mardi 16 octobre 2018

"Dix sept ans"

Eric Fottorino, écrivain et journaliste, poursuit l'écriture de son roman familial, commencée depuis vingt cinq ans avec "Rochelle", puis "L'homme qui m'aimait tout bas" en 2010 et "Questions à mon père". L'ancien directeur du journal Le Monde a raconté dans la presse, ses deux pères naturel et adoptif. L'un a épousé sa mère et l'a adopté et l'autre a été rejeté par la famille de sa mère parce que juif marocain. Dans son nouvel opus, "Dix sept ans", l'écrivain décrit le lien difficile qu'il entretient avec sa mère, Lina. Il écrit : "Lina n'était jamais vraiment là. Tout se passait dans son regard. J'en connaissais les nuances, les reflets, les défaites. Une ombre passait dans ses yeux, une ombre qui fanait son visage. Elle était là mais elle était loin. Je ne comprenais pas ces sautes d'humeur, ses sautes d'amour". Lina convoque ses trois fils dont le narrateur pour leur avouer un secret de sa jeunesse : "le 10 janvier 1963, j'ai mis au monde une petite fille. on me l'a enlevée aussitôt". Lina avait déjà donné naissance au narrateur trois ans avant. Leur mère raconte cet épisode douloureux devant ses fils abasourdis par ce lourd secret. Le narrateur comprend alors qu'il ne connaît pas sa mère et il décide de partir à la recherche de cette jeune adolescente de dix sept ans. Il se rend à Nice sur les traces de cette inconnue pour reconstituer son passé opaque. Il avoue avec regrets : "L'amour de ma mère, je ne l'ai pas senti. Il a manqué une étincelle (…) Le silence. Il est devenu notre marque de fabrique". Ce lien primordial le hante tout au long de ce roman largement autobiographique. Il s'installe dans une pension, mène une enquête pour retrouver des témoins, se promène en ville pour revivre le décor de sa naissance. Le narrateur récapitule la vie de Lina à Nice à cette époque avec les pressions familiales qu'elle subissait. Il tutoie Lina en l'imaginant dans la ville et il prend conscience alors de la fragilité de cette mère-enfant. Au fil des pages, le narrateur se réconcilie avec elle et l'amour glacé qu'il ressentait fond littéralement quand il revient la chercher pour la conduire de nouveau à Nice. L'auteur vit cette renaissance avec le désir d'effacer toutes ces années de méfiance et de désamour. Il déclare à sa "petite maman", âgée de soixante quinze ans, qu'il devient enfin son fils ! Un des romans autofictifs les plus intéressants de la rentrée littéraire.