mardi 21 octobre 2014

"La confusion des peines"

J'ai découvert Laurence Tardieu avec "Une vie à soi" paru en septembre. J'ai voulu comprendre sa démarche d'écriture autofictionnelle en empruntant "La confusion des peines" où elle raconte le naufrage de son père, dirigeant haut-placé dans une entreprise nationale. Il a financé les partis politiques pour l'obtention de marchés publics concernant l'eau. Cette affaire de corruption en 1996 le conduit en prison, lui, le grand bourgeois... Son père lui conseille de ne pas écrire sur cet acte stupide qui a fracassé une famille entière. Mais sa fille, Laurence, la narratrice écrit : "Voilà pourquoi, aujourd'hui, je prends la parole. Contre ton autorisation, je prends la parole. J'ai trente-sept ans et pour la première fois de mon existence, je fais quelque chose que tu m'as priée de ne pas faire. Je prends la parole parce que je ne peux pas faire autrement. Je prends la parole pour reprendre mon souffle." Cette phrase incantatoire traduit la mission de l'écriture, une thérapie salutaire et libératrice, une autopsychanalyse littéraire. Sa propre vie bascule quand sa mère meurt à 59 ans d'une tumeur au cerveau. Son père est mis aux bans de la société alors que son destin social aurait dû suivre une voie toute tracée quand on naît dans les beaux quartiers de Paris. Son père refuse de justifier son attitude et Laurence Tardieu attaque avec la hache des mots, ce mur de silence : "Après tout, n'est-ce pas l'objet premier de l'écriture : tenter de s'approcher de ce qu'on ne comprend pas, et qui nous brûle ?". Peut-être que cette foi dans la compréhension des événements lui apporterait un certain apaisement... Plus loin, cette phrase décrit sa détermination : "Ma manière d'être au monde, de regarder les autres, de vivre, d'aimer, d'écrire, tout ça s'en est trouvé profondément modifié. Combien de vies dans une vie ?" Au fond, elle écrit une "Lettre au père" en citant Kafka. Elle ne trouvera pas la clé de l'énigme paternelle car il n'a jamais voulu s'expliquer et ce texte se termine par ces mots : "Ce livre je te le donne, je l'ai enfin écrit. Je suis sortie du silence. Je suis devenue une femme." Un beau récit littéraire incandescent au cœur d'une famille où règne les non-dits, les secrets et les malentendus... que, seule, l'écriture peut peut-être réparer.