mardi 11 mai 2021

"Ce matin-là"

 Gaëlle Josse dédicace son roman à "tous ceux qui tombent". Ses lecteurs et ses lectrices très fidèles à son œuvre apprécient son immense empathie envers ses personnages et vont la retrouver dans son dernier opus, "Ce matin-là", publié chez l'éditeur, Noir sur Blanc, en 2021. Ce "matin-là" fatidique, la battante Clara, une employée modèle dans une banque, n'arrive pas à démarrer sa voiture. Cette panne subite et inattendue va provoquer chez elle une panne de son être. Elle s'effondre littéralement, le moteur de sa vie ne la propulse plus dans la réalité sociale. Plus d'énergie, plus de ressort, le vide existentiel. Elle consulte un médecin qui lui donne quelques jours de congé maladie. La jeune Clara commence à comprendre que son travail ne lui apporte plus aucune satisfaction : "Mais, depuis un moment, elle n'a plus envie. Une lassitude sans se l'avouer. Un ressort détendu". Elle refuse de jouer le jeu de l'employée corvéable, "positive" et "corporate" avec un fort potentiel. Quand elle écoute son manager les incitant à sortir du rang, "Vous êtes des samouraïs, des guerriers", Clara ne supporte plus ce discours managérial, ce cynisme d'entreprise qui utilise les salariés comme des conquérants de la vente. Elle a constaté qu'elle mettait en danger des clients qui s'endettaient pour la vie. Cette comédie d'entreprise rebute la jeune femme. Sa dépression la paralyse et la maintient dans une inertie éprouvante : se réfugier dans son lit, ne plus manger, ne plus voir personne, ne plus affronter un réel trop stressant. Ses parents ne savent rien, ni son frère. Ses collègues ignorent aussi le malaise qui la ronge. Son compagnon, Thomas, l'abandonne malgré sa bonne volonté. Il pensait connaître une jeune femme triomphale et se retrouve avec une jeune femme défaite. Clara s'enfonce dans l'isolement mais, un jour, elle reprend contact avec sa meilleure amie, mariée à un agriculteur et infirmière à domicile. Elle part donc chez eux et reprend un regain de courage grâce à l'amitié sans faille de son amie Cécile. Cette visite va lui procurer un certaine distance sur sa dépression car elle remarque les difficultés de son amie pour survivre économiquement. Cécile l'encourage à changer de vie. Cette idée va germer et se concrétiser. Va-t-elle vaincre cette descente en enfer que certains nomment d'un mot anglais (encore un) un burn-out ? La mise entre parenthèses de sa vie lui permet enfin de prendre une décision libératrice. Cette histoire assez convenue et traitée souvent dans les romans contemporains se révèle touchante et vraie. Clara symbolise tous ceux et toutes celles qui ont vécu un effondrement psychologique et ce roman-miroir écrit avec une délicatesse rare se lit avec une empathie partagée. Gaëlle Josse a déclaré : "J'ai voulu écrire un livre qui soit comme une main posée sur l'épaule". Ce roman discret et intimiste se lit comme on écoute une petite sonate de Schubert...