vendredi 13 août 2021

"La force de l'âge", 4

 Simone de Beauvoir, dans ce deuxième volume de ses Mémoires, évoque la montée du nazisme en Allemagne et analyse sa propre cécité en la comparant avec celle de la gauche entière. Elle écrit : "Aujourd'hui, cela me stupéfie que nous ayons pu enregistrer ces événements avec une relative sérénité ; certes, nous nous indignions ; le nazisme inspirait à la gauche française encore plus d'horreur que le fascisme italien ; mais elle refusait de regarder en face les menaces qu'il faisait sur le monde". Elle constate cette faiblesse du politique en 1958, plus de vingt après cette période dramatique. Sartre portait une attention particulière au monde politique alors que le Castor poursuivait "avec entrain mon rêve de schizophrène", drôle de définition pour son attitude distanciée par rapport à l'actualité historique. Elle précise sa pensée en avouant : "Le monde existait, à la manière d'un objet aux replis innombrables et dont la découverte serait toujours une aventure, mais non comme un champ de forces capable de me contrarier". Son compagnon lui reprochait parfois son "insouciance". Elle pense écrire un roman mais constate son manque d'imagination : "Contre la plénitude de mon bonheur, les mots se brisaient ; et les menus épisodes de ma vie quotidienne ne méritaient que l'oubli". Elle cherche des modèles pour se lancer dans une fiction et s'intéresse à Stendhal en particulier. Parallèlement, alors que les menaces d'une guerre se précisent, elle reste "installée dans la paix éternelle". Elle prend conscience de la situation quand elle part rejoindre Sartre à Berlin où il travaillait à l'Institut français. Les pages qu'elle consacre à cette période sont particulièrement passionnantes. Elle voyage en Allemagne et assiste à des manifestations de nazis, "des cohortes de chemises brunes" et se demande : "Assis coude à coude, ils buvaient de la bière et chantaient. Peut-on tant aimer la chaleur humaine et rêver de massacres ? Cela ne paraissait pas conciliable". Simone de Beauvoir intègre dans son récit autobiographique les faits d'actualité tout en évoquant sa relation avec un Sartre de plus en plus impliqué dans sa philosophie existentialiste. Elle ressent aussi le poids des ans (à 26 ans !) et éprouve une certaine mélancolie : "J'étais encore capable de transes et pourtant, j'avais une impression d'irréparable perte". Une rupture intervient dans son récit en 1936 : la Guerre d'Espagne éclate qui sera suivie par la Deuxième Guerre mondiale. Elle s'enthousiasme pour la guerre civile espagnole soutenant comme beaucoup d'intellectuels de gauche la cause des Républicains. Quand Léon Blum refuse d'aider la République espagnole alors qu'Hitler vient soutenir les franquistes, Simone de Beauvoir estime ce manque de solidarité comme une trahison. (La suite, lundi)