mercredi 17 mai 2023

Philippe Sollers, la légèreté d'être, d'écrire, de vivre

J'étais attristée d'apprendre la mort de Philippe Sollers à l'âge de 86 ans. Je sais bien qu'il faut bien partir un jour mais quand même, je revendique pour les écrivains et les écrivaines qu'ils disparaissent le plus tard possible. Tant qu'ils restent vivants, j'attends toujours leur dernière publication comme si j'avais un rendez-vous amical d'une régularité appréciable. J'ai lu beaucoup de romans et d'essais de cet écrivain français parfois méconnu du grand public. Pourtant, il symbolise toute la vie littéraire de la deuxième moitié du XXe jusqu'au début du XXIe siècle. Comment parler de lui alors que la presse et les médias ont évoqué assez largement sa disparition ? Il faut absolument lire son dernier récit autobiographique, "Agent secret", pour appréhender sa vie si riche, si pleine, si passionnante. Philippe Sollers ou la liberté faite chair. Enfant aimé et choyé dans une famille bordelaise, il a trouvé peut-être la recette du bonheur en cultivant profondément son propre art de vivre. Quelle est donc son Graal ?  L'amour, la littérature, la culture ! Il a vécu l'amour des femmes, en particulier avec ses deux compagnes, Julia Kristeva, l'officielle, mère de son fils David, et Dominique Rolin, écrivaine belge, la secrète. Sa passion de la littérature l'a comblé : plus de 80 livres à son compte dès l'âge de 22 ans, une vie littéraire foisonnante chez Gallimard avec sa revue l'Infini, véritable laboratoire d'avant-garde des lettres françaises. Il faut ajouter sa culture érudite vertigineuse sur l'art et sur la musique. De nombreux essais rappellent cette activité de critique d'art dont "La guerre du goût". Dans ses derniers ouvrages, il mentionne les lieux magiques, ses lieux d'écriture  : l'Ile de Ré, Paris et Venise. Je me souviens encore de la Pension Calcina à Venise où j'avais remarqué la plaque dans l'entrée de l'hôtel indiquant les séjours réguliers du couple Sollers-Rolin. Quand je me promenais sur le Campo San Agnese, souvent désert, je m'imaginais rencontrer l'écrivain sur un banc de la place. Il fréquentait l'église des Gesuati où il admirait le plafond peint par Tiepolo. Et il nous a offert son merveilleux "Dictionnaire amoureux de Venise", lu et relu pour retrouver la magie vénitienne. Ce gourmand de la vie était doué pour un bonheur jalousement caché. Comme il aimait passionnément Mozart et la musique baroque, il cultivait la fugue, la légèreté d'être (selon Kundera), l'ironie, l'ambiguïté, la liberté. Il n'a jamais déclaré une appartenance politique, ni une allégeance philosophique. Cet écrivain français n'aura pas obtenu le Nobel (trop intelligent pour le comité ?), ni une reconnaissance universitaire. Il ne bénéficiera pas aussi d'une cérémonie aux Invalides (comme Belmondo !). Il a choisi son village de l'Ile de Ré pour se reposer dans l'éternité et sur la notice nécrologique du journal Le Monde, sa maison Gallimard a choisi ces mots : "L'auteur qui n'a jamais renoncé à dire que "le bonheur est possible", a rejoint la vérité du "grand merveilleux silence", "Je suis venu, j'ai vécu, j'ai rêvé".  Son corps est parti, mais son esprit, son bel esprit, demeure dans ses écrits. Il disait dans une belle émission de France Culture (A voix nue), "Pour écrire, il faut lire. Pour lire, il faut savoir vivre" et avec un humour corrosif, il se qualifiait de "dernier dinosaure" du monde littéraire...