et amical. Elle ne vit qu'avec ses parents et sa sœur. Au fond, le cinéaste raconte la "passion" (dans le sens religieux)  d'Emily : la poésie, sa seule et unique consolation dans ce monde si peu fait pour les femmes. Dans le journal Le Monde, le critique compare Emily à une "recluse" volontaire, une sainte laïque... Elle coud des petits carnets dans lesquels elle dépose ses poèmes. La poétesse n'était pas reconnue à son époque et quand, enfin, elle rencontre un pasteur qui apprécie son œuvre, sa vie en est justifiée. Le film montre aussi la disparition de ses parents et elle-même s'éteint dans des souffrances atroces (scènes un peu pénibles...). Terence Davies film avec émotion la personnalité attachante et entière d'Emily Dickinson, sa vie consacrée à la poésie, sa solitude absolue malgré la présence de ses proches. Il nous reste maintenant à lire les poèmes d'Emily...

vendredi 5 mai 2017

Prague, 1

Après Rome, je pars à Prague dès le lendemain des élections. Comme d'habitude, je prépare mon escapade avec des livres. Les guides m'aident à organiser mon séjour du lundi au vendredi. Evidemment, je n'ai pas à choisir tel ou tel musée ou site car je dispose de temps pour visiter la ville sans me bousculer... Le Routard, le guide Voir Hachette, le cartoville me sont toujours fort utiles pour apprendre l'essentiel. J'établis aussi des fiches par quartier pour noter toutes les églises, les monuments, les places, etc. J'ai aussi appris beaucoup sur la culture tchèque et j'avoue que je ne connaissais pas les sculpteurs célèbres et les peintres modernes (à part Toyen et Kupka). La ville qui m'attend, semble posséder un charme envoûtant qui trouble pour longtemps les visiteurs. Peut-être vais-je encore rencontrer trop de touristes surtout en mai... Je tenterai de chercher des lieux moins fréquentés, plus discrets ou secrets. Je rêve certainement... Pendant ces derniers quinze jours, j'ai commencé à me plonger dans l'atmosphère pragoise. J'ai lu "Praga magica" d'Angelo Ripellino, édité chez Plon dans la belle collection, "Terre humaine". Cet ouvrage documentaire est sorti en 1973 en Italie et traduit vingt ans plus tard en France. Ce livre baroque relève de "l'essai d'anthropologie culturelle" où l'écrivain italien démêle les influences tchèque, allemande et juive dans la capitale pragoise. On y croise les écrivains, les rois, les intellectuels ayant joué un rôle majeur dans le pays. Parfois, on s'y perd un peu à cause des multiples références historiques et littéraires. J'ai surtout apprécié les portraits de Kafka, de Rodolphe II et de la culture surréaliste de Prague. Golem, astrologie, Arcimboldo, Ruelle d'or, Pont Charles, le Château, la Moldau, Jean Hus, les statues, reviennent dans le texte comme un leitmotiv lancinant et chatoyant... J'ai aussi relu un roman de Milan Kundera, "Le livre du rire et de l'oubli" que j'avais beaucoup aimé à l'époque (1978). Et je me suis souvenue de la chape de plomb que représentait le communisme avec des milliers de tchèques partis en exil et de tous ceux qui ont été dans les camps. Milan Kundera que j'admire beaucoup est venu en France en 1975 et raconte dans ce roman-récit l'ambiance totalitaire du pays qui pourchassait les intellectuels comme en URSS. Avec son humour dévastateur, il dénonce la naïveté de tous ceux qui croient à "l'idylle" idéologique... J'étais heureuse de retrouver cet immense écrivain que je vais relire cet été... Dans ma valise, j'emporte le "Journal" de Kafka et le roman de Sylvie Germain, "La passante des rues de Prague". La littérature m'accompagne à tous moments et je pars aussi sur les traces de Kafka dont l'œuvre me fascine depuis très longtemps. Prague magique, Prague baroque, Prague littéraire, Prague Art nouveau, voilà la culture mosaïque de la capitale tchèque que je vais découvrir la semaine prochaine...

jeudi 4 mai 2017

Dimanche, la liberté

Dans trois jours, le pays va choisir son président. J'ai suivi beaucoup de débats à la télévision, lu pas mal d'articles sur les élections. La politique m'intéresse beaucoup comme toute bonne citoyenne. Voter pour une femme est une victoire "récente" qui ne date que de 1945... Je ne vais pas me priver de ce droit fondamental... Je suis devenue bibliothécaire en 1985 et pendant toute ma carrière, j'ai travaillé pour le partage de la culture, du savoir, de la connaissance. La littérature se définit par l'art de la nuance, la présence du doute, le respect de tous les mondes possibles. A une époque, tous les professionnels des bibliothèques redoutaient avec terreur les mairies atteintes par le syndrome FN car nous savions que leur censure écarterait des rayons, certains livres sur l'homosexualité, la parentalité différente, etc. A l'époque, les professionnels du livre avaient même créé une association défensive. Heureusement, je n'ai pas dû affronter ces élus liberticides. Je crains les extrêmes, tous les extrêmes de gauche comme de droite. J'ai écouté hier le seul candidat qui me rassure, loin des mensonges et des maquillages historiques de son adversaire redoutable. J'ai apprécié l'anecdote pourtant courte dans son discours sur Paul Ricoeur, qui, agressé par un étudiant, lui a répondu que son autorité professorale était légitimée parce qu'il avait lu. La lecture atténue l'ignorance, éloigne peut-être le malheur de la bêtise. Mon besoin de réfléchir, de me faire une opinion sur tel ou tel événement, basé sur la vérité correspond à un souci de mesure, de tempérance et de recul. La dame funeste du FN ne semble pas du tout apprécier les journalistes, les artistes, les intellectuels qu'elle condamne avec un mépris sans précédent. Le peuple serait-il hors de la sphère culturelle ? La République qu'elle s'approprie ne ressemble en rien à ses idées mortifères. Quelle hold-up scandaleux ! Dans son entourage, je n'ai aperçu aucun écrivain, aucun artiste, aucun philosophe. Le débat d'hier a montré son incompétence, ses outrances, ses aboiements indécents. Alors dimanche, j'irai voter pour la liberté des femmes, pour la tranquillité des homosexuels et des immigrés, pour le respect de toutes les cultures, pour l'amour des livres, pour la culture, clé de la bonne, belle et harmonieuse vie comme le disent les Grecs anciens. Il faut choisir définitivement la liberté et les valeurs de la République ! J'avais envie d'exprimer mon choix et malgré une crainte pour l'avenir du pays avec tous ces millions de compatriotes, tentés par les extrêmes, j'espère que, dès lundi, notre pays restera rivé à l'Europe, le seul espace où l'on respire à pleins poumons les plus belles valeurs de la civilisation occidentale. 

mercredi 3 mai 2017

Collection de mots

J'ai déjà parlé de mon goût des collections. A une certaine époque, je collectionnais les cartes postales anciennes sur le féminisme et les métiers féminins, les stylos, les carnets, les marque-pages, les encriers, les livres sur Vieira da Silva, les Pléiade, les premiers livres de poche des années 60, les catalogues de musée, etc. Cette frénésie accumulative s'est tarie au fil du temps et par manque de place, heureusement... Je conserve quelques cartons de ces trésors sans poursuivre la chasse à ces objets souvent liés à l'écriture et aux livres... Il vaut mieux collectionner de l'immatériel. J'ai commencé à apprendre le grec ancien avec Evelyne, ma professeur patiente et généreuse et j'ai eu l'idée de collectionner les mots grecs ! C'est léger, ludique et bénéfique : cette manie bizarre apporte le calcium nécessaire à ma mémoire parfois défaillante. J'ai donc pris un carnet bleu et je commence à écrire sur la colonne de gauche le mot grec sans sa traduction en face. Je préfère apprendre, retenir, mémoriser et ensuite, je déposerai avec un sentiment triomphal le mot français dans la colonne de droite. Après trois ans d'apprentissage du grec ancien, j'ai besoin d'établir un bilan concernant les règles grammaticales, les conjugaisons et le vocabulaire. Car, pour que la mémoire capte dans ses filets tout ce nouveau monde linguistique, il faut travailler régulièrement  et je pratique cette discipline vingt minutes par jour. J'avoue que je peux décrypter une version avec l'aide précieuse et irremplaçable d'Evelyne. Ce patrimoine intellectuel de presque trois mille ans doit être absolument sauvé, sauvegardé, adulé, transmis de génération en génération. Je réalise ce rêve de me retrouver dans la mentalité des Grecs anciens en apprenant leur langage. J'avais appris le latin en trois ans à l'université et le grec me manquait beaucoup. Grâce à Evelyne, je me suis enracinée dans la culture gréco-romaine. Comment ne pas aimer l'Europe quand elle nous a offert la Grèce, l'Italie, l'Espagne sans parler de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la Scandinavie et de tous les autres pays ? Collectionner les mots grecs ne prend pas de place, n'encombre pas les étagères. Mon petit carnet bleu devrait comporter un millier de mots et je vais choisir les plus beaux ! Ma collection immatérielle pourra s'enrichir et je remplirai un deuxième carnet et un troisième, etc.   

mardi 2 mai 2017

Rubrique Revues littéraires

Le Magazine littéraire du mois de mai propose son dossier central sur un écrivain qui entre, enfin, dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Cet écrivain original et exemplaire se nomme Georges Perec (1936-1982). Je l'ai lu depuis de nombreuses années et j'avais beaucoup aimé "Les choses", "La vie, mode d'emploi", "Espèces d'espaces", "W ou le souvenir d'enfance", "Classer, penser". Je suis donc ravie qu'il côtoie dorénavant les grands contemporains comme Kundera, René Char, Yourcenar, Gracq pour ne citer que mes auteurs préférés... Dans l'article introductif, Hervé Aubron écrit qu'il ne faut pas réduire Perec à un "gymnaste prodige". Il ajoute : "La perfection de son écriture est d'autant plus admirable qu'elle reposait sur le comble de la vulnérabilité : la cathédrale de cristal avait poussé sur des sables mouvants". Un de ses amis, Harry Mathews, résume le destin littéraire de Perec : "Sans famille, sans collectivité où s'insérer, il a fait de la littérature le monde où il allait trouver, où il allait recréer, un foyer et même un pays". Ce dossier me redonne envie de relire cet écrivain singulier, d'une modernité d'avant-garde, mort trop jeune, à 46 ans... La revue évoque aussi Christine Angot, Pascal Quignard, les nouveautés, le compte d'auteur, un spécial Polar et d'autres rubriques diverses. Un numéro très intéressant. La couverture de la revue Lire reprend la fresque extraordinaire de Raphaël, "L'Ecole d'Athènes" pour illustrer le dossier central sur les sagesses antiques. Que ce sujet revienne régulièrement dans la presse littéraire ne m'étonne pas du tout. Julien Besson, le rédacteur de Lire, invite les lecteurs à parcourir les chemins des philosophes, loin du marketing du développement personnel et des coachings en tous genres. Ces textes peut-être trop vulgarisés apportent une ouverture pour se baigner dans ce monde de sagesse qui, au fond, n'a jamais disparu pour mon plus grand plaisir... Philosopher à l'antique, c'est aussi chercher quelques réponses à notre "vivre" contemporain. Les articles concernent la recherche du souverain bien, l'hygiène du corps et de l'âme, les mots et les doctrines, les Anciens et les Modernes, une enquête sur les professeurs de bonheur, un entretien avec Alexandre Jollien. Des lectures salutaires en ces temps perturbés... On retrouve les critiques de romans, d'essais sortis en librairie et un entretien avec le romancier espagnol, Arturo Pérez-Reverte. Une revue utile pour s'informer des nouveautés et des tendances éditoriales.

lundi 1 mai 2017

"Vie de ma voisine"

Geneviève Brisac raconte dans son dernier livre, "Vie de ma voisine", le destin de Jenny, une voisine qui l'invite chez elle pour évoquer Charlotte Delbo. Cette femme communiste, déportée dans les camps de concentration, a écrit des témoignages précieux pour relater l'horreur du nazisme. Cette admiration commune pour Charlotte Delbo conforte leur relation amicale. Geneviève Brisac va composer son roman vrai en prenant Jenny comme personnage principal. Née à Paris en 1925, Jenny échappe par miracle à la rafle du Vel' d'Hiv, le 16 juillet 1942. Ses parents, juifs polonais, immigrés en France, sont arrêtés et ne reviendront jamais. Ils s'appelaient Rivka et Nuchim Plocki. Jenny raconte la vie de ses parents, militants communistes, obligés de fuir leur pays. Sa mère lui donne très vite le goût des livres et de la liberté. Geneviève Brisac retranscrit les paroles de Jenny, les anecdotes sur son enfance à Vincennes, le commerce modeste de ses parents, les manifestations dans les années 30, la visite en Pologne pour aller voir ses grands-parents, la traversée de Berlin où la peste noire sévit déjà. L'écrivaine ressent une nostalgie des luttes sociales : "Je l'envie, j'aurais aimé vivre cet élan, la grève générale, les manifestations, les occupations, la victoire que sont les accords de Matignon, les congés payés, la semaine de quarante heures". Jenny a traversé le siècle en liant une amitié indestructible avec Monique, rencontrée à l'école élémentaire : "elle dit, ma copine, elle dit cela avec humour et pudeur, consciente du trésor qu'est ce dialogue profond et constant depuis trois quarts de siècle". Jenny mène une vie normale entre jeux et école, vélo et liberté. Le 1er septembre 1939, la guerre éclate. En 40, le statut des Juifs est publié depuis Vichy. La ségrégation commence. Que va faire sa famille ? Ils se déclarent par "obéissance et honnêteté". La vie de Jenny bascule après la déportation de ses parents. Jenny raconte l'humiliation de l'étoile jaune, la faim, la peur, l'horreur. Monique et sa famille prennent soin de Jenny et de son frère. En 1945, les deux amies passent le baccalauréat. Elle commence sa vie d'adulte en devenant une militante socialiste active et surtout consacre sa vie à l'éducation des enfants. L'écriture efficace de Geneviève Brisac recompose les moments de vie les plus importants de Jenny. Ses deux femmes, l'une en  témoignant, l'autre en mettant en forme les mots, célèbrent avec simplicité et empathie, la mémoire des Résistants et donnent l'envie de fraternité... "Vivez et espérez" avait écrit le père de Jenny lors de son voyage vers la mort...