vendredi 21 juillet 2023

"Denier du rêve", Marguerite Yourcenar

 Tous les étés, j'éprouve le besoin de lire et relire mes chers classiques que j'ai trop abandonnés depuis des années. L'air du temps, le goût des nouveautés, les nouveaux auteurs et autrices, ceux et celles que je suis à la trace depuis toujours, m'ont éloignée des lectures essentielles. Dans ce retour aux classiques, j'ai relu récemment "Denier du rêve" de Marguerite Yourcenar, ma chère Marguerite que j'aime presque autant que ma chère Virginia (Woolf, évidemment). En 1934, elle publie aux Editions Grasset, un récit "romain" dont la version définitive paraîtra chez Plon en 1959. Une journaliste du Monde évoquait ce texte en définissant l'art du roman de Marguerite Yourcenar : "Elle polit ses livres comme l'océan ses galets jusqu'à ce qu'ils acquièrent une forme définitive". L'écrivaine vit en Italie dans les années 30 et elle s'est inspirée d'un attentat manqué contre Mussolini, perpétré par une Anglaise. Elle compose dans ce roman original une histoire qui réunit quelques personnages reliés entre eux en utilisant une pièce de monnaie de dix lires. Les monologues se succèdent : le médecin Alessandro Sarte,  l'intellectuel idéaliste Carlo Stevo, le peintre Clément Roux, le jeune Massimo, un parfumeur et d'autres personnages. Chacun s'exprime en solo et forme un concert de voix polyphoniques. La figure centrale s'appelle Marcella, une militante anarchiste. Elle rate son attentat antifasciste et se vit comme une héroïne de l'Antiquité, une Antigone italienne. Chaque personnage symbolise aussi une figure mythologique. Marguerite Yourcenar connaît parfaitement le monde mythologique antique et elle recrée une Rome mussolinienne, peuplée de fantômes. Les temporalités se juxtaposent ainsi entre un fait historique (bien oublié aujourd'hui) et des personnages inspirés des mythes. J'ai retrouvé en lisant ce roman peu connu et un peu complexe, les thèmes forts de l'écrivaine : le Temps et l'Histoire. Avant de rentrer dans le roman, il faut absolument lire la préface où Marguerite Yourcenar présente sa démarche littéraire et sa vision tragique de l'Histoire. Elle précise son objectif ainsi pour le "Denier du rêve" : "L'un des premiers romans français à regarder en face la creuse réalité cachée derrière la façade boursouflée du fascisme"