mercredi 25 janvier 2017

Jeudi des Livres, 4

Pour entrer dans l'univers de Virginia Woolf, il vaut mieux contourner l'ensemble des romans et choisir un ouvrage plus accessible. J'ai conseillé "Une chambre à soi", publiée dans la collection 10/18 et traduit par Clara Malraux. Cet essai, composé en 1929, fait partie des nombreux écrits non-fictionnels de l'écrivaine et correspond à un constat lucide et implacable de la condition des femmes à l'époque victorienne et patriarcale. Il faut se souvenir que les femmes ne pouvaient pas s'inscrire à l'université, voter, avoir une indépendance économique, sans parler de la disposition de leur corps... Virginia (je n'écris que son prénom, tellement je la considère comme une sœur, une amie, une mère spirituelle...) pose la question scandaleuse de la pauvreté des femmes et surtout de leur absence dans la création littéraire. Avec un humour dévastateur et caustique, elle se moque allégrement des hommes qui ont écrit des milliers de livres sur les femmes  sans vraiment les connaître. Ces pages détiennent encore aujourd'hui une vérité et une force prémonitoires. Elle sait par expérience qu'elles, comme le dira Freud, demeurent le "continent noir" de l'Histoire. Virginia Woolf imagine une sœur dans la vie de Shakespeare : "Elle avait l'imagination la plus vive, le même don que son frère pour la musique des mots. (...) Elle se tint devant l'entrée des artistes." Le monde des hommes faisait obstacle et se moquait des velléités créatrices des femmes. Virginia Woolf utilise les termes "hostilité, indifférence du monde à leur égard". Sa colère monte au fil des pages devant cette injustice criante et cruelle. Plus loin, elle écrit alors que les bibliothèques sont interdits aux femmes (on revient de loin...), "Fermez vos bibliothèques, si cela vous plaît, mais il n'est ni porte, ni serrure, ni verrou que vous puissiez dresser contre la liberté de mon esprit !". Virginia Woolf a démontré par sa vie et par son œuvre, sa liberté de créatrice, sa passion des mots et de la littérature. Son ouvrage, "Une chambre à soi", n'est pas du tout démodé, décalé, hors sujet... Bien au contraire, aucun acquis sociétal pour les femmes n'est gravé dans le marbre... Mais, comme le suggère l'écrivaine, si une femme veut écrire, elle peut réaliser son rêve sans imiter les hommes et en apportant sa touche personnelle irremplaçable et unique... Ce pamphlet féministe remue, bouscule, décrit une injustice majeure faite aux femmes pendant des siècles : leur pauvreté qui a empêché l'émergence de la création littéraire dans un lieu bien à elle.