mardi 16 novembre 2021

"Le voyage dans l'Est"

 Christine Angot a enfin reçu un grand prix littéraire, celui du Médicis, qui couronne une certaine littérature ambitieuse pour son dernier roman, "Le voyage dans l'Est", publié chez Flammarion. J'ai retrouvé dans cet opus le thème récurrent de ses ouvrages précédents, "Une semaine de vacances" ou "Un amour impossible" : l'inceste. La lecture de ce type de récit s'avère parfois dérangeante, désolante et cette écrivaine ne cesse de rappeler la cruauté d'un réel abîmé. Ses lecteurs connaissent son histoire familiale, la rencontre de son père à l'âge de 13 ans, et le naufrage sexuel qu'elle va subir. Elle décrit cette relation avec sa franchise légendaire, sans pathos, sans fard avec une précision clinique et une distance froide : le premier baiser de son père, l'initiation à la sexualité, les gestes amoureux. Ces descriptions crues apportent à la relation incestueuse père-fille un effet d'horreur insupportable. La narratrice subit cette situation et s'enlise dans une acceptation résignée. Sa solitude s'avère terrifiante dans l'épreuve qu'elle vit. Ce père monstrueux n'est pas un homme frustre. Il est cultivé, parle plusieurs langues, occupe un poste important dans l'administration du Conseil de l'Europe. La jeune fille de 13 ans admirait ce père lointain, remarié avec deux enfants. Quand ce père pervers lui impose cette relation, elle se laisse faire. La narratrice évoque ce consentement "non consenti" pour révéler son impuissance. Elle est dévastée, morte à elle-même, perturbée dans sa sexualité, saccagée, fracassée. Personne ne lui vient en aide, ni ses proches, si son mari qui, pourtant, découvrira ce lien incestueux. Christine Angot dénonce dans ce roman autofictionnel le drame de sa vie : comment vivre avec ces souvenirs traumatiques ? Comment vivre avec cette tragédie intime ? Elle écrit : "L'inceste est une mise en esclavage. Vous ne savez plus qui vous êtes, lui, c'est qui, c'est votre père, votre compagnon, votre amant, celui de votre mère, le père de votre sœur ? C'est un bannissement l'inceste. C'est un déclassement à l'intérieur de la famille, qui se décline ensuite dans la société". Ce père admiré et honni à la fois lui aurait déclaré : "Tu devrais écrire sur ce que tu as vécu avec moi. C'est une expérience que tout le monde ne vit pas". Ce texte ressemble à un constat sans concession, une reconstitution d'un crime : on ne se remet jamais d'un crime sordide comme celle du viol, de l'inceste. L'écrivaine ne brandit pourtant pas le drapeau de Metoo, ou d'un féminisme agressif revanchard. Elle utilise une écriture "blanche" sans fioritures pour aborder ce tabou universel, l'inceste. Un roman éprouvant, percutant, vrai. Un Médicis bien mérité.