lundi 19 avril 2021

"Impossible"

 Erri De Luca, grand écrivain italien, vient d'écrire "Impossible", publié chez Gallimard en 2020. Sur un sentier escarpé de Val Badia, dans les Dolomites, un promeneur chute et se tue dans l'accident. Un homme le suivait et a prévenu les secours. Or, cet homme connaissait le promeneur imprudent. Ils appartenaient dans leur jeunesse à un groupuscule politique révolutionnaire comme l'Italie en a connu des centaines à l'époque des années de plomb. Le texte est construit autour de deux volets avec un graphisme différent. La scène d'interrogatoire pourrait même être facilement adaptée au théâtre. Un jeune juge pose des questions précises et embarrassantes à l'ancien militant. Pourquoi se trouvait-il sur le même lieu que l'homme accidenté ? Se connaissaient-ils ? A-t-il voulu se venger ? Le tuer ? Car l'homme avait trahi son groupe des années plus tard en les dénonçant à la police. S'agit-il d'un règlement de compte ? Le suspect nie l'accusation du juge qui ne croit guère à la coïncidence, au hasard. D'où le titre du roman, c'est "impossible" d'avoir commis cet acte. Pourtant, tout semble compromettre l'ancien militant.  Ce huis-clos entre un accusé vieillissant et un jeune juge aborde aussi des questions essentielles sur la liberté, l'engagement politique, la justice, l'amitié, la nature. Le prévenu ressemble à l'écrivain italien, connu pour son engagement à l'extrême gauche dans les années 70. Septuagénaire, il est aussi amateur d'escalades en montagne, en particulier dans les Dolomites. Un texte parallèle à l'interrogatoire se compose d'une correspondance à la femme aimée, Amoremmio : "Je te dis que je t'aime et je le fais continuellement. La liberté, c'est de nous garder ensemble même là-dedans. Aucune cellule ne peut m'enlever cette liberté". Il écrit ses lettres d'amour depuis la prison qui donnent au récit tendu une respiration bienvenue. Ce contraste entre la sécheresse du style juridico-policier et le style chatoyant des lettres creuse encore plus l'énigme de ce personnage ambigu. Au fond, personne, ni un juge, ni l'Etat ne lui enlèvera sa liberté intérieure, la prison devenant un "monastère sans prières". Il sait que l'époque révolutionnaire de sa jeunesse est "vaincue et révolue". Mais, il aimerait partager avec ce jeune juge un sentiment de compréhension avant d'être condamné. Son idéal de justice et de fraternité reste à tout jamais des valeurs essentielles pour l'ancien militant. La confession d'Eri de Luca débouche sur un double constat intime : la révélation de son "moi" révolutionnaire du passé et la découverte de son "moi" apaisé du présent. Un récit bref, percutant et profond.