mardi 13 septembre 2016

"Boutès"

J'ai décidé de relire de A à Z l'un des écrivains que j'admire le plus depuis les années 90 : Pascal Quignard. Evidemment, j'ai découvert ses livres avec une lenteur nécessaire et souvent expectative car lire cet immense écrivain à quarante ans, puis au fil des ans, constitue une aventure intellectuelle d'une intensité particulière. Il était tant pour moi de revisiter son univers singulier et je désire comprendre ces ouvrages avec une attention décuplée. J'évoquerai régulièrement dans ce blog ce "phare" littéraire dont la lumière éclaire ma vie de lectrice depuis longtemps. J'ai terminé récemment un récit, "Boutès" qui m'a enchantée. Cet ouvrage est sorti en 2008 aux éditions Galilée. Qui est ce mystérieux Boutès ? Un rameur, un des hommes d'Ulysse, embarqué sur la nef des Argonautes. Ulysse veut entendre le chant des Sirènes et se fait attacher au mât du bateau pour échapper à leur charme ensorceleur. Il impose à ses compagnons des boules de cire dans leurs oreilles pour qu'ils ne suivent pas les voix harmonieuses des Sirènes. Mais, le rameur Boutès désobéit à Ulysse et écoute les chants. Il se jette à la mer pour les rejoindre. A partir de cette anecdote, l'écrivain poursuit sa réflexion sur la musique : "Il y a dans toute musique un appel qui dresse, une sommation temporelle, un dynamisme qui ébranle, qui fait se déplacer, qui fait se lever et se diriger vers la source sonore." Boutès représente dans la pensée de Quignard celui qui "quitte le rang des rameurs, renonce à la société de ceux qui parlent". Et au détour d'une page, Schubert surgit comme un frère de Boutès, celui qui a pensé "l'état d'abandon, de solitude, de carence, de faim, de vide, (...), de nostalgie radicale, éprouvé par chacun lors de la naissance." La musique comble ce manque : "Sans la musique, certains d'entre nous mourraient". Ce thème majeur, la musique,  dans l'œuvre de Pascal Quignard révèle une de ses obsessions : seul, l'art peut devenir cet océan originel du "Jadis" et réconcilier l'individu avec lui-même. Dans le mot art, l'écrivain intègre évidemment la littérature, les livres, la peinture et Boutès symbolise le plongeur de Paestum, la première image de l'homme qui tombe, qui relie le vivant et le mortel, dans un geste d'immortalité. Comme j'ai vu avec émotion ce Plongeur à Paestum en avril, j'ai lu et relu cet ouvrage, toujours parsemé de citations grecques, d'anecdotes savantes et de pensées philosophiques. Un grand récit sur la musique, un conte philosophique, un condensé de son projet littéraire.