mercredi 1 avril 2020

Prendre l'air

Le gouvernement nous offre encore une heure de liberté par jour. Il faut donc remplir cette déroutante "attestation de déplacement dérogatoire". Dans toutes les possibilités de sorties, je trouve les déplacements professionnels, les achats alimentaires, les consultations médicales, les aides aux personnes âgées et les enfants, les convocations administratives, les missions d'intérêt général. Je ne coche aucune de ces options sauf pour les ressources alimentaires une fois par semaine. Par contre, je me permets avec un sentiment un peu coupable ce "déplacement bref, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon d'un kilomètre autour du domicile, lié à l'activité physique". Je choisis le créneau de 13h pour éviter le maximum de rencontres, de promeneurs qui auraient la même idée que moi. Ce virus rend éminemment méfiant. Je sors dans ma petite rue des Cyclamens et je jette un regard sur mon environnement immédiat : personne. J'éprouve un sentiment de voleuse, voleuse de soixante minutes de marche dans mon quartier. Je ressens ce moment comme un cadeau du ciel et je n'ai jamais observé mes chemins de Chantemerle comme jamais. Je préférais, avant la catastrophe, me balader du côté du lac aux paysages magnifiques. Mais, en ce moment, je redécouvre avec une curiosité renouvelée ce parcours chantemerlien. J'atteins la rue Saint-Ombre sans problème, observant le silence de cimetière avec quelques pépiements d'oiseaux, les derniers spécimens d'un abominable massacre de nos chers amis ailés. Dans les jardins déserts, je remarque les pelouses en friche, les potagers sans légumes, les cerisiers en fleurs, des jonquilles solitaires. Un voisin parfois repeint ses volets ou bricole dans son garage. Les hommes confinés semblent avoir besoin d'occuper leurs mains. J'arrive aux abords du Château de Caramagne, une belle bâtisse du XVIIIe, avec ses fresques italiennes représentant la déesse Europe sur son taureau. J'aime vérifier la beauté de ce lieu si romantique avec ses platanes séculaires. Un petit bout d'Italie dans un quartier chambérien. Attention, j'ai déjà consommé mon pourtour d'un kilomètre en longeant le parc au bord de la route. De temps en temps, une voiture passe presque en s'excusant. Je repars vers les cours de tennis, complètement désertés. Plus aucun bruit de balles, de cris. Je longe ensuite un petit chemin qui descend sur un quartier voisin et je me faufile dans un sentier forestier. Ce petit bois survit encore (jusqu'à quand ?). La mairie n'a pas encore eu l'idée d'en faire un terrain constructible. Une aubaine pour ma petite balade. Respirer l'air frais, admirer les arbres qui se mettent au vert et ce silence… Ensuite, je traverse le quartier du bas et je ne croise quasiment personne, à part une jeune joggeuse et un couple de retraités. Je suis étonnée de ne voir aucun enfant, ni aucun adolescent dans la rue comme au début du confinement. En marchant une heure, je sens mon corps s'assouplir, se détendre. Je regarde aussi toutes les montagnes environnantes : la Croix de Nivolet, la Chartreuse, Belledonne, la Dent du Chat. Quel panorama consolateur ! Il me manque l'océan et c'est l'unique reproche que je ferai à la Savoie… En ces temps de confinement, je m'octroie cette heure baladeuse légère dans cette ambiance lourde et ténébreuse de la vie sous cloche que nous menons tous…