mardi 10 août 2021

"La force de l'âge", 1

 Je poursuis mes relectures estivales avec les Mémoires de Simone de Beauvoir qui regroupent "Mémoires d'une jeune fille rangée", "La Force de l'âge" et la première partie de "La Force des choses" dans le premier volume de la Pléiade. J'ai donc terminé le deuxième tome de l'œuvre autobiographique de l'écrivaine publié en 1960 qui se déroule de 1929 à 1944. Dans la présentation de ce volume, Simone de Beauvoir justifie sa démarche de mémorialiste : "Je me suis lancée dans une imprudente aventure quand j'ai commencé à parler de moi : on commence et on n'en finit plus. (...) J'ai prêté ma conscience à l'enfant, à la jeune fille, abandonnées au fond du temps perdu et perdues avec lui. Je les ai fait exister en noir et blanc sur du papier". Elle refuse qu'il ne reste d'elle qu'une "pincée de cendres" et sa volonté de "s'arracher à ce néant" révèle sa vocation précoce de l'écriture. Elle évoquait sa passion pour devenir écrivain et ce deuxième volume illustre la concrétisation de cette vocation irrésistible. L'écrivain prévient ses lecteurs sur son projet en se racontant avec sincérité tout en évitant cet écueil : "Il ne s'agit pas ici de clabauder sur moi-même et sur mes amis ; je n'ai pas le goût des potinages. Je laisserai résolument dans l'ombre beaucoup de choses". Un personnage central et vital fait une apparition dans ce récit : Jean-Paul Sartre avec lequel l'écrivaine se lie jusqu'à la fin de sa vie : "Sartre vivait pour écrire. Il avait mandat de témoigner de toutes choses et de les reprendre à son compte à la lumière de la nécessité ; moi, il m'était enjoint de prêter ma conscience à la multiple splendeur de la vie". L'écrivaine a obtenu son agrégation de philosophie. Elle raconte sa conquête de la liberté, une option prioritaire dans sa vie. Mutée à Marseille, puis à Rouen, sa carrière de professeur ne l'enchante guère. Ce métier lui donne surtout une disponibilité appréciable pour voyager. Vivant "chichement, Sartre et Beauvoir méprisent les valeurs de l'argent, de la bourgeoisie et consacrent leur temps libre aux plaisirs de la vie : "Rien donc ne nous limitait, rien ne nous définissait, rien ne nous assujettissait ; nos liens avec le monde, c'est nous qui les créions, la liberté était notre substance même". Leur seule appartenance qu'ils revendiquaient se résume dans cette phrase lapidaire : "Nous étions des écrivains" alors qu'ils n'ont encore rien publié. Cette obsession rythme leur vie quotidienne. Ces deux jeunes intellectuels des années 30 cherchent avidement un sens à leur vie en lisant avec frénésie les philosophes, en découvrant la psychanalyse et le marxisme. Leur couple se consolide mais Sartre exige un pacte pour deux ans : "Entre nous, il s'agit d'un amour nécessaire : il convient que nous connaissions aussi des amours contingentes". Leur relation ne repose pas sur des pratiques communes. Chacun conserve sa liberté. "Leur radicale entente" constitue un privilège que le Castor analyse finement dans le premier chapitre. (La suite, demain)