jeudi 2 septembre 2021

"Quoi ? L'Eternité", 1

 J'ai abandonné cet été les "nouveautés" de l'année et j'ai éprouvé l'envie de me retrouver dans mon nouveau chantier : celui des relectures ou des lectures toujours en attente. Après Simone de Beauvoir, Virginia Woolf, Pascal Quignard, j'ai ouvert le troisième volume du "Labyrinthe du monde" de Marguerite Yourcenar. Dans son premier tome, "Souvenirs pieux", elle évoque sa famille maternelle et sa mère, morte à sa naissance. Dans son deuxième tome, "Archives du Nord", elle raconte la famille paternelle et son père qui revient aussi dans ce troisième volume, "Quoi ? L'Eternité", paru en 1988 chez Gallimard. La première page commence par deux phrases courtes, simples, lapidaires : "Michel est seul. A vrai dire il l'a toujours été". Pourtant, cet homme, "Monsieur de C." (Crayencour"), dispose d'un manoir à Bailleul où il vit avec sa redoutable mère, Noémie, la châtelaine du Mont Noir. Il est entouré d'une nombreuse domesticité et après la mort de sa femme, il se lance dans la conquête de nombreuses maîtresses. Mais, le couple qu'il va surtout former, c'est avec Marguerite, sa petite fille qui deviendra la grande Yourcenar. Elle décrit cette vie de rentier entre mondanités et voyages. La petite Marguerite est exclusivement éduquée par son père qui l'initie très tôt au latin, au grec ancien, à la littérature sans oublier les mathématiques. Son père, homme très cultivé, lui transmet le patrimoine culturel à travers les livres, les musées, les sites historiques que la petite fille assimilera avec un bonheur total. Michel se découvre un nouvel amour avec Jeanne de Reval, la meilleure amie de sa femme disparue. L'écrivaine relate ce trio original composé du père de Marguerite, de Jeanne et de son jeune époux, Egon. La narratrice recrée cette relation triangulaire en mettant l'accent sur Egon, musicien tourmenté, homosexuel caché qui inspirera le personnage principal de son roman "Alexis ou le traité du vain combat"?. Dans ce texte d'une écriture somptueuse, Marguerite Yourcenar mène une enquête proustienne, à la recherche d'un monde disparu à tout jamais. Pourtant, son regard sur ce passé lointain n'est pas complaisant, ni béat d'admiration. L'écrivaine n'oublie jamais le choc du réel et la complexité des humains. Le malentendu perdure quant à la filiation  : "Il en sera d'eux comme de tous les fils et de toutes les filles qui s'efforceront de déchiffrer le tempérament des parents, quelque chose fuira entre leurs doigts, comme du sable, se perdra sans l'inexpliqué". Cette phrase emblématique résume la démarche de l'écrivaine : qui était vraiment son père ? L'écrivaine tente de répondre à la question tout en insufflant dans son texte un hommage émouvant à cet homme qui lui a donné une double naissance :  sa présence physique au monde et celle de sa vie intellectuelle d'une intensité rare. Quand Michel lui fait découvrir la Méditerranée, elle inscrira cette vision ainsi : "Une première couche bleue avait été déposée en moi ; enrichie du souvenir d'autres côtes méditerranéennes, elle allait un jour m'aider à retrouver la mer d'Hadrien, la mer de l'Ulysse de Cavafy". (La suite, demain).