mardi 25 février 2014

"Réparer les vivants"

Le dernier livre de Maylis de Kerangal est tout simplement un grand et beau roman ! Comment la littérature, incarnée par cette écrivaine originale, traite un sujet médical austère et délicat, la transplantation cardiaque ? Maylis de Kerangal choisit un personnage central, un jeune homme héroïque, surfant une vague, symbole de la vie remuante, et se retrouve allongé sur un lit d'hôpital en coma dépassé. Le premier chapitre raconte cette épopée, cette équipée sauvage de trois jeunes gens jusqu'au drame final, un accident de la route. Unité de temps : une journée, unité de lieu : l'hôpital, unité d'action : le corps réparateur. Ces trois unités sont orchestrées par un chœur de voix : les soignants, véritables héros de cette Odyssée médicale. Les parents de Simon hésitent à faire le don d'organes, mais ils acceptent à condition que les yeux de leur fils ne soient pas donnés. Leur réaction face à ce drame est analysée avec une profondeur psychologique que j'ai rarement rencontrée dans la littérature. Les médecins qui, malgré la mort de leur patient, n'ont qu'un objectif majeur : sauver d'autres vies grâce aux dons d'organes. Leur professionnalisme, leur génie du métier, leur empathie envers leurs patients les éloignent de la caricature des techniciens froids et distants. Le cœur de Simon migrera vers un autre corps ainsi que ses reins, son foie et ses poumons. Les receveurs deviennent aussi des personnages du roman et le lecteur(trice) partage avec émotion les angoisses de l'enjeu vital que représentent les transplantations. Ce roman nous plonge dans la maladie, la mort, l'hôpital mais aussi dans l'amour, l'espoir, la renaissance... Je n'ai eu aucune difficulté dans la lecture d'un langage parfois médicalisé pour expliquer les opérations techniques, l'état comateux de Simon, les descriptions du milieu hospitalier, le circuit ultra organisé des dons d'organes. Maylis de Kerangal nous offre un style exceptionnel, utilise une langue française claire et belle, forte et franche. J'ai lu un entretien dans la revue Page où elle évoquait la genèse de ce roman : "Je crois que c'est le cœur, cette expression de cœur humain qui a déclenché l'écriture. Cœur-muscle et cœur-symbole, organe et boîte noire, pompe et siège des affects. Cette double dimension du cœur  a instauré la possibilité du roman". Un coup de "cœur" majeur de la rentrée littéraire en ce début d'année...