mercredi 17 janvier 2024

"L'amour", François Bégaudeau

 Ce court roman de François Bégaudeau, "L'amour", paru en septembre, raconte l'histoire d'un couple "à vie", Jeanne et Jacques, des Français modestes. Ils ont 20 ans en 1970 dans une France des Trente Glorieuses en Maine-et-Loire. Leur relation amoureuse démarre sans coup de foudre fulgurant, ni passion brûlante mais par une promenade dans la campagne pour promener le chien. Ils se marient, ont un enfant et travaillent. Jacques a trouvé un poste de jardinier à la mairie et Suzanne est secrétaire dans un cabinet d'assurances. Une vie simple, ordonnée, ordinaire, banale au fond. Comme des millions de Français des classes moyennes. Leur couple traverse parfois des petites crises provoquées par leurs manies respectives dans la vie quotidienne. Comme le souligne le narrateur, ils s'énervent pour des "pécadilles" sur le pain frais, sur la télécommande non rangée. Et la temps passe et leur amour dure. Elle devient assistante de direction et lui crée son entreprise de jardinage. Leur fils Daniel, ingénieur, se marie et il est muté en Corée, une irruption détonante de la mondialisation. Puis le drame survient avec la maladie de Suzanne et sa mort. Sans aucun lyrisme ni réflexions particulières, l'auteur raconte à la manière de Georges Perec, l'histoire d'un couple soudé, aimant. Même quand Suzanne apprend l'infidélité de son mari avec une femme qui vient lui confesser cette erreur de jeunesse, elle invente qu'elle aussi a eu une liaison avec son patron. Ces deux héros du quotidien prennent une dimension familière comme si c'était des membres de sa famille, des oncles et des tantes, des voisins du quartier. On se reconnaît tout simplement dans ces destins sans histoire extraordinaire, sans péripéties aventurières. Mais, au fond, si c'était eux les vrais héros, les authentiques héros de la société, ceux qui font durer leur couple, qui se construisent un passé, un présent et un avenir d'amour partagé ?  Un des amis du couple s'écrie : "Vivre toute la journée l'un sur l'autre en couple, on finit par se bouffer le nez". Jacques lui rétorque : "Y en a qui tiennent pourtant". François Bégaudeau oeuvre en contretemps dans ce beau livre sur ce couple serein et tranquille. La mode actuelle se love plus dans les relations évanescentes et instables, vu le nombre des divorces. L'écrivain ose même citer Saint Paul lors du mariage de leur fils : "L'amour prend patience, (...) Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, l'amour ne passera jamais". Ce roman, nimbé de nostalgie sur une France disparue, de la Simca 1000 à l'agenda de la Redoute, se transforme en élégie, une élégie sobre et délicate, sur l'amour "qui peut durer".