lundi 14 juin 2021

"Les morts ne nous aiment plus"

 Philippe Grimbert, écrivain et psychanalyste, est connu du grand public grâce à son roman, "Le secret", prix Goncourt des Lycéens en 2004 et adapté au cinéma par Claude Miller en 2007. Cette année, il publie son dixième roman, "Les morts ne nous aiment plus", chez Grasset. Le personnage central s'appelle Paul, psychologue et écrivain. Il donne des conférences sur le deuil, sa grande et unique spécialité. Il se sent lui-même en danger car son cœur lui fait des misères. Il est opéré d'urgence après son arrêt cardiaque et une pile implantée dans son organe déficient va lui permettre de poursuivre son chemin de vie malgré cette alerte angoissante sur sa santé. Mais le vrai drame surgit quand son épouse, Irène, dépressive depuis longtemps, se tue en voiture sur le lieu même où ses parents ont perdu la vie dans un accident suicidaire. Paul est dévasté par ce deuil, un deuil insupportable à ses yeux. Il se sent coupable de la mort de sa femme qu'il n'a pas su retenir. Paradoxalement, lui, le spécialiste du deuil, n'arrive pas à surmonter cette épreuve. Il rencontre un ami musicien qui lui conseille une solution pour atténuer son chagrin d'homme inconsolable. Il accepte un contrat avec un énigmatique entrepreneur, Jacod Shade,  qui fait parler les morts. Irène va devenir un avatar informatique avec toutes les données que son mari va communiquer à l'équipe du laboratoire. Ce pacte diabolique isole le narrateur car il cache ce secret à sa fille et à ses amis. La société, baptisée Ternity, lui propose un rendez-vous quotidien avec son ex-femme avec laquelle il entame un dialogue régulier. Cet avatar virtuel atténue malgré tout son chagrin. Ce tête à tête imaginaire finit par lasser le veuf inconsolable. Philippe Grimbert revisite le mythe d'Orphée et d'Eurydice pour illustrer la relation post-mortem qu'il entretient avec sa femme disparue. Ce roman surprenant aborde la question du deuil, de l'intelligence artificielle, des grandes manœuvres de l'homme "augmentée" entre un cœur soutenu par la technique et une épouse fantomatique informatisée. Il semblerait qu'une société japonaise a mis au point un logiciel capable de faire revenir les disparus et ainsi alléger l'épreuve terrible du deuil. L'écrivain psychanalyste dénonce à travers son roman les illusions technologiques pour conjurer la mort. Seule, la littérature possède un parfum d'éternité. Le pauvre mari en question se résout à l'inéluctable et reprend sa vie d'avant : il fait son deuil comme on dit dans le langage familier et il se remet à écrire pour renaître à soi. Un bon et percutant roman.