jeudi 28 avril 2022

"Le parti d'Edgar Winger"

 J'ai découvert l'année dernière un nouvel écrivain français, Patrice Jean. Son roman magistral, "La poursuite de l'idéal" m'avait frappée par sa justesse de ton, son style classique et son sujet décapant. Un roman balzacien adapté à notre temps. Il propose depuis un mois un nouveau titre chez Gallimard, "Le parti d'Edgar Winger". Le narrateur, Romain Bisset, a rompu avec sa famille bourgeoise, des "dominants" inexcusables, pour rejoindre les rangs de la Révolution avec un grand R, le Parti révolutionnaire. Il s'engage donc avec une kyrielle de militants d'une intolérance dogmatique risible aujourd'hui. Dans ce groupe, une "né-féministe", Alexia Milton, et un Robespierre de pacotille, Gauthier Delville, lui confient une mission secrète : retrouver un célèbre théoricien des luttes, un idéologue très apprécié, en la personne d'Edgar Winger. Patrice Jean s'attache à se moquer avec une allégresse communicative les délires politiques de ces militants sectaires qui vivent dans une "réalité parallèle". Voilà notre jeune homme à Nice sur les traces du philosophe marxiste-léniniste, évanoui dans la nature. Il rencontre une jeune caissière dans une superette et s'entiche d'elle. Il se renseigne sur l'existence de cet Edgar Winger et deux jeunes lui faisant croire qu'ils connaissent l'idéologue lui tendent un piège et le rouent de coups. Ce héros malheureux d'un projet révolutionnaire utopique et inapplicable finit par dénicher notre Edgar, le penseur fantôme et fantoche au fin fond de l'Allier. Il est retiré du monde et vit avec sa sœur. Il accepte de parler avec Romain et celui-ci découvre, ébahi, le tournant idéologique du maître à penser. Plus d'anticapitalisme, aucune perspective politique dans la bouche du philosophe mais un engouement pour la poésie et pour la littérature. Quelle désillusion pour le jeune homme ! L'ermite caché s'est métamorphosé et le roman se termine par une longue lettre où Edgar Winger se confesse sur les raisons de son retrait de la société et des luttes politiques : "Les gens se jettent à corps perdu dans la lutte politique pour oublier que le Mal est en eux et pour s'énivrer des encens du Progrès". Ce roman politico-philosophique dénonce avec un humour féroce les dérives d'une idéologie gauchiste, tendance extrême et pose des questions importantes sur l'engagement aveuglant, le dogmatisme déformant, l'intolérance étouffante. Je ne révèlerai pas le secret d'Edgar Winger, il vaut mieux lire ce texte percutant, audacieux et délicieusement "incorrect". D'une facture classique, ce livre atteint son objectif pour un grand plaisir de lecture. Un écrivain français incontournable, à suivre, dorénavant.