mercredi 9 août 2023

"Deux vies", Emanuele Trevi

 J'avoue que je ne connaissais pas l'écrivain italien, Emanuele Trevi, qui n'est pourtant pas totalement inconnu. Né en 1964, il a publié trois ouvrages chez Actes Sud et il a obtenu le prix Strega en 2021 (l'équivalent du Goncourt en Italie) pour son livre, "Deux vies", édité chez Philippe Rey. Dans ce récit, le narrateur évoque deux de ses amis, prématurément disparus, tous écrivains comme lui : Rocco Carbone (1962-2008) et Pia Pera (1956-2016). Ils formaient tous les trois un trio inséparable et solidaire. Emanuele Trevi ne veut pas qu'ils tombent dans l'oubli. Il prend sa plume pour honorer leur mémoire en leur redonnant la vie dans ces pages lumineuses et sereines. Le premier portrait concerne Rocco qu'il a rencontré en 1983 à Rome. Cet ami, un fou de littérature, est atteint "d'infélicité". Ce terme étonnant rappelle la mélancolie : "Plus on s'approche d'un individu, plus il ressemble à un tableau impressionniste, ou à un mur écorché par le temps et par les intempéries". Ce garçon pourtant doué et élevé dans une famille aimante était animé d'un "mal d'exister lourd, inerte, désespéré". Cette "puissance obscure" l'a "assiégé, encerclé, contaminé". Son amie, Pia Pera, était un "être intense, douée d'une âme réceptive et sensible". Elle parlait le russe et a traduit quelques écrivains de ce pays. Elle a connu un échec cuisant avec un roman où elle prenait le point de vue de "Lolita", le roman de Nabokov. A la fin de sa vie, atteinte d'une sclérose en plaques, Pia Pera s'est retirée dans son domaine familial de Toscane pour écrire un très beau livre sur sa passion du jardinage, "Ce que je n'ai pas encore dit à mon jardin", publié chez Arthaud. Ces deux écrivains n'ont rien en commun mais pourtant ils partagent tous les deux le même destin : ne pas avoir connu une certaine reconnaissance littéraire et mourir trop tôt. Rocco se tue au volant d'une mobylette à Rome et Pia de sa maladie invalidante. Emanuel Trevi raconte la vie littéraire de son époque en Italie, une période féconde qu'il analyse avec une acuité profonde. Et il présente ses deux amis tels des "blessés de l'écriture". Rocco Carbone, très exigeant, creusait ses textes comme "un casseur de pierres". Pia rencontrera le succès trop tard. L'auteur égrène aussi dans ce récit sensible des réflexions sur l'amitié, sur l'amour, sur la littérature. Il avoue qu'il a tenté de recréer ces "deux vies" alors que "nous n'avons plus entre les mains qu'un scintillement d'images hésitantes, fugitives". Ce très beau récit m'a donné envie de découvrir ces trois écrivains italiens dont quelques livres ont été traduits en français.