lundi 15 janvier 2024

"Flush", Virginia Woolf

 Quel livre drôle et délicieux, "Flush" de Virginia Woolf, publié dans la collection Folio. Je l'ai choisi dans la liste des romans évoquant la place des animaux dans la littérature pour l'Atelier de janvier. Publié en 1933, ce texte concerne la vie d'un chien, un gentil cocker, Flush, mais aussi de sa maîtresse, Elizabeth Barrett Browning (1806-1861) et de son mari, poètes tous les deux. L'écrivaine anglaise renoue avec l'Histoire que l'on retrouve dans "Orlando". Tout se passe dans la campagne anglaise, le Berkshire. Le jeune chien change de mains, de Miss Mitford à la poétesse Barrett. Celle-ci, malade, ne quitte jamais son appartement londonien. Son père, un patriarche autoritaire, lui rend visite tous les soirs. Flush est malheureux dans ce lieu clos et il rêve des lapins de sa jeunesse quand il parcourait la lande. Son immobilité dans la chambre de cette poétesse solitaire le rend mélancolique. Dans cette vie calme et ennuyeuse, le pauvre Flush est victime d'un rapt, méthode utilisée couramment en Angleterre à cette époque. A Londres, un abîme séparait les beaux quartiers et Whitechapel, un lieu insalubre et glauque où le typhus et le choléra dévastaient la population. La poétesse va remettre la rançon pour récupérer Flush alors que sa famille préfère abandonner le cocker. Avec un humour ravageur, Flush décrit les conditions misérables de sa réclusion et constate alors qu'il vit dans le luxe chez sa maîtresse. Il fait partie des chiens "snobs" de la haute sphère comme sa maîtresse. Les émotions de Flush sont décrites à l'aune de son identité animale. La barrière humain-animal s'estompe sans cesse et un langage symbolique déclenche la communication entre Flush et la poétesse : "Séparés, clivés l'un de l'autre et cependant coulés au même moule, chacun d'eux, peut-être, achevait ce qui dormait toujours en l'autre. Mais elle était femme, il était chien". Le couple de poètes part en Italie, la Bella Italia, avec Flush et ce départ va leur apporter le bonheur des sens et l'esprit de la liberté. Hélas, Flush finira par mourir près de sa maîtresse dans son sommeil. Virginia Woolf avec son génie habituel va plus loin qu'un simple conte allégorique. Dans la préface de la Pléiade, le roman est présenté ainsi : "Ni un roman, ni une biographie, ni un pamphlet politique, ni un essai littéraire, Flush est tout cela à la fois. Objet littéraire non identifié fonctionne, dans l'oeuvre de Woolf, tel un catalyseur imprévu de réflexions formelles et politiques qui permet à l'auteur d'aller de l'avant et de chercher d'autres voies de traverse littéraires". Ce texte d'apparence légère est d'une profondeur digne de toutes les oeuvres de Virginia Woolf. Une belle porte d'entrée dans sa planète littéraire si brillante, parfois exigeante mais si nourricière !