jeudi 28 janvier 2021

"Les Villes de papier. Une vie d'Emily Dickinson"

 Née au Québec, Dominique Fortier, écrivaine et traductrice, évoque avec une délicatesse sensuelle la poétesse américaine, Emily Dickinson (1830-1886) dans sa biographie, "Les villes de papier", publié chez Grasset. L'ouvrage a obtenu le Prix Renaudot de l'Essai en novembre 2020. La poétesse américaine a passé toute sa vie à Amherst dans le Massachusetts, un petit village de 2 631 habitants. A l'époque, Chicago n'existait pas encore. Il ne reste qu'une photo d'elle, prise à l'âge de seize ans : "Emily Dickinson est un écran blanc, une page vierge". La biographe imagine donc l'enfance austère d'Emily où elle se passionne pour les fleurs, son environnement naturel, les oiseaux, son jardin. Son frère Austin et sa sœur Lavinia forment une fratrie unie et aimante. A l'adolescence, la jeune fille compose un herbier (herbarium), conservé aujourd'hui à l'Université de Harvard. Plus de 400 plantes sont répertoriées et le jasmin restera toujours sa plante préférée. Le kaléidoscope que son père lui a offert à Noël lui offre une vision "déconstruite de la réalité", la transforme et la multiplie. Mais, l'essentiel pour Emily se trouve dans sa bibliothèque : "Chaque livre en contient cent. Ce sont des portes qui s'ouvrent et ne se referment jamais". Son frère, Austin, se marie avec sa meilleure amie et Lavinia quitte aussi le foyer familial. Emily s'enfermera toute sa vie dans la maison de ses parents, une existence recluse consacrée aux poèmes et aux lettres qui ne seront pas publiés de son vivant. Elle passe sa vie à écrire des vers au dos de minuscules papiers de recettes, mêlant ses mots aux senteurs des aliments qu'elle cuisinait : "Dans le tiroir de son bureau, elle range les poèmes griffonnés à la hâte sur les emballages. Quand elle les ressort, elle les reconnaît à leur odeur : certaines fleurent la farine, d'autres exhalent un parfum de poivre ou de noix de pécan". Emily exalte dans ses poèmes brefs, la beauté du cosmos,  la palpitation de l'univers, du brin d'herbe familier aux étoiles lointaines. La vie à l'écart du monde n'est pas une défaite mais une victoire : "Elle n'est pas cachée, elle n'est pas recluse. Elle est au cœur des choses, au plus profond d'elle-même, recueillie, posée en équilibre entre les abeilles du jardin et les deux Ourses, la grande et la petite, qui s'allument dans le ciel à la tombée du jour, tendue comme le style d'un cadran solaire".  Dominique Fortier compose une ode elle-même poétique, cousue de réflexions et de notes personnelles, consacrée à la poétesse américaine, épousant son émerveillement d'être au monde, si minuscule soit-il. Sa vraie maison intérieure ressemble à une maison de papier, "Un bout de papier grand comme la paume. Cette maison-là, personne ne pourrait la lui enlever". Ce récit interroge le sens de l'écriture poétique et son rapport avec la vie. Ce portrait d'Emily Dickinson, tout en douceur, tout en empathie, influence le lecteur à ouvrir un recueil de ses poèmes... Opération réussie pour Dominique Fortier.