mercredi 14 février 2018

"Retour à Sefarad"

Pierre Assouline raconte son projet dans "Retour à Sefarad", publié chez Gallimard : il veut obtenir la nationalité espagnole ! Le Roi d'Espagne s'est adressé à l'ensemble des séfarades à travers le monde, ces descendants des Juifs, expulsés d'Espagne en 1492, en leur proposant la citoyenneté. Cet appel royal pour un retour au pays touche tellement notre narrateur qu'il développe un amour passionné pour ce pays si singulier. Il dépose un dossier à l'ambassade d'Espagne et voilà notre nouvel hidalgo à la conquête de la culture hispanique et quelle culture ! Il écrit : "J’ai déposé un dossier et, sans attendre ma naturalisation, je suis parti en Espagne, le pays du Quichotte et d’Almodóvar, de Goya et du Real Madrid, de l’Inquisition et de la post-Movida, celle qui explore son passé et celle qui le refoule. Je suis allé à la rencontre des gens, des écrivains, des poètes, des professeurs mais aussi de l’homme de la rue. Pendant ce temps dans les bureaux des administrations, mon dossier rencontrait quantité d’obstacles imprévus…». Les Juifs séfarades se sont exilés en Afrique du Nord et en Turquie. Ces réprouvés ont manifestement utilisé la langue espagnole, le castillan du XVe siècle. Ce geste culturel fondamental montre l'attachement des exilés à leur mère patrie. Beaucoup d'anecdotes historiques illustrent le destin de ces hommes et de ces femmes reconstituant leur communauté à l'étranger. Pour ceux qui ont préféré rester, ils ont été obligés de se convertir au christianisme. Pierre Assouline cherche les traces de ses ancêtres dans de nombreuses villes mais, souvent, il ne reste aucun témoignage de leur histoire. Ces disparus très lointains se transforment en fantômes dans les ruelles vides de certains quartiers. L'écrivain raconte son voyage dans une Espagne traditionnelle qui a écarté de sa mémoire ses ancêtres Juifs, voulant inconsciemment les effacer de l'Histoire. Cet antisémitisme refoulé est analysé, démontré par le narrateur qui révèle aussi les héros d'une Espagne réconciliée avec son passé. Il cite le cas émouvant du grand philosophe, Miguel de Unamuno, déclarant à l'université de Salamanque devant un parterre de franquistes en 1936 : "vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas". Ce récit vraiment passionnant pour tous ceux qui aiment ce pays évoque le thème délicat de l'identité. Pour l'auteur de "Retour à Séfarad", la vraie patrie demeure la langue. Il apprend l'espagnol à la perfection, se nourrit de littérature et de culture hispaniques pour passer l'examen final afin d'obtenir la nationalité espagnole. Né au Maroc, l'écrivain français revendique sa culture séfarade et européenne. J'ai moi-même des origines espagnoles (mes grands parents paternels que je n'ai pas connus sont aragonais) et ce livre m'a enchantée. J'avais envie de réclamer comme le narrateur la double nationalité  ! Mais, je ne peux pas prétendre à cet honneur sauf si je découvre dans les brumes du passé un arrière-arrière grand-père séfarade... A l'automne, j'irai en Aragon, sur les terres de mes ancêtres paternels et je trouverai peut-être des traces séfarades dans ma généalogie... Pourquoi pas ? La lecture peut déclencher une envie de voyage et un retour aux sources abyssales des origines...