mardi 8 juin 2021

"Trio"

William Boyd, écrivain anglais, vient de publier son quinzième roman, "Trio", publié au Seuil. La citation de Tchekhov en exergue du récit donne le tempo : "Sous le voile du secret comme sous celui de la nuit, chacun dissimule sa vraie vie, celle qui présente le plus grand intérêt". Le trio en question se compose de trois personnages : Talbot Kydd, Anny Viklund et Elfrida Wing. Le premier est producteur de cinéma et suit un tournage à Brighton. Marié et père de famille heureux, il cache un secret troublant en se sentant attiré par les hommes. En 1968, son coming-out ne fait pas partie de ses priorités du moment. Anny, l'actrice américaine sur le tournage du film, a commis une erreur fatidique dans sa jeunesse. Elle s'est mariée à un militant activiste et terroriste dans son passé. Alors que cet individu dangereux avait disparu de son horizon, il réapparaît à Brighton pour lui réclamer de l'argent. Elfrida, écrivaine en panne d'inspiration et épouse délaissée du metteur en scène, boit beaucoup trop d'alcool pour noyer son mal-être. Baptisée la nouvelle Virginia Woolf depuis l'écriture de son premier roman, elle a subitement l'idée d'un récit sur le dernier jour de l'écrivaine anglaise qui se suicide en 1941 en se noyant dans une rivière. Ces trois personnages vont se croiser dans leur travail mais chacun va suivre un chemin différent. Le producteur, Talbot Kydd va finir par accepter sa différence sexuelle en tombant amoureux d'un artisan intervenant sur un chantier dans son immeuble. Anny, l'actrice américaine, va aider son ex-mari en lui donnant de l'argent mais elle sera rattrapée par le FBI. Sa fin pitoyable dans une fuite en France la condamne au suicide médicamenteux. Et Elfrida ? Comment va-t-elle écrire son roman sur Virginia Woolf ? Elle se rend sur place dans la maison de campagne de l'écrivaine pour stimuler son imagination. Au fur et à mesure, elle comprend que sa vie personnelle est dans une impasse car son mari la trompe avec la scénariste du film. Elle finit par se séparer de son mari volage et remet de l'ordre dans sa vie en suivant une cure de désintoxication dans un couvent. Ce roman cocasse, ironique et brillant évoque les années 68 où les carcans sociaux commençaient à se craqueler. Il est temps pour eux de sortir de leur duplicité personnelle, de l'hypocrisie sociale et de leurs contradictions existentielles. William Boyd décrit le milieu parfois caricatural du cinéma qu'il connaît bien en utilisant ses armes préférés : l'ironie tendre et l'humour féroce. Les travers des personnages en font des humains assez problématiques qui cherchent malgré tout à s'en sortir et vivre en harmonie avec leurs désirs profonds. Ce roman enlevé se lit avec un sourire au coin des lèvres. C'est assez rare dans la production littéraire du jour...