jeudi 28 janvier 2021

"Les Villes de papier. Une vie d'Emily Dickinson"

 Née au Québec, Dominique Fortier, écrivaine et traductrice, évoque avec une délicatesse sensuelle la poétesse américaine, Emily Dickinson (1830-1886) dans sa biographie, "Les villes de papier", publié chez Grasset. L'ouvrage a obtenu le Prix Renaudot de l'Essai en novembre 2020. La poétesse américaine a passé toute sa vie à Amherst dans le Massachusetts, un petit village de 2 631 habitants. A l'époque, Chicago n'existait pas encore. Il ne reste qu'une photo d'elle, prise à l'âge de seize ans : "Emily Dickinson est un écran blanc, une page vierge". La biographe imagine donc l'enfance austère d'Emily où elle se passionne pour les fleurs, son environnement naturel, les oiseaux, son jardin. Son frère Austin et sa sœur Lavinia forment une fratrie unie et aimante. A l'adolescence, la jeune fille compose un herbier (herbarium), conservé aujourd'hui à l'Université de Harvard. Plus de 400 plantes sont répertoriées et le jasmin restera toujours sa plante préférée. Le kaléidoscope que son père lui a offert à Noël lui offre une vision "déconstruite de la réalité", la transforme et la multiplie. Mais, l'essentiel pour Emily se trouve dans sa bibliothèque : "Chaque livre en contient cent. Ce sont des portes qui s'ouvrent et ne se referment jamais". Son frère, Austin, se marie avec sa meilleure amie et Lavinia quitte aussi le foyer familial. Emily s'enfermera toute sa vie dans la maison de ses parents, une existence recluse consacrée aux poèmes et aux lettres qui ne seront pas publiés de son vivant. Elle passe sa vie à écrire des vers au dos de minuscules papiers de recettes, mêlant ses mots aux senteurs des aliments qu'elle cuisinait : "Dans le tiroir de son bureau, elle range les poèmes griffonnés à la hâte sur les emballages. Quand elle les ressort, elle les reconnaît à leur odeur : certaines fleurent la farine, d'autres exhalent un parfum de poivre ou de noix de pécan". Emily exalte dans ses poèmes brefs, la beauté du cosmos,  la palpitation de l'univers, du brin d'herbe familier aux étoiles lointaines. La vie à l'écart du monde n'est pas une défaite mais une victoire : "Elle n'est pas cachée, elle n'est pas recluse. Elle est au cœur des choses, au plus profond d'elle-même, recueillie, posée en équilibre entre les abeilles du jardin et les deux Ourses, la grande et la petite, qui s'allument dans le ciel à la tombée du jour, tendue comme le style d'un cadran solaire".  Dominique Fortier compose une ode elle-même poétique, cousue de réflexions et de notes personnelles, consacrée à la poétesse américaine, épousant son émerveillement d'être au monde, si minuscule soit-il. Sa vraie maison intérieure ressemble à une maison de papier, "Un bout de papier grand comme la paume. Cette maison-là, personne ne pourrait la lui enlever". Ce récit interroge le sens de l'écriture poétique et son rapport avec la vie. Ce portrait d'Emily Dickinson, tout en douceur, tout en empathie, influence le lecteur à ouvrir un recueil de ses poèmes... Opération réussie pour Dominique Fortier. 

mercredi 27 janvier 2021

"Un promeneur solitaire dans la foule"

 Antonio Munoz Molina a reçu le Prix Médicis du Roman Etranger en novembre dernier pour "Un promeneur solitaire dans la foule", publié au Seuil. Cet écrivain espagnol, né en 1956, vient d'écrire un livre hybride, journal de son moi et journal du monde. Ce grand arpenteur raconte ses déambulations dans Madrid, New York et Paris. L'art littéraire qu'il choisit pour décrire ces villes fabuleuses puise son énergie dans la flânerie, dans la marche rêveuse : "La marche est une ivresse graduelle sans ivresse ni gueule de bois ; un voyage psychédélique plein d'oxygène et de sérotonine ; les sens s'aiguisent au lieu de s'engourdir". Cet ouvrage polyphonique correspondant à la vie parfois chaotique de ces cités tentaculaires ne se lit pas comme un roman. Il vaut mieux pratiquer la même déambulation de chapitre en chapitre, laisser reposer les 500 pages et reprendre la balade au fil du récit. D'autant plus que l'auteur propose au lecteur(trice) des collages de phrases, issues de la publicité, des mots saisis dans les conversations, dans les gros titres de journaux, des médias. Ce projet ressemble à la démarche de Georges Perec quand il composait son "Espèces d'espaces" ou "Tentative d'épuisement d'un lieu parisien". Dans ce magma d'informations contemporaines, des silhouettes apparaissent avec lesquelles l'auteur dialogue dans une intimité attachante. Ces fantômes égarés qui survivent dans la folie urbaine s'appellent Walter Benjamin, Charles Baudelaire, Edgar Allan Poe, Thomas de Quincey, James Joyce, Duke Ellington, Melville, Dickens, etc. Ces frères égarés comme le narrateur restent fidèles aux lieux qu'ils ont aimés. Lui-même se décrit comme un personnage avec son vieux cartable qui contient ses crayons, son calepin, ses ciseaux, sa colle sans oublier les outils incontournables, son téléphone et son ordinateur. Il exerce son sens de l'observation pour capter les changements irréversibles d'un monde devenu un peu fou, transformé par une modernité agressive. Quand il décrit par exemple, son passage dans un Starbucks qui remplace les bars cafés d'autrefois, il dénonce la conformité des décors, l'indifférence des employés tous déguisés, le manque de charme de ces lieux mondialisés et aseptisés. Ce livre-monde donne le tournis et réserve des rencontres, des réflexions, des notes de voyage, des paysages urbains. Antonio Munoz Molina écrit : "Je veux me sentir dans le temps comme dans un vaste paysage que je ne suis pas du tout pressé de traverser bien que je prenne plaisir à marcher vite". Ce vagabond littéraire des villes a entendu un client de bar dire : "Le grand poème de ce siècle ne pourra être écrit qu'avec des matériaux de rebut". Un critique a déclaré que l'écrivain espagnol a créé une nouvelle discipline : la "déambulologie", soit "l'observation des itinéraires suivis par des écrivains, des artistes, des scientifiques, des visionnaires, des indigents et des fous". Ce texte patchwork ressemble à un cabinet de curiosités, fascinant et poétiquement incorrect. Le monde change vite, trop vite. Heureusement, les écrivains veillent comme des vigies lucides et clairvoyantes. avec leur regard acéré,  vivifiant et percutant. J'aurais presque aimé qu'il compose ce livre l'année dernière pour décrypter le monde au temps du virus... Il donnera ce titre à son nouvel opus : "Un promeneur masqué loin de la foule", Covid oblige !

lundi 25 janvier 2021

"Un tout autre Sartre"

 François Noudelmann, invité sur France Culture dans la Grande Table des Idées, évoquait les vies multiples de Jean-Paul Sartre et ma curiosité pour la vie littéraire a voulu aller plus loin en lisant son ouvrage, "Un tout autre Sartre", publié chez Gallimard. Pourtant, cela fait très longtemps que je n'ai pas lu le philosophe français, préférant de loin, sa compagne de cœur, Simone de Beauvoir. Il faut dire que ces Intellectuels ont profondément marqué les générations nées au milieu du siècle dernier. Leur engagement politique pour les faibles, les opprimés et les pauvres a basculé dans la radicalité alors qu'ils étaient tous les deux des héritiers de la bourgeoisie. Dans l'essai biographique, la figure de Sartre ressemble à un tableau de Picasso où un visage déstructuré, démantelé et insaisissable peut symboliser le vécu hermétique de l'écrivain philosophe. François Noudelmann révèle un Sartre surprenant, inhabituel, secret, plus complexe que prévu : "Aucune biographie, même la plus documentée, ne rend compte de tous ces contretemps et incohérences". Il ajoute : "Plusieurs Sartre cohabitent en un seul, hors de soi et avec soi". Pour décrire ce nouveau Sartre, il s'appuie sur les archives d'Arlette Elkaïm-Sartre, sa fille adoptive. Cette enquête procède d'une exploration documentée qui ne laisse pas de doute. Quelle image avons-nous de lui  ? Un intellectuel contre la guerre d'Algérie, un compagnon de route du Parti communiste, un petit homme sur un tonneau en 1968, haranguant les ouvriers, un pétitionnaire régulier pour des causes politiques comme les Boat-people, l'anti De Gaulle, un ami de la cause palestinienne, de la bande à Baader, de Fidel Castro, etc. Un engagement sans concession, sans discussion, sans hésitation. Il n'était pas le seul à vivre cette grande utopie de la gauche radicale. L'essayiste décape complètement ces images d'Epinal et relate dans son essai des aspects de la personnalité sartrienne. Sa vie plurielle se manifeste à travers ses goûts qu'il cachait à ses relations. Il adorait par exemple, l'Italie et passait les trois mois d'été avec des femmes qu'il aimait en particulier, Arlette. Ce pays le rendait romantique et heureux. Il a même écrit un livre sur le tourisme à sa manière en décrivant Venise, Rome, Naples comme son prédécesseur Stendhal. Il pratiquait le piano deux heures par jour car la musique l'aidait à supporter ses devoirs officiels d'écrivain politique, sans cesse sollicité. En composant ses biographies sur Jean Genet, Gustave Flaubert et Freud, "il s'est à la fui et retrouvé". Son empathie en faveur de ses confrères écrivains lui permet de s'adonner à une de ses passions existentielles : comprendre autrui pour mieux s'oublier. Quel est donc le vrai Sartre ? Dans sa vie mosaïque : "Un baryton d'opérette, un harangueur du peuple, un homme à femmes, un écrivain caméléon, un rêveur mélancolique" et tant d'autres identités. Cet essai d'une belle écriture dense brosse le portrait d'un homme complexe, attachant et prisonnier aussi de ses multiples contradictions. Un homme au fond assez banal, mais aussi génial, proche et encore plus humain comme le commun des mortels. Je relirai dorénavant "Les mots", un récit autobiographique, une ébauche sensible de son "vrai moi" ? Je préfère ce Sartre italophile, pianiste, passionné de littérature que le militant sectaire des causes politiques excessives...

jeudi 21 janvier 2021

"Par instants, la vie n'est pas sûre"

 Ce livre, "Par instants, la vie n'est pas sûre", de Robert Bober possède un charme mélancolique qui m'a vraiment enchantée. Publié chez l'excellent éditeur, P.O.L., l'écrivain et cinéaste écrit une très longue lettre à son ami, Pierre Dumayet. Une lectrice comme moi a suivi toutes les émissions de Pierre Dumayet qui m'a fait comprendre que lire, c'était multiplier sa vie. Ses rencontres avec des écrivains prestigieux qu'il a réalisées avec Robert Bober font partie de l'histoire littéraire de la télévision qui ne prenait pas à cette époque les téléspectateurs pour des cerveaux disponibles et lessivés par la facilité et par la vulgarité. "Lectures pour tous", "Lire, c'est vivre" restent des modèles du genre et même notre animateur actuel, François Busnel est plus un héritier de Bernard Pivot que de Pierre Dumayet, disparu en 2011. Robert Bober arpente le quartier parisien de la Butte-aux-Cailles avec son petit fils, Joachim. Il a passé son enfance avec ses parents et se souvient de son meilleur ami, Henri Beck, emporté dans la rafle du Vel d'hiv et qu'il ne reverra jamais : "Je suis au café mais qui m'attend ici ? Je suis ici et j'écris. Oui, je continuerai à t'écrire puisqu'il paraît que tu n'as de vie que parce que je suis encore vivant". Il passe aussi dans la rue, la rue Vilin, où a vécu un de ses amis les plus chers : Georges Perec. Le Paris qu'il nous raconte ressemble à celui du photographe Doisneau qu'il a aussi connu. Il joue avec ses souvenirs une toccata d'une sensibilité à fleur de peau : "Pour écrire ce livre, mon cher Pierre, s'il le devient, je vais laisser venir les souvenirs. Le laisser mijoter. Mijoter". Le narrateur ouvre des dossiers dans sa bibliothèque et relate des amitiés, des rencontres, des scènes de travail, des lectures toujours passionnantes. Le lecteur(trice) déambule en toute liberté dans un livre "en vrac", sans ordre précis, au fil des digressions et des envies de l'auteur. Il évoque souvent des poètes (Pierre Reverdy),  des écrivains (Erri De Luca), la découverte de la pensée hassidique, la survie du yiddish, ses films importants. Il avait appris le métier de tailleur avec son père et quand il rencontre François Truffaut, celui-ci lui confie le rôle d'assistant. Sa vocation de réalisateur s'est confirmée au fil du temps et il faut revoir l'émouvant "Récits d'Ellis Island" d'après un texte de Georges Perec. Un homme a aussi beaucoup compté pour lui : son éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, décédé tragiquement dans un accident de la route en 2018. Le chapitre qu'il lui consacre est particulièrement émouvant. "Par instants, la vie n'est pas sûre", au titre si vrai, est illustré de nombreuses photos sépia qui rappelle l'ouvrage de Roland Barthes, "La Chambre claire" sur le rôle de la photographie. Raphaëlle Leyris, journaliste au Monde des Livres, qualifie la démarche de l'écrivain : "Un souci de la justesse, un refus de l'emphase et du pathos qui font la beauté lancinante de ce livre où l'on apprend à écouter et à regarder les autres, à cheminer avec ses vivants et ses morts, en se rendant disponible aux rencontres et aux surprises". Lire ce récit autobiographique est un régal et j'oubliais de révéler l'âge de l'écrivain : 89 ans ! 

mardi 19 janvier 2021

Hommage à Vassilis Alexakis

 Quand j'ai appris le décès de Vassilis Alexakis à 77 ans, j'ai ressenti une certaine tristesse que j'éprouve dès qu'un écrivain disparaît, quitte notre monde. La voix d'un écrivain se retrouve dans ses œuvres et on peut, grâce à l'écriture, poursuivre le dialogue avec ces hommes et ces femmes de langage. Son dernier roman, publié en 2015, "La Clarinette", évoquait le coma de son pays, la Grèce, en crise économique grave. L'humour latent de l'écrivain franco-grec constituait sa marque de fabrique. Il disait en parlant de la mort : "Quand j'étais petit, je pensais que les morts nous regardaient du haut du ciel. Je croyais que les étoiles étaient leurs cigarettes allumées. Et quand je voyais filer une étoile, je me disais : "Tiens, il y a un mort qui vient de jeter son mégot pour aller dormir". Né à Athènes en 1943, il part à Lille en 1960 pour suivre les cours de l'Ecole de journalisme. Il revient en Grèce mais fuit son pays à l'arrivée des colonels. Il travaille alors pour le journal La Croix, puis pour Le Monde. Il vivra de travaux journalistiques et d'émissions de radio. Son œuvre est forgée par deux cultures : le patrimoine français et celui de la Grèce. Il compose ses trois premiers romans en français puis, reprend le chemin de la langue d'origine, le grec : "Je ne trahis aucune des deux langues et aucune ne me trahit". Ses romans racontent toujours des histoires un peu loufoques, souvent originales. Comme l'écrit l'écrivain Jacques Meunier : "Alexakis est un homme émerveillé. Il ne vit pas sur un tas d'or, non. Il a trouvé seul son propre filon : lui-même. Il est comme un double à la recherche incessante de son être. Il s'est pris en filature. Roman après roman, l'enquête progresse". Il traite aussi bien de l'homo sapiens dans "Le premier mot" comme du Mont Athos dans "Après J.-C.", la langue africaine, le sango, dans "Les mots étrangers", et toujours des récits mêlant le romanesque avec sa propre biographie. Ouvrir un de ses livres provoquait toujours une surprise détonante et un étonnement admiratif. Il évoque ses parents, ses compagnes, sa vie à Paris comme à Athènes. Proche de la gauche radicale en Grèce, la crise l'inquiétait beaucoup et cette injustice faite à son pays le révoltait. Pour ma part, comme j'aime infiniment ce pays contrasté entre sa gloire du passé et ses difficultés du présent, je lisais Vassilis Alexakis avec beaucoup d'intérêt. Il était l'ambassadeur d'une culture binationale et ces écrivains venus d'ailleurs comme Jorge Semprun, Hector Bianciotti, Nina Bouraoui, Andréi Makine, Nancy Huston apportent à la littérature française une âme supplémentaire. Pour retrouver le charme de cet écrivain franco-grec, il suffit d'ouvrir un de ses livres et on se retrouve dans la lumière grecque, une lumière unique au monde. 

lundi 18 janvier 2021

"Le Palais des Orties"

Le roman de Marie Nimier, "Le Palais des Orties", est passé un peu inaperçu car il est sorti en fin août et s'est englouti dans la marée montante des nouveautés. Pourtant, il se lit avec un vrai plaisir. Parler d'orties semble quelque peu décalé, marginalisé. Cette herbe urticante et désagréable n'attire pas la sympathie. Mais, les protagonistes de l'histoire sont convaincus du contraire. Simon et Nora ont hérité de la ferme parentale et ont décidé de cultiver cette plante qui possède des vertus diurétiques, antalgiques, anti-inflammatoires et même fertilisantes sous forme de purin. Nora a beaucoup d'imagination pour transformer ce produit atypique : création de soupes, de pesto, de crème dermatologique. Le couple d'agriculteurs vivote avec ce projet non rentable pour le moment. Entourés de leurs adolescents, ils forment une famille unie et harmonieuse. Un jour, arrive une woofeuse, terme anglais non traduit à qui le couple offre le gite et le couvert en échange de services à la ferme. Cette jeune femme à la peau mate s'appelle Fred. Surprise, elle sait tout faire : la plomberie, la cuisine, les soins aux animaux, les travaux sur les orties. Nora va vite succomber au charme de la jeune fille rebelle : "Fred n'est pas une fille, c'est une drogue. Il suffit de la côtoyer pour avoir des hallucinations".  Fred séduit toute la famille et en particulier, Nora. Alors qu'elle s'imaginait Fred dans les bras de son mari, ce sont les bras de Nora qui enlacent la jeune woofeuse. Elles se retrouvent en cachette pour vivre leur relation amoureuse illicite et clandestine. La famille ne voit guère leur passion qu'elles vivent avec une évidence audacieuse, même à l'intérieur de la maison. Nora découvre une dimension insoupçonnée de sa personnalité : elle éprouve une nouvelle sensualité, savoure une complicité étonnante et envisage même de quitter son mari pour partir loin de la ferme. Leur histoire va-t-elle perdurer ? Quand le village se réunit pour la Fête de Saint Rufin, tout explose dans la vie de Nora. Marie Nimier, en botaniste avertie, évoque cette culture de l'ortie comme une parabole de l'amour "piquant" au sein d'une famille. La passion entre les deux femmes dérange la communauté, provoque des désordres, attire les insultes homophobes. Cette idylle amoureuse semble impossible à vivre mais restera un point d'orgue dans la mémoire des deux héroïnes. La vie reprend sa forme habituelle, consensuelle et conforme à la normalité. L'amour hors sentier ressemble à ces orties symboliques : ça pique le cœur qui souffre et l'écharde reste longtemps en soi. Nora et Fred, un couple inédit et surprenant. Ce roman aurait mérité une plus grande attention dans la presse littéraire. 

vendredi 15 janvier 2021

Un confinement hivernal

 La nouvelle est tombée : le gouvernement a tranché en faveur d'un couvre feu à partir de 18H. Pour une retraitée comme moi, cela n'aura pas de conséquence car, déjà, je me confine volontairement chez moi près de mon poêle. Il suffit d'aller en ville en fin d'après-midi pour fuir ce moment tellement les embouteillages figent la circulation. Bienheureux, les retraités qui n'ont pas l'obligation de faire leurs courses le soir... Par contre, j'imagine bien les contraintes des salariés bousculés dans les horaires de leur travail qui devront rentrer chez eux sans avoir le temps de s'arrêter devant une boulangerie. Avant un confinement strict comme en mars, nos gouvernants veulent maintenir la vie sociale pour les scolaires, pour les salariés et pour ceux qui veulent prendre l'air. L'hiver déjà nous cantonne plus souvent chez soi comme à Chambéry où il pleut depuis cinq jours. La Covid aussi se transforme au fil du temps et certains virus menacent encore plus dangereusement. Ces "variants" feront des dégâts encore plus graves que celui qui nous empêche de vivre normalement. Quelle époque aux accents apocalyptiques ! J'ai lu récemment un article de la philosophe, Claire Marin, dans le journal Le Monde. Elle évoque la crise sanitaire : "Pour traverser et supporter une épreuve, on a d'abord besoin de se dire qu'elle aura une fin, qu'elle ne durera pas indéfiniment et qu'elle a un sens : qu'elle permettra une clarification des lignes, une redéfinition plus satisfaisante de notre existence, un changement social, politique, économique". La philosophe admet que ce genre d'épisodes pourrait resurgir à l'avenir et nous devons nous préparer à "l'idée de devoir vivre autrement". Repenser le monde du travail, du soin, de l'enseignement, des relations humaines. Hier, j'ai vécu l'expérience d'une visioconférence concernant l'atelier philo. Les échanges m'ont semblé insatisfaisants, les connexions parfois chaotiques. La parole d'Agnès, notre professeur de philosophie, a quand même cheminé dans nos oreilles mais l'attention faiblissait au fil des heures. Quand les rencontres reviendront dans un espace physique, on se sentira pleinement humains. Comme le dit Claire Marin, "notre vie n'est pas un fond d'écran sur lequel nous pouvons ouvrir une multitude de fenêtres en même temps". Vivement ce sacré vaccin considéré comme une denrée rare. Cette lenteur vaccinale me rappelle la faillite de l'Etat pour nos chers masques protecteurs. Je laisse encore la parole à la philosophe : "Qu'est-ce qui nous est vraiment essentiel ? Pouvoir se mêler aux autres, dans des espaces communs, comme les restaurants, les cafés, les cinémas ou les piscines et les terrains de foot est un besoin essentiel nécessaire à notre équilibre psychique. Nous sommes des animaux sociaux".

jeudi 14 janvier 2021

"L'été avant la nuit"

 J'ai écouté une émission sur France Culture concernant Doris Lessing. Pourquoi Doris Lessing ? Cette écrivaine anglaise à l'œuvre protéiforme m'avait vraiment passionnée à partir des années 70 quand j'avais découvert son "Carnet d'or". J'ai presque tout lu : "Des enfants de la violence" aux "Carnets de Jane Sommers" en passant par ses mémoires, ses nouvelles et ses essais. Seuls, les romans de science-fiction ne m'ont pas attirée. Je connais bien cette grande dame des lettres britanniques, née en 1919 et morte en 2013 à l'âge de 94 ans. Elle a reçu le prix Nobel de Littérature en 2007 pour son talent de "conteuse épique de l'expérience féminine, qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée". Sa réputation de femme engagée dans le marxisme, l'anticolonialisme et l'anti-apartheid lui a donné une image de rebelle, d'anticonformiste et de féministe sans qu'elle le revendique. En furetant dans les cabanes à livres, j'ai découvert un livre de poche de Doris Lessing, "L'été avant la nuit" que je n'avais pas lu. Quel plaisir de retrouver la prose de Doris Lessing ! Ces pages n'avaient pas pris une ride et me plongeaient pourtant dans l'univers de ma jeunesse. La condition féminine a pourtant bien changé depuis des décennies avec des conquêtes irréversibles. Pourtant, en suivant les traces de Kate Brown, je me sentais sa contemporaine. A quarante trois ans, Kate a consacré plus de vingt cinq ans à sa famille et à sa maison. Mais, l'été qui vient semble ne plus ressembler aux précédents. Son mari, neurologue de renom, part travailler aux Etats-Unis. Ses quatre enfants quittent le foyer pour leurs études et s'éparpillent pendant leurs vacances. Un cycle se ferme. Comment va-t-elle prendre ce tournant ? La voilà disponible et seule. Un ami de la famille connaissant ses compétences dans les langues lui propose un poste d'interprète pour remplacer un employé absent. Elle se lance dans cette opportunité avec un soulagement certain et elle se révèle très efficace dans les congrès de l'ONU. A Istanbul, elle séduit un jeune américain qui l'embarque dans une virée en Espagne. Mais, son aventure amoureuse se termine mal car le jeune homme tombe gravement malade. Son retour à Londres ne se passe pas comme prévu. L'été se déroule dans une solitude volontaire, ponctuée de rencontres éphémères avec sa colocataire et ses amis. Kate finira par surmonter son angoisse de vieillir, de se sentir délaissée par les siens : "Elle savait à présent, elle se trouvait finalement obligée de le comprendre, que toute sa vie un fluide invisible l'avait soutenue : l'attention des autres. Mais le fluide s'était évaporé". Dans ce roman de l'âge mûr, Doris Lessing raconte le sort des femmes qui ont usé leurs forces au service des autres, de leur mari, de leurs enfants. L'équilibre est rompu quand tout son entourage prend le large... Ce portrait de femme vouée à la "servitude volontaire", publié en 1973, ouvre le grand bal des interrogations sur la soumission millénaire de la condition féminine. Doris Lessing, Simone de Beauvoir, un air de famille, tout de même... Deux écrivaines intellectuelles dans le bon sens du terme qui posent les jalons d'un féminisme humaniste et universaliste. 

mercredi 13 janvier 2021

La Meilleure Série de 2020

 Je regarde avec plaisir des séries de qualité surtout anglaises, scandinaves, italiennes, espagnoles et même françaises... Mais dans ce maquis audiovisuel qui est devenu un marché exponentiel, il existe aussi de vrais navets, des objets vulgaires comme on en trouve encore au cinéma. Dans ce labytrinthe d'images spectaculaires, des personnages grotesques apparaissent à l'écran comme des vampires, des zombies, des hurluberlus, des héros caricaturaux, des femmes fatales avec une exploitation des bas instincts (sexe et violence). Il faut passer son chemin devant cette production commerciale. Je ne regarde souvent que les bonnes séries d'Arte, de la BBC, de Canal Plus et j'ai bien repéré les sites qui diffusent de bonnes séries avec les qualités visuelles authentiques, un scénario crédible, un arrière-plan historique, des personnages solides et profonds et une intrigue intelligente. Je pourrai citer quelques titres à voir : "The Crown", "Vikings", "Baron noir", Le Bureau des Légendes", "You", "L'amie prodigieuse", "Unorthodox", "Homeland', "The Affair", "Les Sauvages", "Borgen", etc. Mais, dans toutes les séries de l'année dernière, "Patria", diffusée sur Canal Plus, m'a particulièrement intéressée. Produite par HBO Europe, elle est basée sur le roman du même nom de Fernando Aramburu, publié chez Actes Sud. Créée et écrite par Aitor Gabilondo, les huit épisodes racontent l'histoire de deux femmes : Bitorri et Mirren emportées par la tragédie basque. L'ETA, l'organisation séparatiste basque, dépose les armes en 2011 après des décennies de conflit : plus de huit cents morts par attentats aveugles et horribles. A travers deux familles déchirées par ces années de violence, la série développe le conflit entre deux amies. Bitorri, veuve d'un entrepreneur assassiné par un commando de l'ETA, revient dans son village qu'elle avait quitté après la mort de son mari. Il avait refusé de payer les pots-de-vin exigés par les terroristes. Mirren appartient à la mouvance des Basques en lutte et un de ses fils a rejoint les rangs de l'armée clandestine.  L'obsession de Bittori s'épuise sur la question suivante : qui a tué son mari ? Est-ce le fils de Mirren ? Le récit fictionnel navigue entre le présent des deux familles et le passé du drame insupportable. D'un côté la force tranquille des Basques traditionnels, de l'autre, des militants fanatisés par leur cause politique. Ces "gudaris" de l'ombre étaient soutenus par une large population surtout au Pays Basque espagnol qui les considérait comme des héros. Bittori va enquêter dans le village pour enfin découvrir la vérité. Cette série révèle des êtres magnifiques de dignité, de bonté et de résilience. J'ai beaucoup aimé "Patria" et je lirai le roman de Fernando Aramburu, traduit dans une quinzaine de langues et vendu à plus de 600 000 exemplaires. J'ai vécu cette période intense à Bayonne quand j'étais libraire et tout ce passé sensible m'est revenu à la mémoire comme une piqûre de rappel. Cette époque de terrorisme basque a traumatisé de nombreuses générations et reste encore une écharde douloureuse dans l'identité des basques. Ce livre doublé d'une série a fait naître un débat en Espagne où le radicalisme dans les luttes politiques pose un problème universel. Quand la littérature s'adapte aux séries, la qualité est souvent invitée dans la réalisation télévisuelle. Emotion garantie devant cette "poignante galerie de personnages fracassés" et un éternel retour où la question du terrorisme est toujours d'actualité. 

mardi 12 janvier 2021

"East Village Blues"

 Chantal Thomas, écrivaine discrète et élégante, s'est souvenue de New York dans les années 70. Elle ne cesse d'exploiter et d'explorer à notre grand bonheur sa mémoire comme un champ fertile en émotions, sensations, pulsations. Ce texte, paru en 2019, est sorti dans le Livre de Poche que j'ai emporté dans mon sac. Je l'ai lu dans l'avion qui me menait à Biarritz et je retrouvais dans ces mots la même apesanteur, la même légèreté d'être. Suspendue dans les airs comme dans les mots de Chantal Thomas. Je connais sa passion des cafés mythiques, des voyages atypiques, des histoires décalées. Elle a aussi évoqué la liberté, la souffrance, Casanova, Sade, etc. Son récit magnifique, "Souvenirs de la marée basse", racontait sa mère, son éternelle fuite dans la natation et sa fugue parentale. Dans "East Village Blues", la narratrice entame "une méditation sur le temps perdu et sur la manière dont on est constitué par ce temps perdu". Elle n'exprime aucune nostalgie sur ces années 70, années de sa jeunesse vagabonde où elle part à la découverte de cette cité tentaculaire. Elle loge chez une amie d'amie, Cynthia, qui l'introduit dans les milieux féministes et dans les fêtes spectaculaires qui se déroulaient dans les appartements. Cette époque festive reflète une certaine attitude dans la vie, composée de désinvolture, de libertinage, où l'alcool et la drogue stimulaient l'art, la création littéraire, la poésie, le militantisme politique. Des spectres célèbres traversent le récit comme Andy Warhol, Kerouac, Ginsberg, Burroughs. Des anecdotes sulfureuses tapissent en catimini ce texte d'atmosphère. Chantal Thomas utilise son style feutré, coulant, rêveur pour nous plonger dans un monde disparu mais pourtant retenu dans les filets d'une mémoire impressionniste. Quand elle revient dans ce quartier en 2017, les traces de toute cette vie d'artistes marginaux se révèlent sur quelques graffitis comme à Pompéi... Les bars, les fêtes, les peurs, les amours, tout est décrit avec une intensité qui provoque, malgré tout, une nostalgie douce et mélancolique. Cette époque des années 70 à New York  n'est jamais aussi bien décrite que par une jeune étudiante venue de France pour découvrir un monde américain audacieux, avant-gardiste et libertaire. Un ouvrage indispensable pour les amoureux de New York, de la contre-culture et d'une certaine folie urbaine. 

lundi 11 janvier 2021

"Les Fantômes du vieux pays"

 Nathan Hill, écrivain américain, né en 1975, a écrit un premier roman, "Les Fantômes du vieux pays" en 2017, publié chez Gallimard dans la collection "Du Monde entier". Ces 670 pages marqueront la littérature américaine du XXIe siècle. Dès que je l'ai ouvert, je ne l'ai plus lâché. Le personnage central se nomme Samuel Anderson, jeune écrivain et professeur d'anglais à l'Université de Chicago. Il passe à côté d'un fait divers : le gouverneur Packer, candidat à la présidentielle, a été agressé en public. Son assaillante, Faye Andresen-Anderson, est surnommée par les médias la Calamaty Packer. En fait, ce professeur était trop occupé à jouer en ligne dans le "Monde d'Elfscape". L'emprise des jeux vidéo est vraiment un des meilleurs thèmes du livre tellement cette vie virtuelle envahit l'imaginaire du personnage central. La vie virtuelle semble prendre le dessus. Faye n'est autre que sa mère qui a abandonné Samuel à l'âge de onze ans. L'éditeur de Samuel le menace de le poursuivre en justice s'il ne termine pas le roman qu'il a promis. En désespoir de cause, Samuel saisit l'incident de sa mère qu'il a enfin reconnue pour raconter la vie mystérieuse de cette femme rebelle. Nathan Hill s'empare ainsi d'un personnage féminin qui traverse l'Histoire américaine de 1968 à 2004. Faye a rencontré le père de Samuel quand elle était très jeune. Elle a connu la période hippie, les mouvements radicaux de l'époque quand elle suivait ses études à Chicago. L'écrivain impose un rythme de lecture haletant entre ces années 60 et les années 2000 avec une temporalité très dynamique. Ainsi, Samuel se retrouve accusé de harcèlement par une étudiante à qui il reprochait un plagiat dans un devoir. Il accepte aussi de rencontrer un joueur pour évoquer ses mésaventures familiales et professionnelles qui va l'aider à comprendre les origines du chaos familial. Il se souvient encore de la phrase que sa mère lui a susurrée en le quittant, vingt cinq ans avant : "Les choses que tu aimes le plus sont celles qui un jour te feront le plus de mal". Le jeune homme va finir par retrouver cette mère fugueuse et après toutes ces années perdues, comment vont-ils renouer un dialogue ? Ce roman magnifique brosse un portrait de l'Amérique d'aujourd'hui tout en puisant l'inspiration dans un passé turbulent et fondateur de la modernité. Samuel mène son enquête sur les raisons de son abandon, sur un grand-père mutique d'origine norvégienne, privé de sa mémoire. Qui était sa mère ? Que cache-t-elle comme secrets ? Va-t-elle lui dire la vérité ? Je ne donnerai aucune autre indication car  cette fresque américaine constitue de belles heures de lecture pour découvrir la complexité de ce pays, des personnages, de l'histoire sociale. Et en prime, un humour féroce, une lucidité revigorante, une puissance imaginative formidable. Un premier roman remarquable,... J'attends son second avec beaucoup de curiosité

vendredi 8 janvier 2021

Les livres, des cadeaux essentiels

 Quel plaisir de pénétrer dans sa librairie préférée ! Je me souviens des trois mois de fermeture au printemps, à l'automne et de ma nostalgie de ne plus feuilleter les livres sur les tables. Avant un troisième confinement qui nous menace en fin janvier avec le nombre quotidien des contaminés, j'ai profité de soutenir ma librairie chambérienne préférée : Garin. Je vais régulièrement aussi chez Decître pour leur fonds important. Ce mardi, la rentrée littéraire de l'hiver bat son plein. J'aime cette période de l'année qui apporte son lot de belles surprises. Ainsi, je n'ai pas résisté à un inédit de Julien Gracq, "Nœuds de vie". Cet écrivain peu lu est pourtant l'un des plus grands prosateurs du XXe siècle. J'ai ouvert un récit autobiographique de Robert Bober, "Par instants, la vie n'est pas sûre", publié chez POL. Il m'a suffi de l'ouvrir et de lire ceci : "Oui, les souvenirs, il faudrait pouvoir leur parler. Ils doivent tout savoir de nos regrets, de nos remords". Je ne pas longtemps résisté à acquérir le dernier Chantal Thomas, "De sable et de neige" où l'autrice écrit : "L'insaisissable m'a donné la clef du monde". Ce dernier récit décrit l'art de vivre l'instant. Une splendide fresque pour célébrer la beauté des choses et la puissance de leur silence, lit-on dans la quatrième de couverture. J'avais commandé chez Garin via le site, "Chezmonlibraire.fr", deux livres d'art qui marquent toujours la tradition de Noël, offerts par mes proches. Cette année, j'ai choisi un ouvrage sur "Giorgio de Chirico et la peinture métaphysique", publié chez Hazan. Comme j'avais vu l'exposition au Musée de l'Orangerie en fin septembre à Paris, je voulais garder une trace de ma visite. Ce peintre italien me fascine avec ses toiles mystérieuses, avec ses références constantes de l'Antiquité, ses personnages sans visage, sa vision d'une architecture sans présence humaine. Chaque toile pose un point d'interrogation et l'aspect métaphysique de sa peinture est bien expliqué dans ce livre d'art. Le deuxième livre cadeau a tout de suite attiré mon attention : "Ruines, une histoire universelle, des origines aux Lumières", d'Alain Schnapp, publié au Seuil. L'historien s'appuie sur des sources archéologiques magnifiquement illustrées. Œuvre d'une vie, ce livre essentiel pour les amateurs d'archéologie évoque toutes les civilisations disparues, englouties par le Temps mais seules, leurs ruines témoignent de leur existence. Recevoir des livres ou les offrir en toutes occasions, du premier janvier au 31 décembre, voilà un objectif à réaliser qui rend manifestement heureux surtout dans ce présent anxiogène où le virus rôde toujours autour de nous. Les livres peuvent servir de rempart face à cet ennemi sournois et fatal... 

jeudi 7 janvier 2021

Retour aux Classiques

 Cette année, j'ai ressenti l'envie de retourner vers les classiques. Evidemment, je lis en majorité des nouveautés dans tous les domaines en particulier dans la littérature française et étrangère. Plus j'avance en "âge", plus je me dis qu'il faut relire des romans ou des essais que j'avais beaucoup aimés. Cette urgence m'est apparue ces derniers temps et j'organise mes lectures pour intégrer ces classiques. Ainsi, en 2020, j'ai relu Jean Giono : "Jean Le Bleu", "Colline", "Un de Baumugnes", "Pour saluer Melville". J'ai savouré son style imagé, charnel, sensible, poétique. Et je suis même partie à Manosque pour visiter sa maison de famille. Je l'imaginais derrière son bureau avec sa pipe, ses dictionnaires, son encrier et son cahier. Le silence régnait dans cette pièce où son imaginaire fabuleux lui dictait ses histoires universelles. Un Homère français : quelle chance de le lire dans notre langue ! Evidemment, je relis Albert Camus tous les ans. Cette année, "La peste", un conte moral ultra contemporain, un récit hallucinant sur la contagion comme on le vit encore aujourd'hui. J'ai aussi redécouvert "La Chute", un des meilleurs romans d'Albert Camus. Je me donne aussi rendez-vous avec notre plus grand écrivain vivant : Milan Kundera. Son roman, "L'Ignorance" m'a encore surprise par son intensité : que veut dire revenir dans son pays alors que tout a changé ? En le relisant, j'ai encore mieux compris son univers si complexe. J'ai aussi fait un tour chez Georges Perec et son "Espèces d'espaces", formidable récit oulipien et facétieux. En visitant la galerie Gallimard à Paris sur quelques écrivaines françaises, j'ai réouvert "Le Ravissement de Lol V. Stein" de Marguerite Duras. Un roman fascinant d'une modernité prémonitoire sur une femme étrange et étrangère à elle-même. J'ai aussi découvert les récits poignants de Charlotte Delbo qui relate son expérience des camps de concentration. Un écrivain que j'avais lu dans ma jeunesse est réapparu dans mes lectures : Henry James et son "Portrait de femme", un roman dense, proustien, psychologique sur l'effacement d'une héroïne et son renoncement à vivre par elle-même. Quels sont les écrivains classiques et contemporains qui vont m'accompagner en 2021 : Certainement Marguerite Yourcenar, Julien Gracq, Annie Ernaux, Virginia Woolf... Je devrais disposer de plusieurs vies pour m'adonner à cette passion : la littérature !

mercredi 6 janvier 2021

Mes 10 récits préférés de l'année

 Je continue le bilan de mes lectures en proposant une liste des 10 récits qui m'ont le plus marquée en 2020. Très longtemps, je lisais presque exclusivement des romans et peu de documentaires. Et maintenant, je porte une attention plus intense envers les livres "non-fictionnels". Ma curiosité envers la philosophie, l'Histoire, la sociologie, les voyages, la critique littéraire me pousse à lire ou à relire des ouvrages documentaires dans des domaines divers. Je consacre au minimum une à deux heures par jour pour ouvrir un de ces essais vivifiants pour ma vie intellectuelle. J'ai donc lu une vingtaine de documents et j'ai particulièrement apprécié ceux qui figurent dans la liste suivante :

- "Le Consentement" de Vanessa Springora : l'emprise d'un écrivain sulfureux sur la narratrice quand elle était adolescente. Un récit autobiographique sincère, utile, courageux pour dénoncer les prédateurs sexuels.

- "Hors de moi" de Claire Marin : un récit personnel, sensible d'une philosophe sur sa maladie auto-immune. L'auteur de "Ruptures" parle d'une catastrophe intime douloureuse sans pathos et avec une stoïcisme admirable.

- "Café Vivre" de Chantal Thomas : un éloge des bars, des cafés, des rencontres, de l'art de vivre à la française. En période de confinement, un manque cruel de tous ces lieux conviviaux et chaleureux. Le charme de Chantal Thomas. 

- "Ci-gît l'amer" de Cynthia Fleury : un ouvrage clair, précis, fondamental sur le sentiment du ressentiment, sur l'amertume d'être avec l'espoir d'effacer cet effondrement psychique qui empêche de vivre. Une philosophe psychanalyste passionnante à lire. 

- "Le bonheur, sa dent douce à la mort" de Barbara Cassin : une autobiographie intellectuelle originale. Un hommage à son compagnon, des rencontres, une vie audacieuse, iconoclaste. 

- "La Voyageuse de nuit" de Laure Adler : un voyage autour du vieillir, de l'âge mûr, de ce temps libre et libéré, un essai personnel mais aussi sociologique, culturel. Une Laure Adler en pleine forme et fière de ses 70 ans. Une lecture euphorique.

- "La joie est plus profonde que la tristesse" de Clément Rosset : un philosophe contemporain incontournable, malicieux et profond, compréhensible et empathique. 

- "La vie ordinaire" d'Adèle Van Reeth : un essai sur la notion de vie ordinaire pour une journaliste de France Culture, animatrice des Chemins de la Philosophie. Elle se dévoile sans fard et évoque sa maternité au sein d'une famille recomposée. 

- "De la forme du monde" de Belinda Cannone : une façon d'habiter le monde poétiquement en arpentant la montagne. Un récit jubilatoire sur la beauté du monde. 

- "La leçon de ténèbres" de Léonor de Recondo : un récit halluciné sur le peintre El Greco dans un musée de Tolède. 

Voilà les 10 récits les plus marquants dans ma vie de lectrice en 2020. L'année 2021 va-t-elle me réserver de belles découvertes ? Certainement !

mardi 5 janvier 2021

Retour à l'Océan

 Enfin, l'année 2020 s'est terminée avec un confinement limité imposant un couvre-feu dès 20H. Je n'avais pas pris l'avion depuis un an et je me suis décidée quinze jours avant Noël pour passer les derniers jours de l'année dans mon pays natal : la Côte basque. Malgré un temps exécrable où la pluie battante rythmait mes sorties, j'ai profité de l'air marin iodé à haute dose. Dès le premier jour de mon arrivée, je me suis baladée à la Chambre d'amour, une de mes plages préférées. Revoir les vagues, les mouettes, les surfeurs, le sable, les bois morts sculptés m'a procuré un bonheur particulier que Romain Rolland définissait comme le sentiment océanique. Une certaine relation fusionnelle avec l'élément de nos origines : l'eau. N'oublions pas que les humains se sont développés dans l'océan : les poissons ont marché sur le sable, se sont transformés en animaux vertébrés, etc. Notre mémoire se souvient de l'air salé, de l'eau salé, du contact de l'eau. Comme une matrice originelle. Quand je regarde l'océan, mon esprit s'absorbe dans la contemplation des mouvements incessants des vagues. J'oublie le temps, j'oublie les soucis, j'oublie tout et je deviens vague, écume, gouttelettes, courants marins. Je m'étale sur le sable longuement, lentement. Un grand artiste allemand, Anselm Kiefer, expliquait dans un documentaire sur Arte, la fascination des humains pour l'univers marin, source de vie et d'énergie. J'ai vu l'océan tous les jours, le matin et l'après-midi dès que la pluie cessait. Mais, j'ai aussi reçu des vagues pluvieuses quand je m'avançais trop sur la promenade. Les gouttes d'eau semblaient salées... Un grand bain de vastes paysages où mer, ciel, sable se mélangent dans des tons de gris et de beige avec parfois une apparition furtive du soleil capricieux. Malgré la fermeture des restaurants, des cinémas, des lieux culturels qui me rappelaient la présence du virus, du confinement limité, le spectacle de l'océan me suffisait amplement. Captée par la beauté océanique, captivée par l'énergie des vagues, j'admirais les surfeurs qui composaient un ballet digne d'un opéra baroque. Les mauvaises vagues de l'année 2020 se sont écrasées dans le passé et les nouvelles arrivent avec un espoir fou d'un vaccin qui va les empêcher d'engloutir notre esprit encrassé par ces mois où j'ai vu le monde culturel s'effondrer : librairies fermées, bibliothèques closes, cinémas éteints, restaurants échoués dans les villes. Cette escapade à Biarritz, malgré le danger viral, a décapé mon esprit, l'a revitaminé. J'ai ressenti l'énergie des vagues dans mon corps et quand je marchais au bord de l'océan, j'imaginais la pousse des ailes dans mon dos et je me voyais virevolter comme les mouettes ! Un retour à l'océan, une parenthèse bénéfique et thérapeutique !