mercredi 20 mai 2020

"Comment être à la hauteur de l'événement ?"

La revue "Philosophie magazine" du mois de juin a mis ce titre dans sa Une : "Comment être à la hauteur de l'événement ?" . Ce numéro de l'après-covid propose des analyses passionnantes sur cet épisode dramatique que traverse notre monde d'aujourd'hui. André Comte-Sponville dialogue avec Francis Wolf sur le thème de la santé, la priorité des priorités, quitte à annuler toutes les libertés. Le premier a rompu l'unanimité de l'opinion en critiquant le confinement à outrance, cause d'une crise économique sans précédent, dont les jeunes générations subiront les conséquences. La vie des jeunes pour lui est plus précieuse que celle des aînés. Francis Wolf le contredit à juste titre en remarquant que la santé en priorité est la manifestation d'un progrès politique et moral de l'humanité : "Que plus de la moitié de l'humanité accepte de se confiner pour sauver un petit nombre de vies, notamment les moins productives, c'est l'affirmation en acte que nous formons une communauté éthique". Un dialogue très riche et très instructif. Le dossier de la revue revient donc sur la crise sanitaire du printemps, "une brèche dans le temps", selon une formule d'Hannah Arendt. Cette césure temporelle a provoqué une introspection personnelle, une révision salutaire des valeurs (du superflu à l'essentiel) et une prise de conscience des "interdépendances sociales". Plusieurs philosophes répondent à ces questions dont Françoise Dastur, grande spécialiste de Heidegger : "L'angoisse de la mort n'est nullement compatible avec la joie d'exister". Claire Marin, professeure de philosophie, commente dans une enquête, des situations rencontrées pendant le confinement. Ses réflexions toujours pertinentes apportent un éclairage sur les comportements des "confiné(e)s". Frédéric Worms remarque le besoin fondamental de l'humanité pour la justice et la dignité : "Si l'on renonce à la justice, la recherche du vital peut conduire au repli survivaliste dans la vie sauvage entre soi au fond des bois. Je crois que si le Covid-19 touche le vital, c'est en nous faisant ressentir l'évidence de nos interdépendances proches et lointaines". La revue aborde aussi des questions sociétales comme le scandale du tri des malades, la mobilisation des travailleurs manuels, le sacrifice des soignants. Le philosophe italien iconoclaste, Emanuele Coccia, propose une lecture très originale du virus : "Nous sommes tous des corps qui transportent une quantité inouïe de bactéries, de virus, de champignons, d'êtres non humains". La revue de juin, décidément passionnante à lire, se termine avec un entretien concernant Nicolas Grimaldi, un "basque" d'adoption qui vit à Socoa dans un ancien sémaphore. Face à l'océan, il évoque sa mélancolie, son besoin de partager ses émotions, sa solitude volontaire dans un décor de rêve. Un entretien remarquable. Un portrait de Henry David Thoreau parachève la somptueuse revue de juin.