jeudi 5 août 2021

Pour Roland Barthes

 En 2015, Roland Barthes aurait fêté ses cent ans. A l'occasion de cet événement, quelques essais ont paru sur lui dont celui de Chantal Thomas. Comme j'aime bien ces deux écrivains, j'ai eu la curiosité de lire cet hommage, "Pour Roland Barthes", publié au Seuil dans la collection Points. Chantal Thomas a participé au Séminaire de la rue Tournon dans les années 70. Elle raconte avec humour son audace quand elle ose joindre par téléphone dans un bar bruyant, le professeur Barthes pour lui demander d'assister à ses cours très réputés. Il accepte sa demande et la voilà introduite dans ce petit cénacle d'étudiants érudits. La voix du philosophe la séduit d'emblée : "Sa voix et sa diction avaient cette qualité d'être empreintes d'une nostalgie du silence. (...) Ce qui retenait l'attention dans la parole de Roland Barthes tenait à sa lenteur d'énonciation - un rythme surprenant quand on pense à la fièvre d'accélération qui saisit chacun ici". Son calme, sa placidité étonnaient la narratrice qui voyait dans cette pratique du langage, "l'originalité d'une vision, la ténuité d'un goût" et ajoute même la formule, "la liberté de son intelligence". Dans le premier chapitre, elle analyse les raisons de sa fascination pour ce professeur atypique : l'amour de la langue, la différence, le goût du présent, le désir. Roland Barthes parlait d'une de ses peurs : "Ce qui fait peur, c'est l'avènement, dans toute la société, d'une phrase-standard, sans saveur, sans diversité, sans spécialité : phrase-monstre de la société de communication". Cet ouvrage se définit comme "un exercice d'admiration et de reconnaissance". Véritable outil d'initiation pour une œuvre à la réputation hermétique, cet essai réunit divers articles parus entre 1982 et 2014. Cet "empathie rêveuse" qu'elle ressentait pour son mentor révèle leur commune passion pour l'écriture et pour la littérature. L'écrivaine analyse avec un talent d'écriture quelques textes fondateurs barthésiens, en particulier les "Mythologies, "Michelet par Michelet", "Fragments d'un discours amoureux" et surtout l'extraordinaire "Barthes par lui-même", un bijou autobiographique d'une modernité audacieuse. Elle rappelle les deux lieux qu'il aimait le plus : son quartier de prédilection, Saint-Germain-des-Prés et Urt, un petit village du Pays basque. La grande et belle lumière du Sud-Ouest, plus subtile que celle du Midi, enchantait Roland Barthes et Chantal Thomas écrit : "Il suffit pour habiter le monde de s'abandonner à sa changeante beauté". L'écrivaine évoque aussi la place que tenait sa mère dans la vie du philosophe qui, avant son accident mortel, avait décrit le chagrin qu'il ressentait devant la perte maternelle dans son dernier ouvrage, "La chambre claire". Je ne sais pas encore si cet essayiste subtil intéresse encore les jeunes générations mais, j'ai la nostalgie de son regard acéré, distancié, élégant sur la société française dans ses "Mythologies". Qu'aurait-donc écrit ce sémiologue sur la crise sanitaire, sur le virus, sur le vaccin ? J'ai le regret d'annoncer que notre XXIe siècle n'a pas encore donné naissance à ce type spécial d'intellectuel, fin, cultivé, secret, unique en fait. Quel dommage ! Et ce n'est pas Michel Onfray qui va le remplacer...