jeudi 29 octobre 2015

"Madame H"

Dès qu'un livre de Régis Debray sort en librairie, je cours l'acheter avec un grand plaisir. Une voix comme celle de Régis Debray m'intéresse car elle fait partie d'une génération des grands intellectuels généralistes comme Alain Finkielkraut. Je ne vais pas rappeler son engagement auprès de Che Guevara, son emprisonnement en Bolivie, sa libération et son retour en France. Il s'est mis au service de François Mitterrand en 1981 comme conseiller personnel. En même temps, il poursuit une œuvre littéraire avec ses récits de vie, sorte de journal intime en continue sur sa vie politique et intellectuelle. Je me souviens en particulier de sa passionnante trilogie "Apprendre à vivre" avec "Les Masques", "Loués soient notre Seigneur" et "Pour l'amour de l'art", tous écrits dans les années 90. Je suis restée fidèle à cet écrivain iconoclaste, agaçant pour les uns, fascinant pour les autres. Sa force réside dans sa vie de philosophe des idées qu'il transmet dans un style inimitable, ramassé, percutant, brillant. Son parcours exceptionnel dans la politique, la nouvelle science qu'il a développée que l'on appelle "la médiologie" ou comment la technique a changé le monde peuvent dérouter le lectorat mais son immense curiosité basée sur une érudition classique  façonne une œuvre exigeante et profonde. Son dernier pamphlet, "Madame H" commence par ces phrases : "Ce fut par un beau dimanche d'été, de tôt matin. Après avoir atterri au Bourget, le chancelier faisait le tour d'un Paris désert, vidangé par l'exode, toute circulation interdite". L'auteur définit l'Histoire comme un dépassement de soi, un héroïsme qu'il a, dit-il, lui-même raté car né trop tôt ou trop tard... Il nous joue la nostalgie quand il se souvient du passé, celui des jetons pour téléphoner, les solex, le baby-foot dans les cafés, etc. Ce passéisme ne l'empêche pas de goûter les bienfaits de la modernité. Son livre ressemble à un festival de mots, d'idées, de couleurs, de saveurs et même si certains ont baptisé Régis Debray, le grognon de la République. Cet écrivain indispensable réveille les papilles neuronales, se confie avec un humour dévastateur et une ironie mordante. Je ne peux pas résumer un tel essai revigorant et vivifiant qui ne plaira pas aux conformistes de la pensée unique... Je lui redonne le mot de la fin : "J'ai joué ma partie nez au vent, comme tout un chacun : perdu ou gagné, allez savoir ; trois petits tours et puis s'en va ; et ce mistigri, jusqu'à la fin des temps qui n'ont, faut-il le dire, pas plus de sens que de fin, pas plus d'année zéro que de Jugement dernier".