jeudi 29 décembre 2011

"J'ai réussi à rester en vie"

Beaucoup de lecteurs connaissent l'écrivaine américaine Joyce Carol Oates. Elle a écrit une bonne cinquataine de romans, tous puissants, efficaces, comportant des personnages hors normes. Je garde des souvenirs très forts de certains titres surtout ses derniers comme "Les chutes", "Fille noire, fille blanche", "La fille du fossoyeur", "Blonde". De toutes façons, quand on entreprend la lecture d'un roman de J.C. Oates, on ne s'ennuie jamais. Certains lecteurs n'apprécieront pas le degré de violence des personnages qu'elle décrit mais elle ne prend pas de gants avec la nature humaine qu'elle estime plutôt "malade" que bien portante. Son oeuvre romanesque prend des allures de roman policier tout en restant profondément littéraire. La presse a souvent cité son nom pour le Prix Nobel de littérature mais elle ne l'a pas encore obtenu. Le jury devrait réagir vite pour couronner une femme-écrivain dont l'imagination foisonnante, le style vivant très abordable pour le public, la description d'une Amérique loin des clichés et des masques plaident sa cause de "nobélisable". Le dernier livre de Joyce Carol Oates est son journal intime au titre si significatif : "J'ai réussi à rester en vie". Elle raconte la mort soudaine de son mari, atteint d'une pneumonie. En l'accompagnant aux urgences, il est contaminé par une bacterie qui lui sera fatale. Et Joyce Carol Oates se retrouve du jour au lendemain veuve sans vraiment assimiler cette perte irréparable. Ce journal, écrit au scalpel, décrypte ces moments de sidération, de chagrin permanent, d'hallucinations. Elle analyse son état si spécial de veuve et se demande tout au long du journal si elle va "tenir". Elle pense au suicide comme une libération. Vivre dans la maison, traverser le jardin, accomplir les tâches quotidiennes, revoir des amis communs, lire le courrier et les journaux, travailler avec ses étudiants, la maintiennent en "vie". Ce journal montre la force vitale de l'écrivaine. Quand elle subit un "zona" dévastateur pour son corps, elle se défait des pillules dormantes et se soigne enfin pour trouver un équilibre précaire mais qui l'éloigne de l'idée d'en finir. Ce très beau témoignage fait partie des meilleurs livres de l'année 2011. Je suis même étonnée que la revue Lire ne l'ait pas retenu dans sa sélection. Dans tous les cas, ce journal est bouleversant d'humanité, de nostalgie et Joyce Carol Oates nous révèle que le bonheur est fragile et que le malheur peut surgir à tous moments...