vendredi 21 avril 2023

"Parlons travail", Philip Roth et Milan Kundera

Dans l'excellente bibliographie sur Milan Kundera que j'ai lue dans la Pléiade, j'ai trouvé un chapitre dans l'essai de Philip Roth, "Parlons travail", publié chez Folio. Tous les "grands" de la littérature sont aussi d'immenses lecteurs. L'écrivain américain se pose la question : "Comment la littérature se fait dans la conscience de l'écrivain sans cesse sollicitée par les affaires du monde". Dans ces entretiens, Philip Roth en auditeur passionné et attentif rencontre Primo Levi, Aharon Appelfeld, Ivan Klima, Isaac Bashevis Singer, Milan Kundera et Edna O'Brien. J'ai donc relu avec plaisir le chapitre consacré à Milan Kundera qui éclaire à merveille les thèmes majeurs de ses écrits. Les deux géants se sont retrouvés à deux reprises dans les années 80, une fois à Londres et une autre fois en Amérique. La première question choc de Roth : "Vous pensez que la destruction du monde est pour demain ?". Réponse de Kundera : "Pour qu'une peur habite l'esprit humain depuis les âges les plus reculés, il faut bien qu'elle ait un fondement". Ils échangent sur la fragilité de l'Europe Centrale qui peut être engloutie par la Russie (quelle vision prémonitoire dès 1980 !). Milan Kundera retrace son parcours d'exilé de l'ancienne Tchécoslovaquie à Rennes et s'il a choisi la France, c'est pour sa littérature en particulier pour Rabelais et Diderot. Il propose sa vision du roman : "Le romancier saisit son sujet sous tous les angles, d'une façon aussi complète que possible. Essai ironique, récit romanesque, fragment autobiographique, fait historique, envolées dans la fantaisie : la force synthétique du roman en fait un tout comme si c'étaient des voix de la musique polyphonique". L'écrivain aborde la question du rire : "Je suis terrifié par un monde qui perd son humour". Il revient sur le concept du totalitarisme stalinien : "Toute la période de la terreur stalinienne a été une période de délire lyrique collectif". Le thème de l'oubli est abordé par Philip Roth quand il s'interroge sur la confrontation permanente entre vie privée et vie publique. Son collègue en littérature lui répond que "L'oubli est une forme de mort toujours présente dans la vie". Le chapitre se termine par ces mots kundériens : "La bêtise des hommes vient de ce ce qu'ils ont réponse à tout. La sagesse du roman c'est d'avoir question à tout. Dans un monde construit sur des certitudes sacro-saintes, le roman est mort". Pessimiste ou optimiste, Milan Kundera ? L'écrivain refuse de répondre à cette question trop simpliste... 

jeudi 20 avril 2023

"La Plaisanterie", Milan Kundera, 2

Quelques années plus tard en 1956, Ludvik retourne à l'université et devient un chercheur scientifique. Mais, il n'oublie pas l'humiliation qu'il a vécue dans sa jeunesse, une humiliation mortifère. Il rumine sa vengeance contre le principal instigateur de son expulsion du parti, Pavel Zamanek. un ancien camarade de la faculté. Il va séduire sa femme, Helena, reporter journaliste. Cette épisode constitue à lui seul la réponse à la première plaisanterie de Ludvik. Sans qu'il s'en rende compte, Helena éprouve un amour fou pour lui et Ludvik la délaisse dès qu'il l'a eu une relation sexuelle avec elle (scène loufoque et grotesque). La scène ubuesque du suicide ratée d'Helena (elle pense prendre des comprimés dangereux alors que ce sont des laxatifs) montre un des aspects de la démarche kundérienne : l'utilisation du rire, de l'ironie, du dérisoire, un humour propre à Rabelais et à Cervantès, ses grands modèles romanesques. Cette deuxième "plaisanterie" de sa part tourne court et Ludvik apprend qu'Helena était séparée de son mari. Tout ce stratagème pour rien. D'autres thèmes sont abordés dans ce roman riche et subtil comme le folklore morave, la musique, le lyrisme fallacieux de la jeunesse. Il est très critique sur la jeunesse dont les traits principaux sont pour lui "la bêtise, l'ignorance et l'esprit de sérieux". Ludvik s'insurge contre l'absurdité de la situation et se sent "dévasté" par son destin contrarié. Il vit avec une chape politique de plomb et seule, la fuite, la désertion et le "désengagement" pourraient lui donner une issue de secours. Milan Kundera saisira cette chance quand il quittera son pays pour vivre libre, une liberté à la fois extérieure et intérieure. Ce roman est construit comme "une sonde existentielle" et lève "le rideau" (titre d'un de ses essais) sur les illusions et sur les impasses imposées aux individus par la société autoritaire ou libérale. Mais la force romanesque de ce texte réside aussi dans le rire comme une basse continue car beaucoup de scènes sont traversées par un rire salvateur, déminant "les préjugés, les dogmes et les certitudes". Un critique littéraire, André Clavel, a résumé ses dix romans ainsi : "L'ironie de Kundera ? Du napalm. (...) La perte de l'identité, la tragédie de l'oubli, le cynisme des régimes totalitaires, les aveuglements de la sentimentalité kitsch, le grotesque de la gesticulation érotique, la dictature du paraître, le moralisme épurateur, les laminages du conformisme planétaire, la sotte euphorie de l'homo festivus, autant de cibles contre lesquelles Kundera n'aura cessé de s'acharner dans ses dix romans". "La plaisanterie", un roman capital pour comprendre le XXe siècle. Dans ses essais, ("L'art du roman", "Les testaments trahis" et "Le rideau"), le romancier définit le roman ainsi : "La seule morale du roman est la connaissance ; le roman qui ne découvre aucune parcelle jusque là inconnue de l'existence est immoral". Au fond le grand sujet qui obsède peut-être Milan Kundera en dehors des questions essentielles (Qu'est-ce que l'amour ? La vérité ? L'individu ?) serait de tenter de comprendre "l'énigme existentielle". Son œuvre entière entre romans et essais apporte quelques réponses. Aux lecteurs et aux lectrices de les saisir.  

mercredi 19 avril 2023

"La Plaisanterie", Milan Kundera, 1

 Publié en 1967 avant le Printemps de Prague, le roman de Milan Kundera, "La Plaisanterie" se déroule en Tchécoslovaquie après 1948 dans la période communiste du pays. Ludvik Jahn, étudiant et militant enthousiaste de la "cause", est exclu du Parti et renvoyé de l'Université. Il subit ainsi l'opprobre des dirigeants de sa cellule pour une blague de potache. Pour séduire son amoureuse, militante convaincue comme lui, il lui envoie une carte postale alors qu'elle suit un stage de formation (ou de formatage) sur le marxisme. Il lui déclarait cette formule : "L'optimisme est l'opium du genre humain ! L'esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski !". Cette "plaisanterie" est prise très au sérieux dans l'entourage politique de la jeune fille. On ne plaisante pas dans ce pays du communisme sérieux, la dernière "illusion lyrique" du XXe siècle. Ce jeune étudiant a conservé un certain humour qui le range dans la catégorie des "intellectuels", un qualificatif dangereux, un individu arrogant pour les tenants du dogme. Il est enrôlé de force dans l'armée avec les "noirs", les déviants et ennemis de classe, loin de Prague dans un camp. Il rencontre des récalcitrants comme lui et raconte cet enfer kafkaïen où il côtoie toutes sortes de gens que le pouvoir suspecte de trahison comme ce peintre cubiste, représentant un courant artistique contraire à l'idéologie communiste. Dans ce roman polyphonique, quatre destins se croisent : Ludvik, le renégat, Jaroslav, son ami musicien, attaché aux traditions populaires de son pays, Helena, femme de son collègue à l'origine de son exclusion, Kostka, un ami croyant et Lucie, une femme discrète et apolitique. Quand il est en permission et après plusieurs aventures légères et hâtives, il tombe amoureux d'une femme timide et douce, Lucie, "la déesse des brumes" au passé malheureux car elle a été violée et le jeune homme l'ignore. Ce personnage très émouvant lui échappera malgré l'amour qu'il ressent pour elle : "On parle volontiers de coups de foudre. L'amour tend à façonner la légende de soi-même, à forger après coup le mythe de ses commencements". Plus tard, Ludvik vivra avec ce souvenir d'amour : "Elle m'habitait jour et nuit, comme une nostalgie silencieuse ; je la désirais comme on désire des choses perdues à jamais". Milan Kundera a toujours précisé qu'il écrivait des romans d'amour et ne revendique en aucun cas que ses textes soient considérés comme des essais politiques de dissident. (La suite, demain)

mardi 18 avril 2023

"La Furieuse, rives et dérives", Michèle Lesbre, 2

Michèle Lesbre s'interroge sur l'acte d'écrire : "Ecrire, ce n'est pas tenter de s'en libérer, c'est au contraire tenter d'atteindre une cohérence sur la durée, de porter jusqu'au bout les images qui ne s'effacent pas, les chagrins, mais aussi les éblouissements, les désirs, ce qui pour moi est la fidélité". Dans un chapitre, elle évoque son métier d'écrivain, son inspiration, ses affinités littéraires dont l'immense Julien Gracq,  l'élaboration de ses personnages : "Je cherche sans doute aussi à construire la cohérence de ma propre vie à travers eux". Ses souvenirs d'enfance auprès de ses grands-parents ressemblent à une photo sépia où le temps semble figé : "Mes souvenirs d'enfance ne sont que perpétuelles aventures champêtres et buissonnières, lors desquelles, j'en ai la profonde certitude, j'ai tout appris de ce qui m'était nécessaire". Elle n'oublie pas Paris et la Seine, omniprésente dans son paysage quotidien. Son éloge des rivières et des fleuves se concentre sur cette "Furieuse", du côté d'Ornans, le pays de Courbet. Elle part à Salins pour se ressourcer et découvrir enfin cette rivière qui éveille en elle un esprit d'enfance qu'elle recherche : "Il s'agit d'être encore et toujours au plus près de soi, de ce commencement de tout qu'est l'enfance, cette conscience lumineuse qui confond l'éternel et l'éphémère, le rêve et la réalité". Contempler cette rivière provoque des réminiscences comme son séjour à Cuba ou en Irlande. L'actualité de la guerre en Ukraine surgit au détour d'un chapitre pour montrer le désastre où le monde plonge souvent. Revenue à Paris, elle retrouve la Seine comme une compagne amicale et les derniers mots de Michèle Lesbre résument sa démarche poétique et nostalgique : "L'homme dont on fouille la mémoire retrouve l'image de son enfance, qui le poursuit depuis toujours". L'écrivaine retrace son parcours d'écriture, une écriture voyageuse et rêveuse. Cette Furieuse dans laquelle se baignait le petit Courbet inspire la narratrice : "C'est le nom qui m'a séduite d'emblée, la Furieuse. Sans doute contenait-il toutes mes colères, il parlait de moi". Un beau récit, un éloge de l'enfance, du voyage et de la littérature. A découvrir pour le plaisir de l'errance au fil de l'eau. 

lundi 17 avril 2023

"La Furieuse, rives et dérives", Michèle Lesbre, 1

 Michèle Lesbre, écrivaine et poète, vient de publier "La Furieuse, rives et dérives" chez Sabine Wespieser. Dès la première page, un charme délicat et doux opère quand elle raconte son enfance perdue avec une nostalgie toute nervalienne : "Je m'évade et tente de retrouver le chemin de cette modeste campagne qui n'existe plus, avalée par la mécanique implacable du progrès. Je cherche comment échapper à ces images douloureuses, même si elles me ramènent aux délicieux après-midi où mon grand-père Léon et moi pêchions ensemble, chacun sa canne à pêche, chacun ses rêves. Il m'apprenait, sans le savoir, les échappées intimes". Ce texte ressemble vraiment à une "échappée intime", une fenêtre sur la rêverie du passé, de l'enfance, de la mémoire. L'écrivaine songe à la Furieuse, un affluent de la Loue dans le pays de Courbet en Franche-Comté : "Celle qui ne me quittera jamais est celle de ce petit étang, de son silence, de Léon et Mathilde, que la Furieuse a réveillée en moi. C'est l'origine du monde qui est en moi". Elle se donne le projet de revoir cette rivière et en songeant à cette découverte future, elle se tourne vers sa bibliothèque pour relire des ouvrages sur le thème de l'eau, des rivières, des fleuves. Michèle Lesbre aime voyager dans la vie et dans les livres. Son premier auteur se nomme Claudio Magris et son magnifique "Danube". Une de ses villes préférées dans lesquelles elle déambule s'appelle Trieste qu'elle décrit ainsi : "J'arpentais la ville avec l'idée de naviguer dans le temps". Michèle Lesbre aime aussi Paolo Rumiz, triestin lui aussi. Elle s'embarque sur le Pô avec lui et rencontre Pavese et sa mélancolie légendaire. Le portrait de son grand-père s'affine au fil des pages et elle décrit un homme taiseux et secret. La Loire arrive avec Julien Gracq et son beau récit, "Les eaux étroites". Elle n'oublie pas la Seine qu'elle fréquente régulièrement à Paris, sa résidence principale. Les paysages fluviaux la traversent : "Je feuillette ma mémoire, je ne vais pas mourir déjà, grâce à ces paysages". La Marne rejoint la compagnie des fleuves aimés avec Jean-Pierre Kaufmann et son "Remonter la Marne", récit passionnant de son vagabondage littéraire. D'autres récits sont analysés comme celui d'Esther Kinsky, "La rivière" pour lequel elle raconte un vrai coup de cœur. Ce récit l'a particulièrement émue par la finesse des observations d'une vie au fil de l'eau entre Londres et la rivière Lea, le fleuve Saint-Laurent au Canada, le Rhin de son enfance. (La suite, demain)

vendredi 14 avril 2023

Rubrique Cinéma : "Les âmes sœurs", André Téchiné

 Avec le temps maussade de la semaine, je suis allée voir le dernier film d'André Téchiné, "Les âmes sœurs" à l'Astrée. La réputation quelque peu "sulfureuse" d'André Téchiné, réalisateur sensible et transgressif, se confirme dans ces "Ames sœurs" où il évoque le sujet tabou de l'inceste. David, soldat en mission au Mali, se blesse gravement lors d'une expédition. Il est rapatrié en France à l'hôpital des Invalides. Il a des brûlures et il a surtout perdu la mémoire de son passé. Sa sœur, Jeanne, vit en Ariège dans un domaine en pleine montagne. Elle s'occupe du château décrépie d'un voisin déprimé et suicidaire. Prévenue par la maire du village, Jeanne part à Paris pour s'occuper de son frère cadet. Les soins hospitaliers défilent sur l'écran avec des scènes de travail acharné des soignants. A force de patience, David recommence à marcher mais il ne retrouve pas sa mémoire. Jeanne le prend totalement en charge dans sa maison en Ariège. La convalescence de David se poursuit avec des soins intensifs délivrés par sa sœur. Ils vivent en huis-clos, presque comme un couple dans une nature hostile. La maire tente de les attirer dans le réseau social pour fêter le retour du héros. Mais David est obsédé par sa sœur et lui déclare sa forte attirance. Jeanne s'inquiète beaucoup pour son frère qui est devenu un autre homme depuis son accident. Il achète une moto, se lie avec leur voisin déprimé qu'il sauve d'un suicide au bord d'un étang. Cet homme se déguise en femme et n'assume pas cette "fluidité de genre" comme on dit aujourd'hui... Tous les trois forment une famille recomposée avec leurs problèmes d'identité et de marginalité. Jeanne révèle à son frère leur ancienne liaison amoureuse et refuse de revivre cette relation malsaine et interdite par la loi. Celui-ci tente de se suicider avec sa moto. Jeanne quitte sa maison et fuit cette situation invivable. Jeanne va-t-elle se libérer de l'emprise de son frère ? Je n'évoquerai pas la fin de ce drame intime et troublant sur cette question sensible de l'inceste. Noémie Merlant, toujours aussi convaincante, tient un rôle difficile et Benjamin Voisin, vulnérable et immature, compose un personnage ambigu dans ses sentiments et émouvant dans sa solitude. Un film étrange et dérangeant. A voir, évidemment. 

jeudi 13 avril 2023

"Le livre du rire et de l'oubli", Milan Kundera, 2

 Dans le chapitre "Les lettres perdues 2", le narrateur raconte l'histoire de Tamina, exilée et barmaid de café dans une ville française. Elle écoute ses clients avec une patience d'ange alors qu'elle ne se confie à personne ; "Car toute la vie de l'homme parmi ses semblables n'est rien d'autre qu'un combat pour s'emparer de l'oreille d'autrui". Veuve, elle voudrait récupérer des papiers personnels restés chez sa belle-mère en Tchécoslovaquie. Elle va se lier avec un étudiant volontaire pour aller chercher ces lettres à Prague. Mais, cette récupération des lettres perdues s'avère vaine (mémoire et oubli). Le chapitre "Litost", mot tchèque un peu mystérieux, relate l'aventure amoureuse et hasardeuse de Christine, mariée à un boucher. Elle tombe amoureuse d'un étudiant pragois mais refuse de devenir sa maîtresse. La "Litost" est un sentiment d'échec et de l'acharnement dans l'échec dans une sorte de délectation suicidaire. Ils se retrouvent dans la chambre de l'étudiant à Prague et elle insiste pour qu'il rencontre des poètes dans un bar. Quand il revient pour vivre sa nuit d'amour, elle se refuse dans un entêtement incompréhensible pour le jeune homme. Le lendemain, elle finit par avouer qu'elle avait peur de tomber enceinte (situation absurde) ! Cette incommunicabilité entre homme et femme est traitée de façon ironique et décapante. Pour les chapitres suivants bien plus complexes, le narrateur reprend le personnage de Tamina dans une dimension onirique. Il évoque avec une émotion inhabituelle la figure de son père, pianiste et musicologue. Ce père oubliait les mots dans sa vieillesse mais qui, juste avant de mourir, avait prononcé, "Maintenant, je sais !", sur un quatuor de Beethoven. Encore ce thème de la mémoire et de l'oubli... Les derniers chapitres proposent des réflexions très pointues sur la musique tonale et dodécaphonique et surtout une fable fantastique à la Kafka quand Tamina vit sur une île avec des enfants sans passé et sans mémoire. Quand elle tente de fuir cet île en nageant (une image allégorique d'un monde totalitaire), elle aperçoit une barque chargée d'enfants et elle a peur d'être récupérée. Mais, ils la regardent suffoquer et la laissent se noyer. Ce roman se termine sur une note pessimiste : "La lutte de l'homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l'oubli". Mais le rire apporte une note moins sombre car Milan Kundera utilise l'ironie, la fable, l'absurde pour dénoncer la déshumanisation des idéologies totalitaires qui anéantissent la mémoire des peuples et des individus. Ce roman complexe et musical dévoile la philosophie de Milan Kundera : comprendre la vie dans sa nudité absolue. Il déclare dans son essai, "Le Rideau" : "Comprendre cette inéluctable défaite qu'on appelle la vie" et il ajoute : "Le roman nous reste comme le dernier observatoire d'où l'on puisse embrasser la vie humaine comme un tout". Le verbe qu'il préfère certainement : "Se libérer", se libérer des conventions, des modes, du lyrisme, du sentimentalisme, du dogmatisme, et de tant d'autres illusions... 

mercredi 12 avril 2023

"Le Livre du rire et de l'oubli", Milan Kundera, 1

J'ai choisi Milan Kundera pour l'atelier Littérature du jeudi 11 mai. Cet immense écrivain français d'origine tchèque mérite amplement une redécouverte pour certaines lectrices et pour d'autres, une découverte qui demande parfois un effort de lecture. J'ai conseillé de lire les romans écrits dans la tranche des années 70 à 90 plus accessibles que les dernières parutions. "Le Livre du rire et de l'oubli" est le premier ouvrage écrit en 1976 quand l'écrivain fuit la Tchécoslovaquie et trouve un poste de professeur de littérature comparée à Rennes qu'il occupera jusqu'en 1979. Comme tous les textes de Milan Kundera, il faut entrer dans un labyrinthe musical car il définit ses œuvres comme des "romans en forme de variations". Les thèmes de l'ouvrage (la mémoire et l'oubli, le rire et le tragique) commentés par un narrateur autobiographe s'imbriquent dans un contexte historique (son pays après l'invasion des Russes à Prague) et dans une intrigue romanesque. Les sept parties du livre sont intitulées ainsi : "Les lettres perdues, Maman, Les anges, Litost, Les anges, la frontière". Le roman démarre par une anecdote sur l'effacement d'un opposant politique sur une photo, méthode toute stalinienne. Puis, un personnage apparaît avec Mirek qui veut récupérer des lettres compromettantes adressées à une femme, Zdena, une militante communiste approuvant l'invasion russe en 1968. L'anecdote se termine par l'arrestation de Mirek. Le deuxième chapitre concerne le couple de Karel et de Marketa qui invite la maman du marié pour séjourner chez eux. Ce chapitre détonnant, hilarant et ironique évoque ce couple étrange voulant former un trio avec une amie de Marketa, Eva, disponible pour des jeux érotiques Mais la "Maman" s'incruste dans le foyer et parle de l'enfance de Karel quand il avait quatre ans. Un souvenir de nue féminin l'aurait marqué et cela expliquerait son comportement sexuel. Cette "Maman" loufoque et pitoyable se souvient difficilement de son passé (mémoire et oubli). Dans le chapitre suivant, Milan Kundera intègre des indices biographiques : il retrace un épisode de sa vie d'avant quand il gagnait de l'argent en donnant des consultations astrologiques. Il pousse l'absurde de la situation en parlant d'un rédacteur en chef, modèle du marxisme-léninisme qui appréciait ses prévisions. L'effet comique de ce passage est jubilatoire. Plus loin, il analyse une photo typique de policiers en armes confrontés à des manifestants dansant une ronde. La métaphore du bonheur absolu, "une ronde incessante", est un plaidoyer contre l'idéologie de masse (nazisme, stalinisme) et pour la naissance de l'individu libre. Lui-même a participé à de nombreuses "rondes" lors de fêtes liées à l'avènement du régime communiste (thème récurrent de l'illusion lyrique). Cette dénonciation se poursuit quand il évoque Paul Eluard intégré dans cette ronde à Prague : "Danser dans une ronde est magique ; la ronde nous parle depuis les profondeurs millénaires de la mémoire". (La suite, demain)

mardi 11 avril 2023

"L'étoile Vesper", Colette

Cette année, j'ai redécouvert Colette grâce à la célébration de sa naissance, il y a 150 ans ! Pourtant, j'avais lu ses "Claudine" et quelques uns de ses romans les plus emblématiques. Mais, j'étais trop jeune pour savourer sa prose poétique, charnelle et vibrante. Quand on prend de l'âge, c'est parfois difficile (j'ai renoncé à atteindre le sommet du Mont Blanc !), mais pour la lecture, (et si notre cerveau conserve toute sa clarté), cet acte si essentiel se transforme en une aventure merveilleusement palpitante. Pour ma part, j'ai ressenti cet esprit de renouveau avec Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar et Marcel Proust. Ces écrivains de génie se comprennent cent fois mieux à une deuxième voire une troisième lecture, plus intense, plus dense, plus approfondie. Je peux ajouter maintenant Colette. Et je suis saisie d'une "fringale" pour l'univers colettien. J'ai donc ouvert récemment le quatrième tome de la pléiade pour "L'étoile Vesper". Publié en feuilleton dans les premiers numéros d'Elle en 1945, le texte ressemble plus à une chronique qu'à un journal intime où elle confierait ses souvenirs les plus intimes. Pourtant, elle décrit sa vie quotidienne dans son appartement du Palais-Royal à Paris : la douceur du printemps, la présence de son dernier compagnon, les visites, les voisins, les échos du jardin public. Car, Colette souffre d'une arthrite invalidante et elle ne sort plus de chez elle. Sa curiosité affutée lui donne toujours le goût de la vie malgré ses souffrances physiques qu'elle veut mettre à distance. Dans ce texte hybride, les digressions lui permettent d'aborder des événements qui l'ont bouleversée comme l'arrestation et l'emprisonnement de son mari, Maurice Goudeket, d'origine juive. Elle arrivera à le faire libérer mais, cet épisode traumatique va laisser chez elle une trace durable. Elle évoque aussi ses expériences de journaliste, ses amies dont Hélène Picard. La narratrice écrit de très belles réflexions sur son vieillissement, sur sa solitude et sur l'écriture : "Pendant une bouffée de silence, épaisse comme une brume, je viens d'entendre choir sur la table voisine, les pétales d'une rose qui n'attendait, elle aussi, que d'être seule pour défleurir". Une "éthique stoïcienne" se dégage de ce récit autobiographique car ses douleurs ne la lâchent plus : "Vivre, survivre... Après tant d'années de guerre, ces mots-là tiennent une place énorme. Le besoin de survivance est si vif chez nous, femmes, et si féminin l'appétit de victoire physique !". Ce très beau texte se lit un peu comme un testament littéraire. Son amour indéfectible de la vie se résume avec cette phrase : "Changé... Je viens d'écrire ce mot et je lève les yeux. Était-ce un mot magique ? Tout est nouveau. Le nouveau, le renouveau viennent quand j'écris". Colette, une écrivaine d'un charme infini. 

lundi 10 avril 2023

"La femme à part", Vivian Gornick

 Je ne connaissais pas cette écrivaine américaine, Vivian Gornick et je l'ai découverte grâce à Geneviève Brisac dans son essai magnifique sur la littérature féminine, "La Marche du cavalier". Un seul de ces ouvrages était disponible à la Médiathèque de Chambéry, "La femme à part", écrit en 2015 et publié chez Rivages en 2018. Née en 1935 et très peu connue en Europe, elle est considérée comme une activiste féministe dans les années 70. Le récit autobiographique, "La femme à part" évoque la ville de New York pour laquelle elle éprouve un amour fou. Cette flâneuse compulsionnelle parcourt les rues de la cité monstre avec une frénésie toute éblouissante : du Bronx à Manhattan en passant par toutes les rues de New York : "Les voix, voilà ce dont je ne peux me passer. Dans la plupart des villes du monde, on vit sur des siècles de chemins pavés, d'églises en ruine, de vestiges architecturaux enfouis et empilés les uns sur les autres. Lorsque vous grandissez à New York, votre vie est une archéologie faite non pas de structures, mais de voix, elles aussi empilées, et tout aussi irremplaçables". La foule, le bruit, les odeurs du métro, les discussions entre passants, les cris des solitaires, la violence, tout ce flot continu capte son attention émerveillée. Enfant du Bronx, Vivian Gornick se sent libre et légère, appréciant l'anonymat comme une conquête essentielle. Son esprit vif enregistre tous les mouvements autour d'elle et elle raconte des anecdotes surprenantes sur les scènes urbaines. Ce livre original ne ressemble ni à un roman, ni à un essai mais à un pêle-mêle d'observations percutantes, de souvenirs personnels, de réflexions courtes sur l'amour et sur l'amitié. Cette "femme à part" aime la déambulation frénétique d'une ville en folie permanente et puise sa propre énergie dans ce décor d'une verticalité vertigineuse. Mais elle arpente tant les rues de New York comme si elle avalait un remède contre son angoisse existentielle. Telle une photographe ou une cinéaste, son regard enregistre l'incongru, l'évanescent, le fugace dans cette valse de micro événements. Vivian Gornick n'oublie pas le monde des écrivains car elle intègre dans son texte de voyageuse urbaine de nombreuses références littéraires. L'amitié est aussi au centre du livre avec Léonard, son meilleur ami homosexuel. L'écrivaine américaine propose un bilan sincère et lucide sur sa vie, sur ses amitiés et sur ses amours avec un humour salutaire. Une écrivaine à  découvrir. 

vendredi 7 avril 2023

"La Tour infernale", une librairie chambérienne de tradition

 Après ma visite quasi hebdomadaire à la Médiathèque de Chambéry, je me suis dirigée chez Garin qui a déménagé pour trois mois sur la place de Métropole en face de la cathédrale. J'aime humer les nouveautés sur les tables et je quitte la librairie avec une liste d'ouvrages à lire. J'ai vu que la librairie ancienne de Michel Latour était ouverte et ma curiosité de "bibliophile" a été la plus forte : j'ai pénétré avec plaisir dans cette caverne des livres anciens et soldés, baptisée par son fondateur de "Tour infernale". Un désordre invraisemblable semble régner dans cet espace de cinquante mètres carrés : du sol au plafond, des montagnes de livres partout sur les murs et sur des tables, des ouvrages rares, anciens, reliés en cuir ou brochés, cartonnés ou en poche. J'ai demandé au bouquiniste fort sympathique comme se repérer dans cette caverne de papier. Il m'a répondu aimablement : le mur de droite : histoire et géographie, puis le régionalisme, le mur de gauche, littérature et sciences humaines puis les étagères du milieu, l'art et puis des poches sous l'escalier et des pléiades derrière le bureau... Il avait l'air vraiment convaincu d'avoir adopté un excellent classement ! Un joyeux bazar, sans vrai rangement à la Dewey comme dans les bibliothèques du monde entier. J'ai donc fouillé les piles verticales de livres, je me suis tordue le cou pour vérifier les auteurs classés par ordre alphabétique (quand même !). J'ai trouvé un exemplaire de la collection "Ecrivains de toujours" sur Colette que je cherchais depuis longtemps. Je voulais aussi "Les chroniques italiennes" de Stendhal en Folio pour l'emporter en voyage pour ma prochaine escapade printanière en Italie du Nord. Monsieur Latour m'a déballé quelques cartons de poche pour enfin mettre la main dessus. Il m'a dit : "Ah vous avez de la chance aujourd'hui !". Pour une somme modique, j'ai emporté mes deux poches et il m'a répondu : "Vous êtes ma seule cliente de la journée et cela me remboursera mon café croissant de ce matin !". Il m'a raconté qu'il vendait de moins en moins de livres... Retraité, il conserve sa boutique ouverte par passion. Nous avons discuté de l'oubli des livres anciens, des jeunes qui désertent ces boutiques, d'un avenir où ce commerce fermera ses portes magiques. J'ai senti le parfum des siècles, du temps qui passe, d'une culture écrite en voie de disparition. En attendant la fin de ce monde là, si émouvant, si fragile, allons chez Michel pour retrouver le goût des livres de toutes les époques, un acte de résistance. 

jeudi 6 avril 2023

"La lumière, l'encre et l'usure du mobilier", Emmanuel Venet

 J'ai trouvé chez Garin, ma librairie chambérienne préférée, une nouveauté au titre étrange, "La lumière, l'encre et l'usure du mobilier", publié chez Gallimard. L'auteur du livre ? Emmanuel Venet. Cet écrivain et psychiatre a composé un récit original, tissé de textes fragmentaires, évoquant un "alliage de matériaux hétérogènes d'où émane une réalité immatérielle que les anciens appelaient âme, qu'on nomme aujourd'hui psychisme mais que notre époque tient pour une veille lune". Cet essai patchwork se compose de plusieurs chapitres en abécédaire aussi hétéroclite que possible, de A comme Auberge à Z comme Stefan Zweig. Quelques chapitres concernent des références biographiques assez brèves comme s'il ne voulait pas s'épancher dans un narcissisme contemporain souvent impudique. Il est issu d'une famille très catholique à Lyon et raconte avec humour les influences qu'il a reçues dans son enfance. Son premier amour est resté platonique et il évoque ce souvenir avec beaucoup de délicatesse. Ce récit intime fournit de nombreuses anecdotes savoureuses comme la présence du traditionnel brouillard lyonnais qui a disparu aujourd'hui. Des exercices d'admiration envers des écrivains aimés complètent à merveille ce texte écrit d'une plume élégante et brillante. Dans son Panthéon culturel, ses affinités concernent Cendrars, Rimbaud,  Kafka, Vialatte, Freud et même "mon" Pascal Quignard à qui il rend un hommage inattendu : "Pour ma part, j'aime cousiner avec Pascal Quignard". Dans un chapitre nommé "Psychiatre", il écrit : "Comme ce livre, nous sommes de pièces et de morceaux : d'un corps, qui, tour à tour, nous réjouit et nous tourmente ; d'idées semées dans nos têtes à l'âge tendre ; de paroles entendues, proférées, lues, écrites ; d'expériences cruciales plus ou moins heureuses ; du moment historique où nous avons surgi du non-être ; des désirs confus et enchevêtrés dont nous procédons".  Sa culture scientifique et médicale ajoute aussi une dimension particulière dans cet essai aux multiples entrées. Un ouvrage cultivé, parfois érudit et surtout littéraire. Ce psychiatre certainement fort compétent aime par dessus tout la littérature, une exploration de la réalité du monde et du psychisme humain. Un essai à découvrir par l'auteur de "Marcher droit, tourner en rond" et de "Manifeste pour une psychiatrie artisanale". 

mercredi 5 avril 2023

Atelier Littérature, 3

 La liste sur les livres écrits par des femmes a emporté une adhésion quasi unanime surtout pour le roman de Viola Ardone, "Le choix", publié chez Albin Michel en 2022. Dans un petit village sicilien, Oliva Denaro ne va pas se soumettre à la loi ancestrale. Les femmes violées par des hommes doivent se marier avec eux ! La coutume appelle ce phénomène odieux une "réparation". La petite Oliva va subir cet acte avec le fils du pâtissier. Mais, elle décide de porter plainte et elle échappe à son destin grâce à ses études en devenant institutrice. Geneviève était fort étonnée d'apprendre que cette histoire datait des années 60 ! Ce très bon roman italien d'une émancipation féminine évoque une tradition, le mariage forcé, qui, heureusement, a disparu en France mais hélas, se poursuit ailleurs. Un deuxième roman a attiré l'intérêt du groupe : "Les Sources" de Marie-Hélène Lafon. Ce récit à l'allure autobiographique raconte aussi dans un autre contexte l'émancipation d'une femme dans le monde agricole du Cantal. L'homme de la ferme, fier de son métier, maltraite son épouse dans une violence verbale et physique. La famille s'agrandit au fil du temps et le mariage ne s'arrange en rien. Un jour, ça craque enfin et la mère part avec ses enfants. Ce sujet d'une banalité courante prend une autre dimension sous la plume acérée, inspirée et contenue de Marie-Hélène Lafon. Pour ma part, c'est son meilleur roman, le plus dense, le plus profond, le plus émouvant. La plupart des lectrices ont aussi lu "Le temps des féminismes" de Michelle Perrot. Un essai éclairant, pédagogique et historique sur les féminismes du XXe siècle. Régine a bien apprécié "Fille en colère sur un banc de pierre", de Véronique Ovaldé, publié chez Flammarion en janvier 2023. L'écrivaine raconte une histoire d'une famille, frappée par le malheur : "Elles étaient quatre sœurs inséparables promises à la plus belle des vies. Il y avait Violetta la reine, Gilda la pragmatique, Aïda la préférée et Mimi le colibri". Pour le père tyran, "n'avoir que des filles, c'est ne pas avoir d'enfants". Un soir de carnaval, le drame survient quand la cadette disparaît et ne sera pas retrouvée. A partir de cette tragédie, les relations familiales sont bouleversées. Odile B. a apprécié le roman polyphonique de Camille Froidevaux-Metterie, "Pleine et douce", publié chez Sabine Wespieser. Un chœur de femmes salue la venue au monde de la petite Eve. Stéphanie, sa maman, cheffe de cuisine, est allée en Espagne pour une procréation médicalement assistée. Toutes, sœurs, nièces, amies témoignent de leur quotidien et s'interrogent sur ce désir maternel irrésistible et irrémédiable. Un éloge de la féminité et de la maternité malgré quelques voix discordantes dont celle de sa mère. Prochain rendez-vous de l'atelier le jeudi 11 mai en compagnie de Milan Kundera... 

mardi 4 avril 2023

Atelier Littérature, 2

 Odile B. a poursuivi l'évocation des coups de cœur avec "Blizzard" de Marie Vingtras, publié en livre de poche Points en janvier 2023. Pendant une tempête au fin fond de l'Alaska, un jeune garçon disparaît en quelques secondes, le temps de refaire ses lacets alors que Bess lui lâchait la main. Elle le perd de vue et se lance à sa recherche avec l'aide des rares habitants de ce bout du monde. Cette recherche d'un enfant perdu se lit comme un thriller et ce premier roman de qualité a obtenu le prix des Libraires l'année dernière. Régine a présenté deux coups de cœur en commençant par "L'île aux arbres disparus" de l'écrivaine turque, Elif Shafak. Dans ce roman publié en 2022 chez Flammarion, l'écrivaine raconte l'histoire d'un amour interdit entre un Grec, Kostas Kazantzakis, et une fille turque, Defne, en 1974 dans une Chypre déchirée par la guerre civile. Dans ce climat de haine et de violence, ils arrivent à fuir à Londres pour construire une vie nouvelle. Régine a souligné la poésie du récit avec un personnage inédit : un figuier parlant, resté sur place et témoin "Grand Sage" de cette histoire d'amour impossible. Elif Shafak possède une prose puissante et compose "un mélange de merveilleux, de rêve, d'amour, de chagrin et d'imagination pour libérer la parole des générations précédentes". Un grand coup de cœur pour Régine qui nous a donné envie de découvrir cette écrivaine. Elle a aussi mentionné un deuxième choix avec "Les Lettres d'Esther" de Cécile Pivot, publié en 2020 chez Calmann-Lévy. Une libraire, Esther, envoie des lettres à son père. Un jour, elle a l'idée de proposer un atelier d'écriture au sein de sa librairie : "Cet atelier était leur bouée de sauvetage. Il allait les sauver de l'incompréhension d'un deuil qu'ils ne faisaient pas, d'une vie à l'arrêt, d'un amour mis à mal. Quand j'en ai pris conscience, il était trop tard, j'étais déjà plongée dans l'intimité et l'histoire de chacun d'eux". Voilà la partie coups de cœur du jeudi 30 mars ! 

lundi 3 avril 2023

Atelier Littérature, 1

Le jeudi 30 mars, les lectrices de l'Atelier Littérature se sont retrouvées pour évoquer les coups de cœur du mois et les ouvrages sur les femmes. Geneviève a démarré la séquence avec un roman policier de Donna Leon, "Les disparus de la lagune", publié en 2019. Le célèbre commissaire Brunetti s'offre des vacances en solitaire dans une villa de l'île Sant'Erasmo. Le gardien de la villa disparaît lors d'un violent orage. Personne ne sait où il se trouve. Brunetti prend l'affaire en main. Geneviève a fait l'éloge du genre "policier" car ces romans souvent captivants à lire dénoncent les travers de toute société. Ce "polar" écologique au charme tout vénitien plaide pour la préservation d'une nature fragile abimée par les hommes. Quand on aime Venise, il faut absolument lire Donna Leon et sa série du Commissaire Brunetti, personnage créé en 1997 dans "Mort à la Fenice" jusqu'à nos jours, un compagnonnage fort sympathique. Colette a choisi un essai de Jean Giono, "Refus d'obéissance", publié en 1935 et publié en Folio. L'écrivain est devenu un pacifiste convaincu après la Guerre de 14/18 qu'il a vécu dans les tranchées : "Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L'horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque". Ce récit vibrant et émouvant est un plaidoyer pour la paix et en ces temps de guerre en Ukraine, il est temps de découvrir la fibre pacifiste de cet écrivain qui ne s'est jamais remis de cette barbarie guerrière. Odile Bodin a été touchée par le dernier récit autobiographique de Jérôme Garcin, "Mes fragiles", publié chez Gallimard en début d'année. L'écrivain évoque dans ce livre sensible les disparitions quasi simultanées de sa mère et de son frère à six mois près. Une maladie génétique appelé "l'X fragile" frappe sa famille de mère à fils et de père à fille. Ce secret familial révélé concernait son frère disparu, atteint de ce handicap mental. Ce texte bouleversant est aussi un hommage à sa famille. Annette a parlé du "Livre de Neige" d'Olivier Liron, publié chez Gallimard en 2022. L'auteur raconte avec humour la vie de sa mère adorée depuis sa toute petite enfance quand elle quitte l'Espagne franquiste pour se réfugier en France. Il évoque aussi sa propre enfance avec des anecdotes savoureuses et pleines de poésie. Un beau récit autobiographique à découvrir.  (La suite, demain)