lundi 22 mars 2021

"Souffrir"

 Ma bibliothèque privée abrite de nombreux trésors et j'ai saisi, un de ces derniers jours, l'essai de Chantal Thomas, "Souffrir" que je n'avais toujours pas ouvert. Il dormait tranquillement sur une étagère où je dépose tous les ouvrages à lire et j'en ouvre un de temps en temps au gré de mes humeurs et de mes intérêts du moment. Ce verbe "souffrir" m'inspirait en ce moment en ces temps perturbés de la crise sanitaire. Je restais encore sous le charme discret de sa prose fluide, rêveuse avec son dernier opus, "De sable et de neige", publié récemment. L'écrivaine possède l'art de la conversation qui est peut-être né dans sa culture de la littérature du XVIIIe siècle, un siècle passionnément fondateur de notre liberté. L'essai se compose de souvenirs personnels et d'analyse littéraire sur le thème de la souffrance. Dès les premières pages, le festival d'érudition commence avec des références cinématographiques et littéraires avec un de ses écrivains de prédilection, Marcel Proust. Comment résister à la souffrance : "Faut-il refuser la douleur par tous les moyens, la nier, la tourner en dérision, l'enfouir au plus profond de nos souterrains intérieurs, ou bien, l'accepter, lui donner une place dans nos images et nos désirs ?". Elle évoque Germaine de Staël, Julie de Lespinasse, Dostoïevski, Jean-Jacques Rousseau, Sacher-Masoch, Sade, Scott Fitzgerald, etc. En utilisant ces grands noms de la littérature, l'écrivaine place la souffrance au "cœur et au corps de la vie". Les chapitres autobiographiques révèlent une Chantal Thomas émouvante et digne héritière d'un Roland Barthes. Quand elle parle de ses parents, elle se souvient du climat pesant dans le couple : "Chacun, alors, se renfonçait un peu plus dans son aphasie et je sentais passer au-dessus de ma tête, comme des projectiles mats, comme des petites balles dures, les quelques paroles indispensables pour que tout se déroule normalement". Je partage avec elle le goût des bibliothèques dans ses voyages qu'elle visite toujours avec une curiosité d'historienne : "Les longs jours d'enfermement parmi les livres sont autant de gagné contre les dangers du monde, contre tout ce qu'il recèle d'immaîtrisable". Plus loin, elle ajoute : "Il y a une clarté de plage dans certains matins de bibliothèques". Cet ouvrage n'est pas un manuel de savoir-vivre à l'usage des dépressifs. Bien au contraire, ce texte d'une érudition élégante retrace le thème de la souffrance dans l'univers littéraire. En lisant Chantal Thomas, j'ai eu envie de découvrir "Corinne ou de l'Italie" de Germaine de Staël, relire Dostoïevski et Proust. Le miracle de la lecture consiste à rebondir d'un livre à un autre avec une curiosité insatiable. Elle termine son essai à Venise où elle ressent "une montée dans la joie". Au fond, pour l'essayiste académicienne, il me semble que le verbe souffrir n'appartient pas à son vocabulaire quotidien... Un essai revigorant et d'une délicieuse culture littéraire.