mardi 15 décembre 2020

"Thésée, sa vie nouvelle"

 Camille de Toledo est l'auteur d'un livre, un objet littéraire hybride, l'OVNI de la rentrée de septembre, au titre symbolique : "Thésée, sa vie nouvelle". Cet ouvrage, publié chez Verdier, a failli obtenir le Prix Goncourt mais sa tonalité désespérante a certainement provoqué des hésitations pour le promouvoir en tête de liste. Comme la période semble déjà assez pesante avec la crise sanitaire, choisir un tel récit n'aurait pas remonté le moral des troupes "lectorantes". Je craignais de sombrer dans un abattement sans fin en le lisant mais j'ai résisté à la vague tragique de cette prose tremblante d'effroi. Le narrateur ressent une douleur permanente dans son corps : vertiges, chutes, dépression. Il part à Berlin avec ses enfants pour fuir la France. Il porte en lui un chagrin insupportable car son frère s'est suicidé en se pendant. Il n'a pas pu le sauver treize ans avant et ce lourd passé le hante. Il a aussi perdu sa mère un an après la mort de son frère et son père aussi a disparu. Cette succession de deuils finit par le paralyser car il est devenu le dernier survivant d'une famille dévastée. Le jeune Thésée s'attèle à une reconstitution du passé familial grâce à des archives pour trouver des explications au geste de son frère Jérôme. Ses recherches aboutissent à la découverte d'un aïeul, Talmaï, d'origine juive, un arrière-grand-père, le premier de la lignée qui a été naturalisé français. Il s'est suicidé à la veille de la guerre de 39. Son frère, Nissim, a été tué en 1918, juste avant la victoire. Le narrateur évoque ces destins tragiques, "le choc des ancêtres", dont les 'fantômes persistent à vivre en lui". Il sent dans sa chair "l'effondrement de ses os, de ses reins, de ses dents, qu'il est ça : un frère attaché au frère, relié à une histoire de la peine et de la perte". Ses aïeux, des juifs marranes, ont-ils transmis aux générations suivantes la nécessité du secret ? Camille de Toledo dans un entretien, parle de "psychogénéalogie" pour décrypter les secrets traumatisants, enfouis dans la mémoire familiale. Talmaï a eu trois fils, dont l'un a subi la déportation à Buchenwald, un autre est devenu un grand patron de gauche, Nathaniel, le grand-père du narrateur. Sa fille Esther se marie avec Gastby, et le couple donnera naissance à Jérôme et à Thésée. Thésée accuse ses parents de négligence et d'indifférence, se préoccupant plus de leur réussite que de leurs fils. Le narrateur est devenu un "homme-mère" très attentif à ses trois enfants. Il rompt ainsi la chaîne dramatique de sa filiation. Ce livre ressemble à un chant funèbre, un peu trop funèbre tellement ce texte porte une lamentation lancinante. Camille de Toledo précisait dans son récit, "Vies potentielles", "J'attends des livres qu'ils aient l'intensité d'une prière. Une prière sans Dieu où il ne reste que l'homme". Ce récit m'a laissée dans une grande interrogation : est-ce un texte émouvant, puissant, essentiel sur l'identité, sur la transmission ou est-ce un texte excessif sur la plainte récurrente d'une assimilation violente à la culture occidentale ? Ce livre troublant, un patchwork de fragments, de photographies, d'archives familiales, peut dérouter et chacun(e) se fera sa propre idée en le découvrant. Camille de Toledo s'est inspiré de la mythologie grecque pour raconter son histoire familiale en creusant un labyrinthe généalogique sans trouver peut-être la sortie.