lundi 26 juillet 2021

"Rue Cinq-Mars"

 Michel Crépu, écrivain et directeur de la Nouvelle Revue Française (NRF pour les intimes), a évoqué son père dans un récit aux allures proustiennes, "Un jour", publié en 2015. Ce récit bref et émouvant, "Rue Saint-Mars", (à peine 85 pages), se lit avec beaucoup d'intérêt. J'apprécie les chroniques souvent pertinentes de cet homme de lettres discret et efficace dans son blog de la revue. Dans son récit autobiographique, Michel Crépu raconte la vie de sa mère, couturière de métier à Paris, "Première main qualifiée" chez le couturier Lucien Lelong. Dès la première page, sa mère apparaît dans sa fin de vie, pensionnaire dans une maison de retraite : "Je n'aimais pas la chambre où ma mère est morte. (...) Elle semblait indifférente aux photographies de famille que nous avions placées sur sa table de chevet en même temps que le crucifix. L'indifférence de ma mère tenait d'une pierre grise, rêche, mystérieuse". L'univers de sa mère s'apparente à la description de Marcel Proust d'une France provinciale : "La province, ce n'est pas autre chose que le monde des traces et des échos enfuis, et en même temps, toujours là". Le narrateur retrace quelques souvenirs dans sa généalogie familiale : "J'écris comme cousait ma mère, millimètre par millimètre. Sans les mots, je ne suis que vacarme, un remuement de casseroles". Ses réflexions sur la famille parsèment le texte avec des expressions lapidaires : "Les familles ne sont que des agrégats en cours de désintégration lente". Au fond, il se pose la question de la personnalité étrange de sa mère, la trouvant "douce et dure" à la fois mais il sait qu'elle a aimé ses enfants. Il évoque aussi son métier de couturière dans un Paris chic, les années 60, les relations familiales et surtout sa vieillesse silencieuse : "Ma mère est devenue un morceau de silex. Le silex n'est pas causant, il ne réponde pas quand on lui parle, il est ce qu'il est". Le mutisme maternel l'interroge : "A quoi pense ma mère ? Ou bien : Qu'est-ce qui la pense ?". Michel Crépu avoue sa difficulté de décrypter cette femme sans histoire et qui restera à tout jamais un mystère insondable. Ce texte puzzle mélange les personnages, les souvenirs et les traces sans respecter la chronologie. Mémorialiste d'un passé insaisissable, il se heurte à une mère insaisissable. Un constat lucide pour cet écrivain subtil au style d'une élégance classique assez rare aujourd'hui.