vendredi 13 septembre 2019

"Virginia"

Je ne connaissais pas Emmanuelle Favier dont son premier roman, "Le courage qu'il faut aux rivières" avait été remarqué. Poète et nouvelliste, elle signe dans cette rentrée littéraire une très belle biographie poétique sur Virginia Woolf (1882-1941). Comme cette écrivaine anglaise de génie me passionne depuis des décennies, je me suis précipitée pour lire ce texte de dévotion à l'égard de la sublime Virginia. Dès les premières lignes, le style singulier d'Emmanuel Favier s'impose : "Virginia Stephen, dont nous seuls savons qu'elle deviendra Virginia Woolf - nous qui savons tout ce qui suit, la langue liquide, la légende, l'amour tronqué, et pourtant le plus grand bonheur possible, le succès, les craintes et les pages et les pages et les masses d'eau sans fond, l'eau médiévale et barbare". La petite Virginia vit au sein d'une famille que l'on dirait aujourd'hui recomposée. Son père, devenu veuf, se marie avec Julia, elle aussi veuve. Le récit démarre en 1875 et se termine en 1904 à la mort de Leslie Stephen quand Virginia atteint ses 26 ans. La petite fille est éduquée par ses parents dans une ambiance intellectuelle de la haute société. Son père est chargé de la Bibliographie nationale, une charge impressionnante. Sa mère Julia, une très belle femme, aura quatre enfants avec Leslie Stephen : Vanessa, Thoby, Virginia et Adrian. Julia posera même pour plusieurs peintres tellement sa beauté était légendaire. Ce couple exceptionnel reçoit des intellectuels, des écrivains comme Henry James, des artistes et la petite fille s'imprègne de cette atmosphère culturelle, un terreau fabuleux pour sa future œuvre. La biographe inspirée évoque souvent l'immense bibliothèque de son père où Virginia va se nourrir très tôt. Elle ne lit pas en dilettante mais, elle dévore les classiques, apprend le grec ancien, se passionne pour Sophocle, Homère, découvre les grands auteurs de son époque. La lecture devient son refuge surtout qu'elle a perdu sa mère brutalement d'une grippe à l'âge de douze ans. Ce deuil sera toujours une blessure ouverte pour Virginia. L'auteure raconte avec des détails précis, profonds, poétiques,  les fondations intellectuelles et sensorielles de l'écrivaine anglaise. Pourtant appartenir au sexe féminin n'était pas drôle au début du XXe siècle : pas d'école pour les filles, pas d'université. Virginia observe cet enfermement féminin, envie ses frères qui partent à l'université, se crée son propre monde. Sans nommer les titres des ouvrages, l'auteure raconte la matrice des romans en particulier, les vacances à St Ives en Cornouailles se retrouvant dans "Vers le phare". Ce récit halluciné se lit comme un roman, celui d'une petite fille qui va devenir une écrivaine géniale. Ce travail littéraire de psycho-généalogie réussit à incarner, à donner de la chair à Virginia, réputée pour son intellectualisme. Un pari risqué et audacieux, un pari réussi. Tel un peintre impressionniste où l'émotion affleure au fil des pages, la biographe compose une sonate sensuelle, écrite avec ferveur et admiration. Une fois le livre refermé, j'avais envie de relire Virginia, de la retrouver. Virginia Woolf ou le réel réenchanté, elle fait partie des grandes "stars" de ma vie en littérature, à l'égal de Marguerite Yourcenar.