mardi 12 mars 2024

"Bref", Régis Debray

 Régis Debray, ex-révolutionnaire marxiste, ami de Che Guevarra, ex-tiermondiste, grand intellectuel de gauche, ex-conseiller privé de François Mitterrand, écrivain, médiologue, philosophe des religions, toutes ces étiquettes ont collé à sa peau et définissent la personnalité d'un homme engagé à la recherche d'un idéal politique quelque peu ébranlé de nos jours. Ces textes autobiographiques constituent aujourd'hui un témoignage vivant d'une France des années 80. Comme il est né en 1940, les années commencent à modérer fortement les convictions tranchées de sa jeunesse. Le révolutionnaire a disparu, laissant la place à un républicain gaullien et il prône aujourd'hui un "allègement" idéologique". Dans son nouvel opus, "Bref", paru chez Gallimard, il revendique le "bref" dans ses aphorismes : "Il se trouve qu'avec l'âge, on se tasse et on s'allège. Le corps se tasse, mais l'esprit se désencombre : on voit ce qui compte, et on vire ce qui encombre". Victime d'un AVC, il doit ralentir son rythme de vie intellectuelle trépidante mais il n'a surtout pas perdu son humour, son esprit de dérision. Cet humour du désespoir se love dans nombre d'aphorisme et pour le plaisir de la citation, j'en ai retenu certaines dont celle de son exergue : "Quand s'en vont la fresque, l'épopée, l'entrelacs - bonjour le décousu, le dépareillé, le débraillé. On baisse d'un ton. On recueille ce qui subsiste. Pardon pour le sans-gêne". Il raille aussi la "Déséducation" nationale, l'ignorance généralisée : "Moins on se compare, mieux on se porte". Sa vision de la modernité se focalise sur la perte des repères avec des mots d'ordre impératifs ("Il faut s'acclimater"), sinon c'est la mort sociale qui attend les réfractaires de tous bords. Il n'est pas tendre pour le monde politique d'aujourd'hui : "Le ton monte parce que le niveau baisse. Au Palais-Bourbon, on débattra bientôt à mains nues". Régis Debray a vraiment perdu ses illusions politiques comme Milan Kundera en son temps. Il revient sur ce passé de militant avec une ironie salvatrice : "Tout cela m'indignait ; tout cela m'indiffère. L'insouciant gagne au change, avec les ans". Il voit la vieillesse comme une nouvelle liberté : "Le travail des ans est celui du deuil. Et comme l'humour arrive pour dégonfler enflures et boursuflures, on s'en sort pas trop mal. De l'avantage d'être diminué". Régis Debray a déclaré sur France Culture : "C'est peut-être même en vieillissant qu'on devient jeune. La vieillesse est un sauvetage parce qu'on va à l'essentiel, et quand on va à l'essentiel on fait court". Lire ce petit fascicule se lit avec un plaisir certain et malgré les ans qui s'accumulent, pour lui comme pour moi, il faut savoir garder son humour ironique !