jeudi 28 décembre 2017

La lecture, un bonheur secret

Pour terminer l'année 2017, je reviens sur le bonheur "secret" de la lecture. En janvier, j'établirai mes listes des "dix meilleurs" dans les catégories romans, récits, séries et films. Une sorte de bilan culturel qui me permet de me remémorer mes découvertes de l'année. Lire est un sport de l'esprit. Je pratique cette discipline quotidiennement comme un marcheur qui arpente des pages et des pages de mots. Ma ration mensuelle n'a pas de limite, mais, en principe, je dévore de six à huit livres par mois (parfois davantage) et je me permets ce luxe grâce à mon temps libre de retraitée... Certaines amies me demandent mon secret : comment fais-tu pour lire autant ? Je ne mesure pas le temps que je passe dans mes livres. Je vis, je lis. Pour ouvrir un livre, il faut s'isoler, se cacher, se blottir en soi et délaisser les activités chronophages :  courses diverses, repas sans fin, relations sociales superficielles. Je ne renonce pas à mes balades, à la musique, au cinéma,  à Internet, etc. Lire, c'est se retrouver en tête en tête avec un objet familier en papier sur lequel sont inscrits des milliers de mots composés par un(e) écrivain(e). L'écriture exige du temps, de la rigueur, un sacrifice. Je mène ainsi une conversation intérieure avec celui ou celle qui m'a donné rendez-vous. Ma bibliothèque est ainsi peuplée d'ami(e)s. Je réserve la matinée aux lectures plurielles : presse nationale sur internet, magazines littéraires, Le Monde, le roman en cours. Pendant ma séance de vélo d'appartement, je préfère la philosophie. Je lis depuis un mois un chapitre par jour de "l'Histoire de la pensée" de Lucien Jerphagnon. Mon approche pour ces textes denses ressemble à un exercice physique où concentration et effort se marient à merveille... L'après-midi, quand je reste chez moi, je feuillette un de mes beaux livres d'art, le roman ou le document en cours. Et le soir, je reprends mon roman en cours... Peut-être que pour certains, je lis trop... Mais, pour moi, je ne lis jamais assez. J'ai reçu à Noël, des livres sur l'art, des romans et ma liste de livres à lire s'allonge sans fin comme une éternité promise. Je pense à ces vers de Borges : Et quand je pensais à la Terre promise, c'est une bibliothèque que je voyais". Belle définition de la lecture... A l'année prochaine pour partager mes bonheurs de lire, de voyager, de flâner et de vivre... 

vendredi 22 décembre 2017

Rubrique cinéma

Comme j'aime le monde des sopranos, de l'opéra et de la musique baroque, je suis allée voir le film de Tom Volf, "Maria by Callas". Cette femme légendaire et sublime, disparue en 1977, fait donc l'objet de ce film documentaire avec la voix de Fanny Ardant. Les images d'archives défilent sur l'écran en alternant l'histoire de sa carrière avec celle des moments d'intimité où la diva se confie aux journalistes de l'époque. Cet immense travail de tri du réalisateur compose un hommage sensible qui présente une image complexe et attachante de cette femme unique. Née en 1923 à New York, de parents grecs immigrés, elle passe sa première audition radiophonique en 1934. Cinq ans plus tard, elle rejoint le Conservatoire de musique d'Athènes dans la classe d'Elvira de Hidalgo. En 1945, elle revient à New York et commence sa carrière de soprano. Mariée à son imprésario italien de 28 ans son aîné, elle divorcera dix ans plus tard quand elle rencontre l'amour de sa vie, le milliardaire grec, Aristote Onassis. Mais, elle se sentira trahie quand elle apprend le mariage de son amant avec Jacqueline Kennedy. Elle mène sa carrière dans le monde entier avec l'admiration des fans digne de celle d'une rock star... Sa dernière prestation publique a lieu en 1974 à Tokyo. En 1977, elle meurt d'une embolie pulmonaire à Paris dans son appartement où elle vivait recluse. Ce film présente des extraits musicaux où la toute puissance de sa voix envahit l'espace intime du spectateur. Et, quand elle se confie à la caméra, elle se dévoile comme une femme "ordinaire" qui ne rêvait (selon elle) que d'un prince charmant et d'une famille aimante. Son destin de chanteuse lyrique l'a détournée de cette voie traditionnelle. Le réalisateur raconte dans un entretien : "En oscillant de la femme éperdument amoureuse à l'artiste de génie, le film fait une place à cette dualité  qui a hanté sa vie". Ce film documentaire sur Maria Callas montre qu'une voix peut toucher l'âme de tous ceux (celles) qui prêtent attention à la magie du chant lyrique... Au fond, cette diva avait conservé dans son intimité, une immense simplicité et un esprit de sacrifice qui lui venait, certainement, de ses origines grecques. Une sœur d'Antigone, égarée dans le monde contemporain. 

mercredi 20 décembre 2017

"C'est chose tendre que la vie..."

Né à Paris en 1952, André Comte-Sponville effectue ses études à l'Ecole Normale Supérieure et à la Sorbonne. En 1975, il obtient l'agrégation de philosophie. Il a enseigné en lycée et à la Sorbonne. En 1988, il quitte ses fonctions de professeur pour se consacrer entièrement à la philosophie. Auteur de nombreux essais qui ont le mérite d'être compris par un large public, il attire la méfiance de certains "puristes" qui n'apprécient pas sa méthode claire, sérieuse et pédagogique pour tous les curieux de philosophie. Il est parfois très difficile de pénétrer de plain pied dans les œuvres de Platon, Aristote, Descartes, Pascal, Montaigne, Spinoza sans citer les plus hermétiques comme Heidegger... Des médiateurs empathiques nous aident à découvrir ces sommets d'intelligence et d'érudition. Je préfère pour ma part André Comte-Sponville à Michel Onfray. J'ai donc lu dernièrement "C'est chose tendre que la vie", publié en 2015 chez Albin Michel et disponible en Livre de poche. Ces entretiens avec François L'Yvonnet empruntent leur titre à Montaigne, "C'est chose tendre que la vie, et aisée à troubler...". Le philosophe rappelle que "la philosophie (...) n'abolit pas ce trouble, toujours possible, mais rend cette tendresse-là un peu plus précieuse, un peu plus consciente, un peu plus réfléchie, un peu plus forte, un peu plus libre, un peu plus sage... Puis, il y a le plaisir de penser. Penser sa vie, et vivre sa pensée, du moins essayer... C'est la philosophie même".  André Comte-Sponville évoque, avec clarté et honnêteté, sa vie personnelle et son parcours professionnel, les influences de ses maîtres, ses valeurs, ses lectures. Il expose en profondeur les grands thèmes de ses livres : le bonheur (qu'il définit comme un gai désespoir), la politique, l'art, la morale. Ce tour d'horizon sur sa vie d'intellectuel  évite le piège de la simplicité démagogique et la forme de l'ouvrage en un dialogue structurant facilite la lecture parfois ardue de quelques concepts. Il rend ainsi hommage à tous ceux qui l'ont nourri : Epicure, les Stoïciens, Montaigne, Pascal, Spinoza chez les anciens et Marcel Conche, Lévi-Strauss, Clément Rosset pour les modernes. Il n'oublie pas la pensée orientale en pratiquant la méditation. Il propose dans ce livre dense sa philosophie : il est matérialiste donc athée, il prône la raison et revendique l'humanisme. Sa vision d'une civilisation universelle repose sur les droits humains et sur le libre arbitre. Si on veut découvrir la philosophie sans subir l'obstacle d'un langage complexe, André Comte-Sponville prend son lecteur par la main et lui explique avec patience et beaucoup de bienveillance les merveilles du questionnement...  

lundi 18 décembre 2017

"Sable mouvant"

Le dernier ouvrage de Henning Mankell remplira tous ses fidèles lecteurs de nostalgie. Car cet écrivain suédois, traduit dans trente cinq langues est décédé d'un cancer à l'âge de 65 ans. Il a composé avec son célèbre Wallander, une série de dix romans policiers qui ont marqué les amateurs de ce genre littéraire. Dans "Sable mouvant, fragments de ma vie", il livre un témoignage émouvant sur sa maladie contre laquelle il se bat farouchement : "En 2014, j'ai appris que j'étais atteint d'un cancer grave. Cependant ce n'est pas un livre crépusculaire, mais une réflexion sur ce que c'est de vivre". Il raconte sa visite chez le médecin qui lui annonce le cancer du poumon, le suivi de la maladie, la chimiothérapie, la fatigue, l'angoisse de sa propre disparition. Mais, la maladie n'envahit en aucun cas les pages de ce beau récit. Il revient sur les épisodes décisifs de sa vie d'homme : sa jeunesse voyageuse, son engagement politique à gauche, son amour du théâtre en Mozambique, ses expériences africaines, sa relation perdue avec sa mère qui l'a abandonné. Il évoque ses tourments, ses colères dirigées en priorité contre les dangers du nucléaire. Le livre prend une dimension "historique" quand il brasse la notion du temps. Que va-t-il rester des hommes dans 150 000 ans ? Pour lui, ce sont des déchets nucléaires, engloutis dans une énorme cavité creusée dans la roche à 430 mètres sous terre sur la côte finlandaise.... Ce vertige du temps l'obsède : il raconte les peintures rupestres de la grotte Chauvet, une sculpture préhistorique en ivoire trouvée en Allemagne en 1939, un temple à Malte, les statues de l'Ile de Pâques... Et nous, dit-il, nous léguerons les déchets nucléaires... De ces faits historiques et culturels, il les évoque comme des ruptures dans la civilisation humaine. Les ruptures, Henning Mankell les analyse dans sa propre vie. A Salamanque, un serveur lâche son plateau après une dispute avec des clients et quitte le restaurant en courant, le jeune homme Mankell comprend qu'il faut saisir sa chance, tout lâcher pour vivre vraiment ses désirs et il choisit l'écriture de romans... Il se souvient de deux petits frères en Mozambique qui vivaient dans une poubelle dont l'aîné protégeait le cadet avec amour. L'écrivain relate ces moments de grâce avec une empathie communicative malgré la présence de la grave maladie. Récit intime, essai politique, réflexions philosophiques, ce livre de vie se termine sur une note d'espoir : "Je vis dans l'attente de nouveaux instants de grâce. Des instants qui viennent. Qui doivent venir, si la vie doit avoir pour moi un sens". Un témoignage bouleversant d'un grand écrivain suédois...

vendredi 15 décembre 2017

Cours sur l'art

L'Université savoisienne du temps libre (USTL) a proposé un programme intéressant pour la saison 2017-2018. Je me suis inscrite à la session sur l'art avec "Etudier une image" et sur la littérature avec "la tragédie grecque". Geneviève Gaufillet, notre professeur, nous a présenté, en six séances d'une heure trente minutes, une méthode pour analyser une œuvre d'art. Sa méthode pédagogique s'appuie sur un diaporama avec des illustrations évidemment très nombreuses. Un tableau très concis présente un survol de l'histoire de la peinture, du Moyen Age au XVIII, accompagné d'un lexique du langage pictural. Anamorphose, clair-obscur, détrempe, glacis, lavis, marouflage, prédelle, sinope, tondo, vanité, veduta :  ces quelques mots techniques que j'ai choisis dans le lexique, une fois bien définis, ouvrent le chemin vers la compréhension de l'image. Pour déterminer une image, le professeur a décliné tous les supports (rigides et souples), puis les techniques (eau, huile, vernis) et a terminé par les formats. La première partie de l'identification de l'image était accompagnée de tableaux réputés. Les conditions de réalisation constituent la deuxième partie : l'artiste, la signature, le titre et la date de l'œuvre, le contexte et le destinataire. Une fois ces éléments expliqués, il faut s'attacher à décrire les éléments représentés : peintures d'histoire, religieuse, littéraire, allégorique, portrait, paysage, nature morte, trompe l'œil, etc. Elle a montré aussi l'importance capitale de la perspective en repérant dans une toile les dimensions : des verticales, des perpendiculaires, des horizontales, des points de fuite. Pour vraiment étudier une image, il faut se doter de tous ces outils intellectuels pour mettre l'œuvre "en perspective". L'artiste ne peint pas au hasard, à l'instinct, sans but et sans message. Bien au contraire, un tableau en fait représente une énigme. J'aime cette dimension mystérieuse d'une œuvre d'art... Peut-on se passer de toutes ces connaissances techniques pour apprécier un tableau ? Comme l'a dit une amie qui suivait ce cours avec moi, et l'émotion devant une toile, une sculpture, un temple, une fresque, un dessin ? Ce choc esthétique, ce moment de grâce ne s'apprend pas, il se vit dans des minutes qui nous marqueront à tout jamais... Après l'émotion, vient peut-être la réflexion avec toute la panoplie que nous a offert notre professeur d'art. Cette session s'est révélée très intéressante, jamais ennuyeuse et même ludique parfois avec des exercices amusants. Comme je fréquente ardemment tous les musées d'Europe, je regarderai certaines peintures avec un œil plus formé, plus averti, plus curieux... 

jeudi 14 décembre 2017

"L'ordre du jour"

Eric Vuillard a obtenu le prix Goncourt 2017 à la surprise des médias car il n'était pas le favori... Mais, je comprends le jury pour deux raisons évidentes : l'Histoire et le Style. On ne parle pas assez de cet élément essentiel, primordial, capital dans une œuvre littéraire : le don de la langue. L'auteur de "l'ordre du jour" écrit une histoire dans l'Histoire en apportant un soin unique et rare de nos jours : les mots, ses mots. Le roman démarre ainsi : "Le soleil est un astre froid. Son cœur, des épines des glaces. Sa lumière sans pardon". Le décor posé, il évoque un événement anodin, daté du 20 février 1937,  qui va se dérouler dans l'indifférence des "gens ordinaires" : "Pourtant, la plupart passèrent leur matinée, plongés dans ce grand mensonge décent du travail, avec ces petits gestes où se concentre une vérité muette, convenable, et où toute l'épopée de notre existence se résume en une pantomime diligente". Ce jour fatal de février, vingt-quatre "messieurs" allemands d'influence se réunissent, car ils sont convoqués par le Président du Reichstag, Goering. Le nouveau chancelier, Hitler, fait son apparition et demande l'appui financier de tous ces industriels, fascinés par le programme politique des nazis : éloigner la menace communiste, éliminer les syndicats, imposer la force. Après cette rencontre qui scelle l'alliance mortifère des nazis avec les puissants de l'économie allemande, le texte bascule sur un deuxième événement majeur et prémonitoire : l'annexion de l'Autriche dans le Reich. Le chancelier autrichien Schuschnigg est convoqué par Hitler pour préparer son pays à l'inéluctable. Le projet d'Eric Vuillard réside dans cette description au scalpel de la lâcheté humaine à travers des personnages historiques d'une faiblesse certaine ou d'une férocité totale. Il active un zoom sur ces moments cruciaux où l'Histoire bascule dans le tragique, dans la violence et dans l'injustice. Il n'a aucun besoin de personnage central, de récit linéaire et pourtant, ce texte se lit comme un roman. A l'origine du livre, l'auteur raconte dans Télérama : "un sujet qui m'intéresse, sur lequel j'ai lu des tas d'ouvrages depuis des années, et tout à coup survient un embryon d'idée, à quoi s'ajoute cette brûlure intime qui fait que j'ai envie d'écrire, de m'y mettre". Ce roman dénonce le pouvoir des Puissants et l'écrasement des Faibles et dans une phrase fulgurante, Eric Vuillard écrit : "Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas". Un Prix Goncourt audacieux et mérité.

mercredi 13 décembre 2017

"Je me promets d'éclatantes revanches"

Le sous-titre significatif "Une lecture intime de Charlotte Delbo" de ce récit-hommage définit le projet biographique de Valentine Goby : deux femmes, deux écrivains, deux époques, deux générations. La contemporaine Valentine évoque la figure emblématique de Charlotte Delbo, beaucoup moins connue en France que Jorge Semprun dans le domaine du témoignage historique sur les camps nazis. Cette femme de la Résistance est arrêtée en 1942 et son mari est fusillé au Mont-Valérien. Emprisonnée, elle est ensuite déportée à Auschwitz, puis à Ravensbrück. Elle réussit à survivre dans cet enfer nazi et elle va utiliser l'écriture pour témoigner, pour évoquer l'horreur des camps de concentration. Les éditions de Minuit publieront dans les années 60 ses premiers écrits sur son expérience concentrationnaire, "Auschwitz et après" en trois volumes. Valentine Goby raconte sa belle rencontre avec cette femme exceptionnelle. En écrivant son roman, "Kinderzimmer", une amie lui demande si elle connaît Charlotte Delbo. Elle découvre alors une voix unique : "A la lire, j'ai pensé qu'écrire, c'est peut-être exactement cela : forger une langue capable de nous ramener d'entre nos morts ; la langue de nos confins où nous nous croyons muets". Les mots de Charlotte Delbo ressemblent à un "souffle" et sa "sœur" en écriture relate la vie de cette femme engagée au Parti communiste. Elle fut la secrétaire de Louis Jouvet avant la guerre et s'est ensuite engagée dans la Résistance. Après son retour des camps, elle a travaillé à l'ONU et elle meurt d'un cancer du poumon en 1985 à l'âge de 65 ans. Le récit de Valentine Goby revient sans cesse sur la vie de Charlotte Delbo, peu reconnue de son vivant. Cet élément de non-reconnaissance, une véritable injustice, chagrine la narratrice qui, avec le livre qu'elle compose, veut effacer cet oubli injustifié. Ce récit oscille entre une biographie, un exercice d'admiration et un journal intime sur sa découverte de Charlotte Delbo. Elle en parle dans une classe pour la faire connaître, elle se plonge à corps perdu dans ses archives à la Bibliothèque nationale, elle absorbe la prose intense de l'écrivain. Elle écrit : "Oubli ou mémoire, deux pôles entre lesquels comme en nous-mêmes, la vie, l'écriture de Charlotte Delbo hésitent sans cesse". Le titre du livre résume aussi la rage de vivre de Charlotte Delbo qui a déclaré avant de s'éteindre : "tu sais, j'ai eu une belle vie"... 

Atelier Lectures, 4


Je consacre un quatrième billet pour terminer l'évocation de ces voix féminines dans la collection Babel. Régine a parlé avec conviction de "Bad girl : Classes de littérature" de Nancy Huston. Ce livre s'apparente à une autobiographie intra-utérine qui se poursuit par celle de sa petite enfance. L'écrivaine tutoie son propre fœtus qu'elle appelle Dorrit. La petite Dorrit, pourtant abandonnée par sa mère,  est devenue une femme libre et engagée. Cet ouvrage original par sa forme traite de l'abandon et de la difficulté de se construire avec un tel héritage. "Bad girl" n'a pas été désirée, ni aimée par sa mère. Grand-père pasteur, tante missionnaire, grand-mère féministe, belle-mère allemande, père dépressif, mère conflictuelle, la petite Nancy se jette à corps perdu dans la littérature comme une survie essentielle. Cette "mauvaise fille" est devenue Nancy Huston, canadienne anglophone et pure parisienne, avec un parcours littéraire de premier plan... Un récit fort, indispensable pour rencontrer une écrivaine singulière et puissante. Danièle a présenté "Opéra sérieux" de Régine Detambel. Ce roman plaira beaucoup à tous les amateurs d'opéra et de chant lyrique. En 1926, Elena Marsch pousse son premier cri. Son père est un ténor célèbre et sa mère, elle-même soprano, meurt prématurément. Après la Deuxième Guerre mondiale, ils s'installent en Amérique, fuyant les persécutions nazies. Elena ne connaît que ce milieu de l'opéra et va devenir une chanteuse lyrique en médusant son public avec une voix unique. La soprano confondra l'opéra et la vie. Elle finira par s'égarer dans ce monde de l'illusion. Ce roman d'une écriture somptueuse possède un charme envoûtant. Je terminerai par "Dans l'ombre de la lumière" de Claude Pujade-Renaud. La narratrice, Elissa, raconte sa vie de concubine avec Saint Augustin à Carthage avant qu'il ne devienne évêque, puis, leur vie à Thagaste et en Italie où le jeune Augustin était rhéteur. Il répudie Elissa pour devenir un pilier de l'église chrétienne dans ce siècle passionnant entre les religions païenne, manichéenne et chrétienne. Ils perdent leur fils unique et ne se reverront plus. Elissa, revenue vivre dans son pays, raconte sa vie quotidienne chez un potier et chez un copiste qui lui lit des extraits des "Confessions". Elle aimera cet homme exceptionnel jusqu'à sa mort. Ce roman historique se lit sans difficulté et avec un intérêt croissant au fil du récit. La collection Babel d'Actes Sud, a tenu ses promesses de "bonnes lectures". Tous ces romans que j'avais conseillés ont conquis mes lectrices de l'atelier. Mission accomplie...

dimanche 10 décembre 2017

Héros populaire

La France médiatique vit au rythme de deux disparitions "mythiques", celle de D'Ormesson et celle de Hallyday, l'intellectuel aristocrate et l'artiste saltimbanque : deux facettes de notre pays paradoxal. Je me lance dans cet exercice car j'ai suivi par curiosité les deux cérémonies, très différentes mais uniques chacune dans leur genre. Pour l'un, les Invalides avec les honneurs de la nation, pour l'autre, un départ rock'n'roll avec des bikers sur leur Harley Davidson de prestige.  Une marée humaine a déferlé à Paris ce samedi, toutes générations confondues, surtout venues d'une France profonde et périphérique. Cette foule de fans semblait éprouver pour ce chanteur populaire une véritable adoration. Le rock'n'roll, le blues, la pop irriguent la culture musicale d'une très grande majorité de Français. J'avoue que j'ai rarement écouté Johnny car mes goûts musicaux sont depuis toujours du côté du classique... Pourtant, je me souviens des débuts du "yé-yé" quand mes parents tenaient un bar.  Un jour, un scopitone a fait son apparition dans l'établissement. L'ambiance a changé d'un seul coup : les jeunes du village sont venus fréquenter le bar pour écouter cette musique de "sauvages"... Les stars modernes sont nées à ce moment-là : Richard Anthony, Eddy Mitchell, les Chaussettes noires, et surtout Johnny, le plus grand de tous. Le twist faisait des ravages et qui, dans ma génération, n'a pas dansé sur ces airs-là ? Quand je m'imagine cette époque des années 60, les années de mon adolescence, nos oreilles étaient collées sur le transistor pour écouter Salut les Copains... Des clans naissaient dans le lycée : celui de Johnny, celui d'Adamo, celui de Claude François. Ces années d'une France qui entrait dans une modernité musicale, sociétale, culturelle restent gravées dans la mémoire des Français(e)s ! Tous ces fans qui ont défilé sur leur moto veulent faire durer leur jeunesse dans une impossible quête de rêve américain. Car Johnny ressemblait à ses fans : simple et complexe à la fois. Il symbolisait la force vitale, la liberté dans ses excès : l'alcool, la coke, la vitesse, les  femmes et les copains... Et sa voix chaude chantait tous les malheurs d'amour, consolait les inconsolables et donnait un moral d'acier à tous les éclopés de la vie. Johnny, le rocker thérapeute, le demi-dieu du public est parti dans une apothéose kitsch... 

vendredi 8 décembre 2017

Hommage à Jean d'Ormesson

Cet écrivain français a connu de son vivant la plus belle des consécrations pour un amoureux de la littérature : être publié dans la Pléiade. Côtoyer sur une étagère son mentor, Chateaubriand, et les compagnons (peu de compagnes...) des lettres constituait sa plus grande joie. Je me souviens d'une émission de Léa Salamé sur lui où il racontait qu'il préférait être lu dans deux cents ans plutôt qu'aujourd'hui. Son goût profond et authentique des Classiques lui dictait ces paroles convaincantes. Pourtant, les critiques des puristes exigeants l'ont certainement blessé et le monde universitaire  ne s'est toujours pas penché sur ses œuvres par manque de profondeur, (je suppose). J'ai suivi ce matin l'hommage que lui a rendu le Président de la République. Ce discours sur la France littéraire, sur l'amour des écrivains, du langage, de l'élégance m'a étonnée et m'a rassurée sur la culture française. Il avait déclaré qu'il n'y avait pas de culture française dans un de ses meetings en 2016. Jean d'Ormesson a donc remis notre jeune Président sur le "droit chemin"... Pourquoi cet engouement du grand public pour cet écrivain, noble de naissance, raffiné, cultivé, élégant ? Ses livres sont lisibles, ses livres racontent des histoires, ses livres ont rencontré beaucoup de lecteurs(trices). Mais son succès médiatique dépassait largement la portée de ses écrits. Il symbolisait le charme ancien, la séduction naïve, la politesse exquise, l'esprit goguenard. Sa gentillesse étonnante dégoupillait les velléités agressives de ses contradicteurs. De droite, il parlait avec la gauche. Sa tolérance proverbiale provenait de son profond humanisme. Si j'écris un billet sur lui alors que je ne l'ai pas lu (je vais combler ce manque de curiosité), c'est pour le combat insensé qu'il a mené dans les années 80 pour imposer la candidature de Marguerite Yourcenar à l'Académie française, complétement hostile aux femmes de lettres. Ce geste d'un féminisme courageux et symbolique a ouvert les portes de cette institution au "deuxième sexe" même si elles sont encore ultra minoritaires. Son grand âge qu'il portait magnifiquement prouvait aussi que la vieillesse n'est pas toujours un naufrage. Il aimait la vie et la vie semblait l'aimer aussi... Un grand monsieur des Lettres françaises est parti dans le paradis des écrivain(e)s avec son crayon modeste, mais indispensable pour laisser des traces sur la page blanche de sa nouvelle carrière auprès de ses confrères disparus... 

jeudi 7 décembre 2017

Atelier Lectures, 3

Dany a beaucoup aimé un roman d'Anne Percin, "Les singuliers". Dans les années 1888-1990, Hugo Boch, une jeune peintre venu de Belgique, s'expatrie à Pont-Aven, loin de sa famille bourgeoise. Il rencontre de nombreux artistes dont Gauguin. A cette époque-là, les Impressionnistes révolutionnent l'art moderne et ce roman épistolaire mélange les personnages fictifs et historiques. Pour Dany, cette lecture est un régal total, surtout si on aime le monde de la peinture. Geneviève a présenté avec enthousiasme "Cherchez la femme" d'Alice Ferney. Serge et de Marianne s'aiment, se marient, se déchirent, se séparent. L'écrivaine pose la question du poids familial dans le comportement du couple qui s'use au fil du temps. Que veut dire s'unir ? S'aimer ? Se marier ? Les origines sociales, le passé familial, la vie professionnelle, les convictions et les valeurs peuvent peser dans le couple jusqu'à la séparation inévitable. Ce voyage à travers l'autopsie d'un amour n'empêche pas des touches d'humour dans une prose vivifiante. Les femmes dans ce livre n'ont pas le beau rôle et les hommes paraissent inexistants, d'après Geneviève. Un livre captivant et réussi à découvrir pour celles qui ne l'ont pas encore lu.  Janelou a choisi "Kinderzimmer" de Valentine Goby.  En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de 40 000 détenues. Mila, une jeune femme de la Résistance, a été denoncée et elle est déportée dans le camp de la mort, alors qu'elle porte en elle la vie. Elle découvre la faim, les brimades, le froid, l'horreur et elle ne sait pas s'il faut cacher ou avouer sa grossesse. Il existait une "chambre", kinderzimmer, où naissaient ces nourrissons. Dans ce lieu de destruction, la vie de ces petits êtres semblait une anomalie. Mila se bat pour maintenir son bébé vivant. Ce livre difficile a beaucoup dérangé Janelou qui se demandait si l'écrivaine avait trop mis de pathos dans cette histoire terriblement triste. Il faudrait d'autres lectures pour se faire une opinion sur ce roman très sensible. La suite, demain...

mercredi 6 décembre 2017

Atelier Lectures, 2

J'avais proposé en "lectures fortement recommandées" des écrivaines françaises dans la collection de poche Babel. La maison Actes Sud redonne une seconde vie à leurs romans brochés en les publiant dans ce format accessible à tous les budgets. J'ai choisi 10 romans emblématiques de la littérature actuelle, 10 voix de femmes, 10 univers différents, 10 imaginaires singuliers. Marie et Agnès ont lu "Des phrases courtes, ma chérie" de Pierrette Fleutiaux. La narratrice raconte la vieillesse de sa mère dans une maison de retraite. La mère a été professeur et considère sa fille écrivain avec un peu de condescendance. Sa fille raconte la fin de vie de cette mère qui présente un double visage : charmante avec les "étrangers" et peu aimable avec sa fille, décevante à ses yeux car elle aurait préféré qu'elle exerce un métier médical comme son frère chirurgien. Ce récit ne peut que toucher toutes les lectrices qui traversent ou ont traversé cette expérience difficile  : voir sa mère perdre son autonomie, ses facultés intellectuelles et physiques. L'ambivalence des sentiments mère-fille nait d'une communication difficile entre elles. Un livre fort, dérangeant et intimiste, qui raconte une histoire universelle. En 2016, Pierrette avait aussi écrit un roman très intéressant, "Destiny". Janine a lu avec émotion un roman de Jeanne Benameur, "Otages intimes". Photographe de guerre, Etienne est pris en otage dans une ville en guerre. Après sa libération, il revient dans son pays natal auprès de sa mère.  Il retrouve ses deux meilleurs amis : Enzo, le musicien et Jofranka, une avocate à La Haye pour les femmes victimes de guerre. Ce trio amoureux tente de répondre à la question : qui est l'otage en nous ? L'écrivaine signe un roman très sensible, toujours touchant et toujours d'actualité. Annette et Pascale ont lu "Amazones" de Raphaëlle Riol, un road-movie au féminin. Alice, la trentenaire borderline, et Alphonsine, la grand-mère indigne refusent de rentrer dans le moule du conformisme ambiant. Rebelles comme les Amazones, elles s'insurgent contre les hommes dominants et vont fuguer pour reconquérir leur liberté. Un roman agréable mais parfois agressif, facile à lire. La suite, demain...

mardi 5 décembre 2017

Atelier Lectures, 1

Nous étions nombreuses pour ce dernier rendez-vous de l'année autour d'une table à la Maison des Associations. Malgré le froid dans la salle, une certaine chaleur circulait entre nous et nous avons démarré avec les coups de cœur. Mylène a parlé d'un roman, "Les noces de charbon" de Sophie Chaveau, édité chez Folio. Cette saga familiale du Nord de la France démarre à la fin du XIXe jusqu'en 1968 dans le milieu des mineurs et de leurs patrons bourgeois. Deux familles sont décrites, l'une du "côté de Proust", l'autre du "côté de Simenon", dans un affrontement de classe. Une histoire d'amour va lier les deux héritiers de ces familles discordantes... Mylène a émis une réserve sur le style un peu trop "facile" de l'auteur... Dany a lu un ouvrage d'Erwan Larher, "Le livre que je ne voulais pas écrire". L'auteur commence son livre ainsi : "Tu étais au mauvais endroit au mauvais moment, tu es un miraculé, pas une victime". L'auteur relate sans pathos et sans larmes son expérience terrible quand il s'est retrouvé face aux barbares du Bataclan. Un témoignage capital pour comprendre les sentiments d'un survivant avec l'aide de l'écriture. Danièle a choisi "Le chœur des femmes" de Martin Winckler, publié en 2009. Ce grand succès de librairie a conquis Danièle où elle a retrouvé une symphonie de voix féminines dans un service hospitalier de gynécologie. Toutes ces paroles des patientes forment une polyphonie d'expériences vécues avec le personnage romanesque d'une interne qui se pose beaucoup de questions sur la pratique médicale. Ce pavé de plus de six cents pages, édité dans l'excellente maison d'édition, POL, peut dérouter ou enflammer les lecteurs(trices)... Régine a vraiment eu un grand coup de cœur pour le dernier roman de Sorj Chalandon, "Un jour d'avant" dont on a déjà souligné l'intérêt dans un précédent atelier. Elle a évoqué un roman très agréable à lire, "La tresse" de Laetitia Colombani. Trois femmes de trois pays différents aux origines sociales opposées refusent leur condition : une Intouchable, une avocate et une ouvrière dans l'atelier de son père. Geneviève a présenté "Les bottes suédoises" de Henning Mankell, un formidable roman, la suite des "Chaussures italiennes". Janelou a aimé le roman,  "Les bourgeois", d'Alice Ferney que Mylène avait déjà présenté. J'ai terminé les coups de cœur avec celui d'Evelyne, (que je partage), un récit magnifique de Daniel Mendelsohn, "Une Odyssée, un père, un fils, une épopée". Demain, la suite sur les lectures "imposées"...

lundi 4 décembre 2017

Hommage à Françoise Heritier

Récemment, j'ai vu Françoise Héritier dans la Grande Librairie. Atteinte d'une grave maladie paralysante, elle arborait pourtant un sourire serein et lumineux malgré son handicap. Cette grande dame de l'anthropologie africaniste est décédée le jour de ses 84 ans. En 1957, elle effectue sa première mission en Haute-Volta. Plus tard, elle succèdera à Claude Lévi-Strauss au Collège de France. Ses nombreux ouvrages savants, difficiles à lire pour des néophytes, ont marqué l'histoire de la pensée du XXe siècle. Pour comprendre les théories qu'elle développe dans "Masculin/Féminin", j'ai suivi une émission sur elle très éclairante qui montrait l'importance de ses recherches. Dans la notice nécrologique du Monde, un de ses collègues témoigne : "Elle s'est battue avec toute la force de son intelligence pour affirmer les droits des femmes et leur volonté de se débarrasser de cette domination masculine". Ses champs de recherche se concentrent sur la condition des femmes et leurs rapports avec les hommes, le tabou de l'inceste, la contraception, la différence sexuelle en s'appuyant sur les sociétés africaines.  Féministe, elle était persuadée que "l'évolution vers l'égalité est inéluctable, car elle va dans le sens de l'Histoire". En 2012, elle entame une nouvelle carrière en écrivant le délicieux " Le Sel de la vie", édité chez Odile Jacob, où elle établit une liste des "petits bonheurs de l'existence", les "petits riens" qui forment une autobiographie originale et abrégée. L'année suivante, elle récidive avec "Le goût des mots" en leur faisant un éloge vibrant. Quelques mois avant sa mort, elle publie "Au gré des jours", où elle se confie avec une intimité discrète et élégante. Elle évoque ses souvenirs en Afrique quand elle a découvert ce continent : "une odeur chaude, poivrée, enivrante, d'humus mais aussi de poussière. Invasive, troublante mais immédiatement familière, comme appartenant à l'ordre naturel des choses". Le prix Femina lui a décerné un prix d'honneur pour l'ensemble de son œuvre. Malgré ses graves problèmes de santé, elle semblait vaincre ses souffrances avec une sagesse stoïque, digne de Marc Aurèle. Une grande intellectuelle a disparu mais, elle nous lègue son œuvre d'anthropologue, son engagement féministe et son esprit libre...

vendredi 1 décembre 2017

"Summer"

Le roman de Monica Sabolo démarre avec cette phrase : "Dans mes rêves, il y a toujours le lac". Le lac Léman envahit la mémoire du narrateur entre fantasmes et réalité.  Sa sœur, Summer, dix-neuf ans a disparu lors d'un pique-nique en plein été. Vingt-cinq ans après, son petit frère se pose l'effarante et lancinante question : qu'est-elle devenue ? Cette disparition mystérieuse et inexpliquée obsède Benjamin, le petit frère inconsolable et inconsolé. Sa grande sœur était une jeune fille libre, belle, rebelle, et parfois audacieuse dans ses relations avec les garçons. Les rapports familiaux souffraient de ce comportement insolent et sa mort probable était peut-être liée à ses fréquentations douteuses. Pourtant, le milieu où Summer a grandi ressemble à un paradis de privilégiés au bord du lac Léman. Son père, avocat célèbre et sa mère, une ex-mannequin vivent dans une belle propriété bourgeoise. Un monde parfait selon le narrateur. Mais, tout s'effondre quand Summer n'est pas retrouvée par la police locale : aucune trace d'agression, aucun corps dans le lac, aucun enlèvement avec demande de rançon. Benjamin est hanté par sa sœur : "La nuit, Summer me parle sous l'eau. Sa bouche est ouverte, palpitante comme celle des poissons morts".  Benjamin s'empêche de vivre en pensant sans cesse à sa sœur : tourments angoissés, cauchemars nocturnes, interrogations permanentes, fugues improvisées et pour parachever son malaise existentiel, sa rupture définitive avec ses parents. Benjamin ne renonce pas à retrouver sa sœur disparue. Il finit par prendre son destin en main en menant sa propre enquête au fil du récit. Ses parents réagissent différemment en effaçant les traces de leur fille dans la propriété. Benjamin raconte son adolescence chaotique, ses relations amoureuses décevantes, ses amitiés dangereuses. Il ressasse ce manque dans un flux de pensées ininterrompues. Un jour, il découvre enfin la vérité sur sa sœur... Ce récit ressemble à un thriller psychologique d'un magnétisme troublant et envoûtant. Monica Sabolo décrit ce milieu aisé avec en arrière-plan, une critique sociale sans concession. Seul, Benjamin, le personnage central, attire l'empathie des lecteurs(trices) avec ses souvenirs récurrents, ses rêves obsédants, son amour de frère pour une jeune fille solaire.  Un roman très réussi, palpitant et très bien écrit et qui aurait mérité le prix Goncourt. 

vendredi 24 novembre 2017

Rubrique cinéma

En ce moment à l'Astrée, se tient la Quinzaine du cinéma italien. "Un paese quasi perfetto" du réalisateur Massimo Gaudioso se focalise sur l'affrontement ville-campagne, citadins contre paysans, centre-périphérie, monde urbain-monde rural. Le village, Pietramezzana, perdu dans le Basilicate, se meurt : aucune industrie, aucun commerce et dans ce désert, une petite centaine d'irréductibles indiens d'Italie. Pourtant, ce village possédait une mine importante qui s'est fermée dans l'indifférence générale, mettant les mineurs au chômage. Le maire espère pourtant un changement économique : un homme d'affaires du Nord de l'Italie lui promet l'installation d'une usine avec des subventions européennes. Mais, l'obtention de cette somme dépend de deux conditions : la présence d'un médecin et deux cents habitants dans le village. Comment trouver un médecin qui choisirait ce bout du monde abandonné de tous ? Alors qu'ils ne sont qu'une centaine de villageois, comment atteindre le but exigé ? La comédie va démarrer avec l'arrivée d'un médecin esthéticien, obligé de se rendre à Pietramezzana car l'ancien maire du village, devenu policier en ville, l'a surpris avec de la drogue. Il lui propose un échange : le silence s'il part au village. Voilà notre médecin, très snob par ailleurs, au milieu de tous ces drôles de villageois cocasses, burlesques et profondément humains. Ils organisent un espionnage téléphonique pour connaître les goûts mondains de notre personnage urbain. La comédie joue sur ce registre : apprentissage du cricket par les hommes pour faire croire à ce bellâtre qu'ils sont aussi modernes qu'en ville, trouver des sushis énigmatiques à leurs yeux dans l'unique auberge, etc. Les scènes se suivent à un rythme endiablé et sans aucune vulgarité. Quand l'industriel vient s'assurer que les deux conditions sont remplies, un incident remet tout en question. Le médecin finit par s'attacher à ces habitants pétris de chaleur humaine, combattifs malgré le désastre économique, dignes et fiers de leur village abandonné. Cela faisait longtemps que je n'avais pas souri et même ri au cinéma. Je n'aime pas particulièrement les comédies mais une comédie italienne possède un charme irrésistible. Dans cette comédie légère et délicieuse, j'ai vu une dénonciation de l'abandon de nos campagnes, une revendication de la dignité par le travail, et un éloge de la vie simple et bonne... A voir, pour retrouver le goût de l'Italie.

mercredi 22 novembre 2017

"Point cardinal"

Leonor de Recondo vient d'écrire "Point cardinal", publié aux éditions Sabine Wespieser. Comme elle en a l'habitude, cette écrivaine compose ses textes en se saisissant d'un sujet "sensible", l'identité sexuelle, qui peut heurter les lecteurs un peu trop traditionnels. Dans son précédent roman très réussi, "Amours", elle évoquait l'amour au féminin sans fioritures, sans ménager la pudeur des uns et le conformisme des autres. Elle propose dans "Point cardinal", le thème difficile du changement de sexe, le transsexualisme. Laurent, son personnage principal, s'habille en femme dans sa voiture car il fréquente un lieu où des travestis se retrouvent en cachette. Quand il retrouve sa femme Solange et ses deux adolescents, il redevient le mari fidèle et le père modèle. Il a rencontré sa femme au lycée et ont donné naissance à deux enfants : une famille normale, une famille unie, une famille heureuse. Mais, Laurent se découvre une âme féminine. Il se souvient de son enfance où il aimait les vêtements de sa mère, ses parfums et ce goût de la féminité. Il se sent mieux dans son corps en femme. Un jour, sa famille le laisse seul dans la maison et il ose investir cet espace en femme. Cette révélation lui confirme qu'il doit changer son corps. Il est aidé par une transsexuelle qui lui donne toutes les informations pour entreprendre sa transformation sexuelle. Quand sa femme découvre une perruque blonde dans leur chambre, la vérité enfin éclate et Laurent confie son secret : devenir femme. Un séisme psychologique ébranle la famille toute entière : incompréhension de sa femme, interrogation de sa fille et rejet total de son fils. Comment vivre et survivre dans ce maelström de sentiments, face à ce changement ? Laurent ne renonce pas. Bien au contraire, il commence un traitement médical et subira une opération à Bruxelles. Peu à peu, sa femme et sa fille finissent par comprendre cette décision mais, son fils quitte le foyer et coupe les liens avec ce "père-mère", rebaptisé Lauren... Ce sujet délicat est traité avec une délicatesse sobre, intimiste et le style limpide, clair et vivant accentue l'effet de dédramatisation. Laurent est enfin devenu ce qu'il était suivant la devise de Nietzsche : "deviens ce que tu es". Le courage d'être soi, voilà le sujet de ce roman contemporain d'une force tranquille... 

lundi 20 novembre 2017

"Nos vies"

Ce roman, "Nos vies", de Marie-Hélène Lafon, paru en septembre chez Buchet-Chastel,  parle de la ville et de ses solitudes. La première image forte du livre s'attarde sur Gordana, la caissière du Franprix : "Cuirassée parce que la ville est difficile. Gordana n'a pas trente ans. Son corps sue l'adversité et la fatigue ancienne. Le monde lui résiste". La narratrice, Jeanne,  observe avec une acuité profonde la vie de cette jeune femme, qui, à ses yeux, cache une énigme comme tous les personnages qu'elle va rencontrer. Cette énigme de l'autre, des autres, elle la compense, elle la remplace avec son imagination. Elle imagine ces vies fragiles en forme de conte urbain. Qui est Gordana ? Elle a laissé son enfant dans sa famille lointaine, faute de l'emmener avec elle dans cette vie d'immigrée d'un Est inconnu. Un client du magasin entre en scène : la quarantaine, divorcé, solitaire, d'origine portugaise ou espagnole. Il s'appelle Horacio Fortunato.  La narratrice intervient en filigrane pour se raconter entre les lignes et surtout, développe son projet littéraire : "A Paris, dans le métro, pendant quarante ans, j'ai happé des visages, des silhouettes de femmes ou d'hommes que je ne reverrais pas et j'ai brodé, j'ai caracolé en dedans, à fond (...), je me suis enfoncée dans le labyrinthe des vies flairées, humées, nouées, esquissées, comme d'autres eussent crayonné, penchés sur un carnet à spirales". Le personnage central,  l'observatrice, dispose de temps libre par sa retraite récente et sa solitude personnelle se peuple de ces personnages inventés, bousculés par la vie. Elle a été abandonnée par son compagnon, après vingt ans de vie commune. Entre la caissière et l'homme brun, une histoire d'amour va peut-être naître. Tout est permis dans l'imaginaire de l'écrivain. La narratrice dévoile sa propre vie : ses parents épiciers, son milieu modeste, le rejet de son compagnon étranger, ses frères avec leurs familles. Dans ce roman des vies, de la vie urbaine, Marie-Hélène Lafon raconte la solitude avec son style unique, influencé par Pierre Michon et ses "Vies minuscules". Ces destins individuels, broyés par le travail pénible comme Gordana, par l'échec amoureux comme Horatio, sont sauvés par la voix intense de l'écrivaine, par la littérature... Un roman de la rentrée littéraire d'une qualité exceptionnelle et qui n'a pas obtenu de prix... Surprenant, quand même.

vendredi 17 novembre 2017

Hommage à Roger Grenier

Peu connu du "grand public", Roger Grenier s'est éteint le 8 novembre à l'âge de 98 ans. Cet homme discret occupait pourtant un des postes les plus prestigieux de notre pays littéraire : conseiller chez Gallimard pendant une cinquantaine d'années. Ecrivain, homme de radio, journaliste dans sa jeunesse, Roger Grenier a passé son adolescence à Pau. Après une licence de lettres, il s'installe à Paris et entre dans la Résistance pendant la Guerre. Albert Camus l'engage comme rédacteur dans le journal, "Combat". Plus tard, il travaille dans l'audiovisuel où il rencontrera beaucoup d'écrivains et d'intellectuels. En 1964, il rejoint le comité de lecture de Gallimard. Il poursuit sa carrière littéraire toute en douceur et avec une constance remarquable. Ses romans ne se lisent peut-être plus aujourd'hui, mais je conserve encore dans mes souvenirs de lectrice, les histoires émouvantes,  le style pur, d'une élégance bien française, sans fioritures, d'un classicisme intemporel. Il faut relire le "Palais d'hiver", "Ciné-roman", "Partita" et "Il te faudra quitter Florence". Ses biographies sur Tchekhov, "Regarder la neige qui tombe", sur Camus et sur Scott Fitzgerald font date et apportent à ce genre littéraire, ses lettres de noblesse. La mélancolie imprégnait ses écrits avec un sourire teinté de dérision. Il avait composé une ode à sa mère dans un délicieux récit, "Andrélie" et elle lui disait : "Tu es dans la force de l'âge, c'est le moment de te mettre en valeur, alors que je n'avais qu'une idée : ne pas me faire remarquer". Cette phrase résume la vie de Roger Grenier. Lire Roger Grenier quand j'ouvrais un de ses ouvrages ressemblait à un acte amical, comme si je retrouvais un "passeur" de mots, un messager des dieux de la littérature. Sa sobriété et sa modestie légendaires ne l'ont pas empêché de vivre dans un des lieux les plus fascinants : la maison Gallimard... Il a évoqué cette vie de grand lecteur dans les "Instantanées" en trois tomes et dans "Le palais des livres". Le journaliste du Monde conclut son article ainsi : "Roger Grenier ressemble à un petit bonhomme, échappé de Sempé et il n'a pas fini de hanter ce quartier dont il fut l'âme littéraire, la conscience et la grandeur. A jamais". Je voulais rendre un hommage à ce soldat fidèle du monde littéraire...

jeudi 16 novembre 2017

"Une odyssée, un père, un fils, une épopée"

En 2007, Daniel Mendelsohn avait reçu le Prix Médicis étranger pour son récit magnifique, "Les Disparus", une enquête d'une dimension universelle sur l'insupportable élimination des membres de sa famille lors de la Shoah. En tant qu'écrivain, il redonnait vie à tous ces Disparus, gravés dans les pages de l'ouvrage, tel une stèle du souvenir. Dans "Une Odyssée, un père, un fils, une épopée", l'écrivain américain renoue avec le thème de la famille en évoquant Homère. Professeur de littérature classique, latiniste, helléniste, il consacre un séminaire à l'Odyssée et parmi ses étudiants, il accepte la présence de son père, âgé de quatre-vingt et un ans. Leur périple démarre dans les cours à la faculté et se termine dans une croisière en Méditerranée sur les traces d'Ulysse. L'histoire se tisse sur deux niveaux : l'histoire d'Ulysse et de son fils Télémaque, celle du narrateur et de son père. Le récit unifie ces deux sujets entrelacés en posant la question essentielle : la relation père-fils. De l'Antiquité à nos jours, le mystère de la filiation demeure et l'écrivain traite ce thème d'une façon géniale. J'ose employer ce terme car ce récit autobiographique, doublé d'une analyse littéraire magistrale sur l'Odysssée, se lit avec un intérêt croissant au fil des pages. Ce père un peu grincheux d'après son fils (il déteste les embouteillages) donne du fil à retordre à son fils et surtout devant les étudiants, car il n'admire pas Ulysse, trop aidé selon lui par Athéna. Il prend souvent la parole pour contrer les avis de son professeur de fils, d'une patience infinie envers lui. Ce jeu psychologique père-fils ressemble à la relation d'Ulysse envers son père Laërte et de son fils, Télémaque. Après le séminaire, ils partent donc en croisière pour se retrouver enfin et vivre une relation apaisée. Une scène émouvante scelle leur entente quand le père prend la main de son fils, sujet à la claustrophobie en visitant une grotte. Ils ne verront pas Ithaque pour cause de grève dans le canal de Corinthe... Daniel Mendelsohn raconte la fin de vie de son père, mort après une chute dans un parking. Ce très beau récit, un des meilleurs de l'année 2017,  entremêle deux histoires passionnantes, celle d'Ulysse, le fils modèle et celle d'un écrivain américain, le fils moderne, pétri de culture classique. Le recours à Homère le rapproche enfin d'un père complexe et seule la littérature a des pouvoirs merveilleux comme les dieux de l'Olympe...    

mardi 14 novembre 2017

"Un certain M.Piekielny"

François-Henri Désérable participait jeudi dernier à la Grande Librairie et se retrouvait en très bonne compagnie littéraire : Patrick Modiano pour son dernier roman, "Souvenirs dormants" et de sa pièce de théâtre, "Nos débuts dans la vie", Pierre Michon à l'occasion du cahier de l'Herne qui lui consacre un numéro et Marie-Hélène Lafon, héritière de l'école Michon-Bergounioux. Ce jeune écrivain, né en 1987, a présenté son "Un certain M. Piekielny", un roman un peu loufoque sur un personnage imaginé par Romain Gary dans la "Promesse de l'aube". Ce voisin du petit Romain vivait dans le même immeuble à Vilnius et connaissait donc la mère de l'écrivain. Romain Gary évoquait cet homme modeste et timide qui lui avait suggéré : "Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets moi de leur dire : au 16 de la rue Grande-Pohulanka; à Wilno, habitait M. Piekielny...". L'écrivain n'a jamais oublié cette promesse et a, paraît-il, cité le nom de son voisin lors de ses rencontres fabuleuses avec le Général de Gaule et d'autres Grands de ce monde. Ce roman raconte la vie agitée de Romain Gary, sa carrière diplomatique, ses amours, ses romans en mêlant aussi la démarche du narrateur, amoureux de la littérature. Il invente la vie de ce personnage fictif : ce M.Pielkielny a-t-il été déporté dans un camp ? A-t-il fui les Russes ? Est-il mort de maladie ? Toutes les hypothèses se heurtent au mystère de son existence comme une ombre insaisissable. Ce roman ressemble à un journal d'enquête sur son mentor littéraire, Romain Gary, légende à lui tout seul, maquillant ses vérités en mensonges vraisemblables. Dans un article du Monde, le journaliste souligne le charme évident du livre avec ce personnage fantomatique qui le relie à l'œuvre de Gary. L'auteur rend un hommage fervent  à la fiction et à son "désir de littérature". Les dernières lignes éclairent le projet de F.-H. Désérable : "Gary écrit le nom de Piekielny sur la page. Le fait-il naître ? Renaître ? Jaillir du tréfonds de sa mémoire ? (...) Je ne sais pas. Il est tout puissant. Il écrit. Il ne pense qu'à cela. Ecrire. Tenir le monde en vingt-six lettres et le faire ployer sous sa loi." Un très bon roman de cette rentrée littéraire qui aurait mérité un prix... 

lundi 13 novembre 2017

Atelier Lectures, 4 : Milan Kundera

Pour résumer en quelques lignes certains aspects de l'univers de Milan Kundera, il vaut mieux lire les critiques littéraires et universitaires qui ont analysé, décrypté, décortiqué les œuvres de l'écrivain. A mon échelle plus que modeste, la "fiction pensive" de Milan Kundera n'est pas toujours facile à présenter. Je préfère donc m'appuyer sur quelques citations, soulignées dans mes lectures. L'auteur, immense lecteur lui-même,  a  théorisé dans "L'art du roman",  la puissance de la fiction, une invention libératrice, symbole du monde européen. "Le roman n'est pas une confession de l'auteur, mais une exploration de ce qui est la vie humaine dans le piège qu'est devenu le monde", écrit-il dans "L'insoutenable légèreté de l'être". En marge de ses idées plus générales, il dénonce par exemple, le bruit, cette "laideur acoustique", "un processus planétaire" quand la musique de divertissement règne partout dans les restaurants comme dans les magasins sans parler du bruissement continue de nos véhicules à deux roues, à quatre roues et compagnie. Un concept m'a beaucoup éclairée sur les illusions de la politique : la notion de kitsch. L'écrivain a montré, voire démontré dans ses premiers ouvrages des années 70, les dégâts du totalitarisme sur l'individu, en relatant avec un humour corrosif, ses propres errements dans la pensée communiste. "Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré. Le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable." Ce phénomène social et politique concerne toutes les idéologies mortifères qui génèrent l'intolérance et le fanatisme. Et ce kitsch, on peut aussi le trouver dans les sectaires de tous genres qui ne voient que leur propre vérité ou dans l'amour romantique faussé qu'il baptise "idylle"... L'écrivain se méfie des enthousiastes, des lyriques, des excessifs, des béats. Dans l'œuvre kunderienne, prévalent la lucidité, l'esprit critique, le sens de la liberté, l'humour grinçant, l'ironie distante, voire un pessimisme jouissif. J'avoue que, avec les années cumulées, j'apprécie davantage ses digressions philosophiques alors que je m'attachais davantage aux personnages et à leurs aventures avortées dans le maelstrom de l'Histoire. J'attends encore sa consécration quand il obtiendra le Prix Nobel de Littérature... Ces Suédois n'ont pas beaucoup d'imagination... Pour me consoler de cette injustice, j'ai "mon" Milan Kundera dans la collection de la Pléiade...

vendredi 10 novembre 2017

Atelier Lectures, 3 : Milan Kundera

Après les coups de cœur, nous avons eu peu de temps pour évoquer le grand écrivain, Milan Kundera. Comme je le fais habituellement, je ne vais pas rendre compte des lectures effectuées par mes amies de l'atelier. Certaines d'entre elles l'ont lu avec beaucoup d'intérêt, mais j'avoue que cet écrivain majeur peut aussi dérouter des lectrices qui ne connaissaient pas son œuvre. Je vais donc consacrer deux billets, l'un sur sa vie, l'autre sur ses romans lus dans l'atelier. Milan Kundera est né en Tchécoslovaquie (la Tchéquie aujourd'hui). Son père, musicologue et pianiste reconnu, lui a certainement transmis sa passion de la musique. De 1950 à 1970, le jeune Milan commence à écrire des poèmes et surtout, s'inscrit dans une école de cinéma. Ses péripéties politiques dans le parti communiste tchèque vont s'accélérer car il sera exclu, puis réintégré et finira par le quitter en dénonçant l'hégémonie de la Russie dans la culture de son pays. Son combat littéraire contre le totalitarisme communiste s'enracine dans sa jeunesse où il ne fallait pas émettre une seule critique contre le système. Il racontera dans "La Plaisanterie" ces mésaventures de jeune homme obligé d'aller dans un camp de vacances pour une rééducation politique conforme à la pensée marxiste. Après l'invasion soviétique en 1968, le pays rentre dans une période où les médias sont muselés et le stalinisme, imposé. Il faut se souvenir que la Tchécoslovaquie s'est libéré du communisme qu'en 1989... En 1975, il quitte définitivement Prague en s'installant à Rennes avec sa femme Vera. Il obtient un poste à l'université et rejoindra Paris plus tard. En 1981, François Mitterrand lui octroie la naturalisation française. Ses livres sont interdits en Tchécoslovaquie. Il publie en 1982 son roman célèbre : "L'insoutenable légèreté de l'être", paru chez Gallimard et adapté au cinéma en 1988. Sa renommée dépasse les frontières et il va recevoir de nombreux prix littéraires durant sa carrière dont le Prix Médicis étranger en 1973 pour "La vie est ailleurs". Son nom est plusieurs fois prononcé pour le Prix Nobel de Littérature. A partir de 1990, il compose ses romans en français, se sentant trahi par les traducteurs. "L'Immortalité", "La Lenteur" et "L'Identité se transforment en romans épurés avec peu de personnages, moins de pages et des réflexions critiques sur notre mode de vie. En 2011, ses fictions et ses essais sont réunis dans la collection prestigieuse de la Pléiade en deux tomes. Cette édition ne comporte aucune note, aucun appareil critique selon la volonté de l'écrivain qui refuse, aussi, d'apparaître dans les médias et de donner des interviews... Son œuvre suffit à nourrir amplement son lectorat. J'apprécie cette attitude de retrait même si elle semble hautaine. Milan Kundera a confié sa vie dans ses livres et surtout sa philosophie, imprégnée d'inquiétude existentielle, d'ironie mordante et de pessimisme historique...

jeudi 9 novembre 2017

Atelier Lectures, 2

Lors du premier atelier d'octobre, j'avais recommandé l'achat d'une nouveauté de la rentrée littéraire. Les coups de cœur ou de griffe concernent donc des romans écrits dans notre belle langue française... Je préconiserai en janvier un achat de romans étrangers... Sylvie et Véronique ont donc découvert "Nos vies" de Marie-Hélène Lafon, publié chez Buchet-Chastel. Véronique a apprécié ce livre alors que Sylvie l'a trouvé "déroutant, nostalgique et triste". Marie-Hélène Lafon, (que l'on a vue dans la Grande Librairie la semaine dernière) est professeur de lettres classiques et revendique le bel héritage de la langue, travaillée à la façon de Pierre Michon et de Pierre Bergounioux. Jeanne, la narratrice, observe les clients d'un magasin d'alimentation dont Gordana, une caissière. Ou le lecteur s'ennuie devant cet objet littéraire singulier, servi par un style sculpté, ou le lecteur adhère au langage et à la vision de l'écrivain... Marie et Annette ont beaucoup aimé le récit autobiographique de Pierre Souchon, "Encore vivant" qui raconte sa bipolarité. Son témoignage sur sa maladie ne manque "ni d'humour, ni de rage" quand il relate son expérience de l'hôpital psychiatrique, son histoire personnelle, ses origines paysannes et son mariage "bourgeois". Un livre coup de poing. Janine a choisi par fidélité le dernier opus de Le Clezio, "Alma". Elle a retrouvé le souffle poétique de l'écrivain qui revient sur ses racines familiales à l'île Maurice. Il est question d'un clochard céleste, de l'oiseau emblématique, le dodo, en voie de disparition, de l'esclavage, de la nature saccagée par le tourisme. Régine nous a présenté le roman de l'écrivain algérien, Kamel Daoud, "Zabor : ou les Psaumes", un monologue dense et parfois difficile à lire. Un adolescent possède le don de l'écriture qui recule la mort. Il est appelé auprès de son père mourant pour le sauver. Mais, va-t-il aider son père qui ne l'a jamais aimé ? Ce livre fort, ambitieux et exigeant rend hommage à la littérature, à la force inouïe de la fiction, source de la liberté. Marie-Christine a retrouvé sa passion de la montagne dans le livre de Paolo Gognetti, "Les huit montagnes", publié chez Stock. Mylène a choisi "Les Bourgeois" d'Alice Ferney. Cette vaste saga familiale concerne une famille, baptisée les Bourgeois, patronyme symbolique d'une classe sociale dominante dans une France du XXe siècle. Foisonnement de personnages, panorama historique, roman familial, destins réussis ou brisés, Alice Ferney a conquis Mylène et d'autres lecteurs(trices)... Elle a terminé la partie "coups de cœur" avec un roman de Nadine Gordimer, 'Bouge", une histoire bouleversante d'un fils, militant écologiste anti-nucléaire, est atteint d'un cancer. Cette maladie l'oblige à retourner chez ses parents parce qu'il ne peut plus vivre avec sa femme et son fils à cause des radiations qu'il subit. Cette expérience va changer sa vie. Les coups de cœur de novembre seront certainement partagés...

mercredi 8 novembre 2017

Atelier Lectures, 1

Nous nous sommes réunies ce mardi pour évoquer les coups de cœur du mois et Milan Kundera. Nous étions nombreuses (14 lectrices, un record) et j'ai recommandé un seul coup de cœur par personne. Comme nous disposons de deux heures, je regarde parfois ma montre pour que chacune prenne la parole et ne la monopolise pas. Tout se passe dans une ambiance conviviale et toutes mes lectrices se comportent à merveille pour une bonne écoute partagée. Geneviève a démarré avec un coup de griffe au sujet du livre de Christine Jordis, "Automnes". Parler de la vieillesse, de l'âge avancé ressemble, parfois, à un pari impossible et l'auteur n'a pas réussi à convaincre notre amie lectrice. Trop de références à Simone de Beauvoir et à son essai sur "La vieillesse", des propos décousus, des conseils trop sages, bref, une erreur peut-être dans les achats de la rentrée littéraire... Le livre tournera parmi nous et peut-être rencontrera-t-il un regard plus bienveillant. Janelou a lu le dernier roman de Brigitte Giraud, "Un loup pour l'homme". Elle a été déçue par l'histoire qui se passe pendant la Guerre d'Algérie où un soldat, qui ne veut pas combattre, choisit d'être infirmier. Janelou estimait que le personnage masculin sonnait "faux"... Dany et Annette ont enfin eu un grand coup de cœur pour "Le jour d'avant" de Sorj Chalandon. L'auteur rend un hommage émouvant à son père, ancien mineur et raconte la vie plus que difficile de ces héros du charbon dans le Nord, à Liévin. Dany a aussi présenté le récit de Delphine Minoui, "Les passeurs de livres de Daraya". En pleine guerre syrienne, des jeunes rebelles se retrouvent dans un lieu protégé : une bibliothèque clandestine. Ils découvrent les livres et apprennent la tolérance grâce à eux. Un essai plein d'espoir. Danièle a beaucoup apprécié le récit autobiographique de Philippe Pollet-Villard, "L'enfant-mouche". L'histoire se passe en 1944, dans un village de montagne. Marie-Angèle adopte une petite fille, Marie et fuyant la capitale, elles se heurteront à l'hostilité des villageois. Elles essaieront de survivre dans cette période noire de la France. L'auteur a raconté l'histoire de sa mère dans ce livre émouvant. La suite, demain.

mardi 7 novembre 2017

"Toutes les familles heureuses"

Hervé Le Tellier se déclare volontiers comme un "oulipien", amateur de contraintes littéraires à la façon de Georges Perec. Homme de radio, cet écrivain singulier possède une voix particulière. Il a donc publié cet automne "Toutes les familles heureuses", édité chez Lattès. Le titre ironique, tiré d'un livre de Toltoï, résume le projet de ce récit autobiographique. Malgré le sentiment de saturation que le lecteur(trice) peut éprouver pour ce sujet, la famille, ce texte renouvelle le genre en posant tout de suite la distance nécessaire pour ne pas sombrer dans la caricature "Familles, je vous hais" d'André Gide. Dès la première phrase, le décor psychologique est planté : "Il y aurait du scandale à ne pas avoir aimé ses parents. Du scandale à s'être posé la question de savoir s'il était ou non honteux de ne pas trouver en soi, malgré des efforts de jeunesse, un sentiment si commun, l'amour dit filial". L'auteur se considère comme un "monstre" en éprouvant une indifférence glaciale quand il apprend la mort de son beau-père, Serge. Il avait un an quand sa mère divorce et se marie avec cet homme insipide, incolore et vivant sous le joug de sa femme, autoritaire et névrosée. Il n'a jamais joué un rôle de père auprès du petit garçon. Hervé Le Tellier annonce dès le début du récit que sa mère est folle. Il décrit la généalogie familiale dans une France du XXe siècle en évoquant son grand-père charismatique, Raphaël, un homme d'influence de l'ancien temps, un patriarche traditionnel. Sa fille, Marcelline, ne se remettra jamais de l'abandon de son premier mari. Sa jalousie envers sa propre sœur devient maladive et elle bascule dans un comportement hystérique souvent agressif. Les relations mère-fils virent toujours aux rapports conflictuels. Sa mère en demande 'trop" et ne supporte pas la liberté de son fils quittant le nid familial dès sa majorité. Le père naturel ne vient jamais en aide et refait sa vie dans l'oubli de son propre fils. Hervé Le Tellier décrypte au scalpel ces adultes  égocentriques et irresponsables. Ce portrait de famille au vitriol pourrait déranger les lecteurs(trices) plus habitués au "bonheur" familial. Ce sujet abondamment traité dans la littérature (je pense aux romans de Lionel Duroy) me semble inépuisable et inépuisé. Hervé Le Tellier ne ressent pas d'amertume envers sa mère malade, la lâcheté de son beau-père et envers son enfance malheureuse. Il écrit à la fin de ce récit dense : "Un enfant n'a parfois que le choix de la fuite ; il devra à son évasion, au risque de la fragilité, d'aimer plus fort encore la vie". Un très beau récit autobiographique qui m'a fait penser à la phrase d'Henri Calet : "ne me secouez pas trop car je suis plein de larmes"...

lundi 6 novembre 2017

Madrid, 6

Le jour de mon départ, je disposais de la matinée avant de prendre un taxi pour l'aéroport. Comme l' appartement était situé près de la magnifique gare d'Atocha, j'ai repris le chemin du Prado pour visiter le jardin botanique. Une bonne surprise m'attendait car la circulation dense des voitures avait disparu. Le Paseo del Arte s'offrait aux passants dans une tranquillité insolite. Une ville sans voitures se transforme en village d'antan et se promener sur ce boulevard vaste, sans crainte de pollution et de bruit, devrait se banaliser dans beaucoup d'autres capitales. J'ai vécu la même expérience à Rome et c'était extraordinaire. Je n'ai pas toujours le temps de me balader dans les parcs quand je reste quelques jours dans une ville mais, à Madrid, la nature se manifeste par la présence de platanes très nombreux dans les rues. Dans le Jardin botanique, créé au XVIIIe, un pavillon accueille des expositions et les allées dessinent l'espace, délimité par des haies courtes. Parterres de fleurs, potagers, arbres centenaires, fontaines et statues forment un parc ombragé, véritable oasis de fraicheur et de quiétude. Ensuite, je me suis promenée tranquillement jusqu'à la place Cibeles, une des plus belles de la ville. La déesse Cybèle, symbole de la fertilité, est représentée dans un char tiré par deux lions. Ce lieu célèbre est très fréquenté par les fans du Real Madrid que je n'ai heureusement pas croisés... Musées, places, parcs, monuments, Madrid mérite vraiment une escapade de quelques jours. J'ai pris le métro, les bus, les taxis sans aucun problème. Dans les restaurants, dans les magasins, dans la rue, j'ai remarqué beaucoup de gentillesse, de courtoisie et de prévenance... Une civilité très agréable à vivre dans une ville bouillonnante et trépidante. Jorge Semprun dans un guide sur Madrid écrivait : "Avec la démocratie, les Madrilènes sont en train de réinventer l'art de vivre ensemble". Ce texte datait des années 80 quand l'Espagne respirait enfin la liberté après la mort du dictateur Franco. J'éprouve une grande admiration pour ce pays qui a su vaincre les démons de la discorde quand la Guerre civile déchirait les familles. J'ai quelques inquiétudes aujourd'hui avec la crise catalane. Mais, la sagesse prévaudra dans ce conflit séculaire... Je garderai longtemps dans ma mémoire les chefs d'œuvre des musées, les Madrilènes charmants, les larges avenues arborées, et l'ambiance sereine de la capitale jaune et rouge aux couleurs du drapeau espagnol.

vendredi 3 novembre 2017

Madrid, 5

Des images de l'Espagne me rendent parfois songeuse et m'agacent souvent. Le flamenco tapageur et rageur d'origine andalouse ne me touche pas du tout et ne symbolise pas ce pays. Ni les castagnettes, ni la guitare ne représentent à parts entières la culture espagnole sans oublier la tradition la plus contestée, la corrida. On peut aimer l'Espagne en se détournant de ces mythologies sociales contraignantes car la presse et les médias résument un pays avec des raccourcis caricaturaux. Je préfère les héros du patrimoine culturel comme Don Quichotte même si son exploitation commerciale fait sourire. Et la peinture espagnole présente un choix de génies à faire pâlir notre pays. De Goya à Picasso, de Zurbaran à Murillo, du Greco à Vélasquez, les peintres racontent l'histoire de l'Espagne. J'ai terminé mon séjour avec la visite du Prado, le Musée incontournable de Madrid. J'avais repéré sur un guide les salles que je ne devais absolument pas rater car dans cet espace labyrinthique, il est facile de s'égarer... Plus de 6000 œuvres m'attendaient mais j'ai préféré me concentrer sur certains peintres que j'aime tout particulièrement. Les Rois d'Espagne ont eu la bonne idée de constituer ces collections qui représentent l'histoire de la peinture européenne. Je me suis arrêtée devant les Fra Angelico, Raphaël (sublime), Bruegel, Patinir (son bleu profond me subjugue), Dürer, Cranach, Bellini, Goya, etc. Mais, la salle consacrée à Jérôme Bosch, par ailleurs très fréquentée, était le point d'orgue de ma visite. Ce peintre flamand du XVe siècle (El Bosco en espagnol) a influencé les surréalistes. Il a décrit les angoisses fondamentales du Moyen Age : les peurs de l'enfer, de la mort, des maladies. Bosch était un fervent catholique et fustigeait les "pêcheurs" impénitents... Dans "le Jardin des délices", les fantasmes, les allégories, les inventions délirantes de Bosch révèlent les profondeurs abyssales de la psyché humaine. Une seule visite dans cette salle où l'on trouve aussi "La Charrette de foin" et "L'adoration des mages", justifierait une escapade à Madrid. J'ai aussi observé les peintures les plus saisissantes de Goya dont celle de "Saturne dévorant ses enfants". J'ai passé la fin d'après-midi dans les jardins du Palais royal, m'amusant dans le labyrinthe végétal avec le sentiment de l'enfance retrouvée.  Le samedi, j'ai voulu revoir le musée de l'Académie royale des Beaux Arts San Fernando, très peu visité des touristes mais qui détient des magnifiques Zurbaran, un Arcimboldo, des Sorolla et des Goya... Et je suis retournée voir le Guernica à la Reina Sofia... Ma passion de l'art n'a pas de limites...

jeudi 2 novembre 2017

Madrid, 4

Pour découvrir Madrid, il suffit d'une petite semaine. Arrivée mardi, je suis repartie dimanche en passant cinq nuits dans un bel appartement ancien, situé dans la calle Atocha. Je prenais le temps de me balader dans la ville en programmant deux visites de musée par jour (parfois trois) pour mieux savourer mes découvertes. J'ai consacré ma journée de jeudi à trois autres musées, à la Bibliothèque nationale avec en fin d'après-midi, une grande balade dans le magnifique parc du Retiro. Le Lazaro Galdiano  abrite une collection particulière d'un éditeur et collectionneur d'art. Je voulais surtout admirer un Jérôme Bosch, son "Saint-Jérôme méditant", un petit tableau surprenant et bien plus sage que l'ensemble de son œuvre. Dans cet hôtel particulier, logent deux toiles de Goya dont "le Sabbat des sorcières", très réputé que j'ai eu le plaisir de revoir. J'ai redécouvert le génie noir de Goya dans ses peintures sur la folie humaine et sur la guerre. Comme j'avais lu une biographie de Michel del Castillo sur le peintre, je comprenais mieux la modernité des toiles goyesques. Dans le même quartier, se situe le musée le plus émouvant de Madrid : le Sorolla. Ce peintre espagnol (1863-1923), de tradition impressionniste, a vécu dans cette belle maison, entourée d'un petit jardin enchanteur avec des fontaines et des statues. Son atelier se visite avec une certaine ferveur de la part des amateurs de peinture lumineuse. Ses toiles accrochées sur tous les murs de l'atelier racontent sa belle vie d'artiste. Il peint la mer, les plages (dont celle de Biarritz), les femmes, les enfants dans une palette de couleurs allant d'un blanc cotonneux au bleu de la mer, au rouge des vêtements, au jaune des intérieurs... Ce peintre dit "luministe" me fait penser à un Bonnard, un Vuillard qui auraient peint en bord de mer... Dans cette maison-musée, tous les objets du peintre sont exposés : ses livres, ses pinceaux, son bureau, son salon, etc. On se balade dans cet espace intime avec le sentiment de se retrouver dans un atelier qui communique à chaque visiteur, une quiétude heureuse. Plus tard, je suis retournée à la Bibliothèque nationale qui présente quelques livres anciens dans un espace muséal. J'aime regarder de très prés des manuscrits enluminés, des incunables, des livres rares. Même à l'étranger, je n'oublie jamais ma passion des livres et de la littérature... J'ai ensuite pris un grand bol d'air au parc du Retiro, aménagé en 1869 où tous les madrilènes se promènent, font du jogging, de la barque, du vélo et se prélassent dans ce très bel espace, poumon vert de la capitale... En quittant le parc, j'ai longé les échoppes des bouquinistes ! Un régal des yeux de retrouver ces milliers de livres au cœur de Madrid...

mercredi 1 novembre 2017

Madrid, 3

Trois musées majeurs se partagent les génies de la peinture européenne : le Prado, le Thyssen-Bornemisza et le Reina Sofia. J'ai réservé ma journée de mercredi pour visiter en priorité le Guernica de Picasso qui m'avait tant impressionnée lors de ma première escapade à Madrid. Comme il pleuvait sur la ville, les musées offrent des refuges plus qu'appréciables. La météo maussade s'oublie vite dès que l'on pénètre dans ces lieux magnifiques. Le Reina Sofia est installé dans un ancien hôpital et couvent du XVIIIe, agrandi par Jean Nouvel et dès que l'on arrive près du musée, le bâtiment présente un mélange d'ancien et de moderne avec ses deux ascenseurs transparents, adossés sur la façade. Seul, l'art du XXe est à l'honneur avec des peintres européens : Picasso, Juan Gris, Braque, Miro, Dali, les Delaunay, etc. J'ai découvert des artistes espagnols dont un très beau tableau de Julio Romero de Torres, intitulé "Lecture" où une femme au regard mélancolique, allongée sur un canapé, tient un livre dans sa main. Une exposition sur la Guerre d'Espagne avec des écrans et des vitrines de livres complétait la collection permanente. Mais, le public se dirige directement vers le deuxième étage où se situe la salle exposant le "Guernica". Un certain silence règne dans l'espace et chacun se recueille devant cette toile immense mesurant huit mètres sur trois. Chacun connaît ce cri pictural contre la barbarie nazie. Des bombes ont décimé le village basque de Guernica et avaient provoqué des nombreuses victimes. Picasso peint la souffrance des corps, l'horreur de la guerre, la violence inouïe en choisissant le blanc et le noir avec des teintes de gris pour dessiner des corps torturés, éclatés. Une lumière apparaît au centre du tableau pour symboliser l'espoir. Je suis restée devant ce tableau pendant de longues minutes et j'ai eu la chance de me retrouver parfois seule avec une poignée de visiteurs, très respectueux et émus par ce chef d'œuvre absolu, peint en 1937. Après trois heures de visite, j'ai découvert un restaurant très coloré, "la Veronica" pour me ressourcer avant d'entamer ma marche vers le Thyssen. Ce musée présente huit cents tableaux acquis par l'Etat espagnol pour la somme modique de 400 millions d'euros en 1992 ! Cinquante salles sur trois étages montrent un panorama époustouflant de la peinture européenne : Hollande, Italie, France, etc. Tous les génies sont devant vos yeux : Carpaccio, Cranach, Le Caravage, Brueghel, Patinir (un peintre rarissime) pour ne citer que mes préférés... Une toile a retenu toute mon attention : une femme qui lit assise sur un lit exposant toute sa solitude (nom du tableau) de Edward Hopper. Encore la peinture et la littérature liées...

vendredi 27 octobre 2017

Madrid, 2

Je suis donc repartie à Madrid pour ses musées. Mais, je ne pouvais pas passer huit heures par jour dans ces lieux culturels (quoique) bien que les trois musées les plus importants exigent pour chacun trois heures de visite tellement les collections sont importantes. J'ai donc visité des places, des églises, les jardins du Palais Royal, les avenues, les monuments, le parc du Retiro, le jardin botanique, les marchés sans parler des rues que l'on traverse pour humer le parfum de Madrid. Malgré tout, Madrid n'éblouit pas les yeux comme Rome, Naples ou Vienne. Au premier abord, elle ne possède pas ce charme envoutant des villes italiennes que je trouve pour ma part les plus belles du monde... Une des places emblématiques de Madrid se nomme la Puerta del Sol où se situe le kilomètre zéro des routes d'Espagne. Dans cet espace, se réunissent souvent les madrilènes pour fêter le premier de l'an en avalant un grain de raisin à chaque son de cloche. Les manifestations nombreuses aboutissent à la Puerta del Sol et on peut caresser de l'œil, un gros ours appuyé sur un arbousier, une sculpture en bronze très célèbre à Madrid. Les touristes s'amusent à prendre des clichés pour bien montrer à leurs proches qu'ils visitent la ville. Dès cet espace, rempli de jeunes, j'ai mesuré l'extrême vitalité des Espagnols dans une ambiance bon enfant. Aucun militaire en vue comme en France, peu de policiers pour gérer la sécurité. J'ai aussi visité la place la plus touristique : la Plaza Mayor, construite au temps des Habsbourg au XVIIe siècle. De forme carrée, entourée de façades de couleur rouge, elle présente une unité architecturale remarquable. Sous les arcades, des vieux magasins montrent leurs fresques colorées. Malheureusement, le tourisme de masse a déjà provoqué des dégâts avec l'invasion des terrasses de bars et surtout avec la présence de personnages ridiculement déguisés (style Spiderman) et des silhouettes de toreros pour se faire photographier. Dans ce cadre historique, c'est bien dommage de rencontrer cette facette commerciale alors que le patrimoine culturel devrait être respecté davantage... Heureusement, je n'ai pas observé ce phénomène près des musées.  Je citerai la Place d'Espagne où se tiennent les deux héros de Cervantès : Don Quichotte et Sancho Pança. Ces statues équestres sympathiques, surmontés de leur père géniteur et se reflétant dans un miroir d'eau,  embellissent cet espace cerné par des buildings de l'ère franquiste... 

jeudi 26 octobre 2017

Madrid, 1

Mes escapades européennes se sont terminées à Madrid en ce mois d'octobre. Après Rome, Prague, Athènes et le Péloponnèse, je suis partie en Espagne, le pays de mes grands-parents, originaires d'Aragon et immigrés à Bayonne au début du XXe siècle. Quand je suis sur les terres d'Espagne, je me sens un peu chez moi et je n'éprouve aucun sentiment d'étrangeté, de dépaysement. J'ai appris l'espagnol dès la sixième en première langue jusqu'à la fin de ma licence. Je lisais le "Don Quichotte" en langue originale. Mais, quand on ne pratique pas la langue régulièrement, on perd beaucoup de réflexes langagiers. J'ose quand même parler l'espagnol, j'aime l'écouter et le comprendre. C'est pour cette raison que j'avais envie de revoir Madrid, une des capitales européennes les plus attachantes. Dès que je me suis approchée du centre, dans la calle Atocha, près du Paseo del Arte, j'ai vu beaucoup de drapeaux, accrochés aux fenêtres, aux balcons, sur les façades. Ces citoyens madrilènes proclamaient leur détermination pour rester unis dans un seul état. Les Catalans indépendantistes ne font pas l'unanimité et blessent les Espagnols, soucieux de conserver l'unité du pays... Cette grave crise politique se voit partout dans la ville. Comme je suis arrivée en milieu d'après-midi, j'ai rencontré avec plaisir, Enrique, le propriétaire décontracté de l'appartement qui m'a confié ses clés avec une confiance totale. Puis, j'ai redécouvert avec plaisir le quartier de Las Lettras où je me suis recueillie devant la statue de Federico Garcia Lorca, situé dans la place Santa Ana où se trouve aussi un monument dédié à Calderon de la Barca. Le destin tragique du poète andalou, assassiné par les franquistes, m'a toujours révoltée. Sur les pavés de la rue Huertas, j'ai photographie les citations en lettres dorées de grands écrivains espagnols : Perez-Galdós, Gongora, Becquer, Zorilla, etc. J'ai apprécié comment la ville rend hommage à la littérature... Je commençais bien mon séjour en terre madrilène et surtout dans un environnement dédié à l'écriture et aux écrivains. Les murs sont souvent tagués avec des peintures joyeuses et revendicatrices. Dans ce quartier où vivent beaucoup d'artistes et d'intellectuels, les cafés et les bars à tapas se fréquentent abondamment. Les espagnols aiment sortir, boire entre amis, s'interpeller avec convivialité, partager un repas. Leur mode de vie, baptisé la movida, est bel et bien une réalité... Mais, je suis revenue à Madrid pour revoir le quartier des musées : le Prado, le Thyssen, le Reina Sofia, le Sorolla et d'autres... La suite, demain.

mercredi 25 octobre 2017

"Tiens ferme ta couronne"

Attention, ce livre fantasque peut dérouter un lecteur qui ne connaît pas Yannick Haenel. Cet écrivain singulier coanime la revue littéraire, "Ligne de risque" qui considère l'écriture comme un "absolu". Son roman est publié chez Gallimard dans la collection "L'Infini" et figure en bonne place pour les prix littéraires. Le narrateur (l'auteur ?) vient d'écrire un scénario sur la vie d'Hermann Melville, le grand écrivain américain. Il cherche un cinéaste pour ce film et ne pense qu'à Michael Cimino qu'il admire. Il passe son temps à visionner ses films et analyse les obsessions du réalisateur américain. Il obtient par relation le numéro de téléphone de Cimino qui lui donne rendez-vous à New York pour lire son scénario. L'intrigue du roman repose sur ce thème central : l'adaptation de son œuvre par le cinéma. Littérature et cinéma sont-ils donc aussi compatibles ? Sa passion totale pour "Voyage au bout de l'enfer" et "La porte du paradis" fournit de longs passages de cinéphilie. Il est aussi question d'un voisin mystérieux qui lui confie son chien, un Dalmatien encombrant. Le narrateur vit aussi dans une situation précaire. Il rejette le confort matériel, la vie normale et ressemble à un Diogène littéraire. L'art et la littérature deviennent un absolu comme le grand cachalot blanc de Melville, une philosophie de l'être : "Un écrivain est quelqu'un qui, même s'il existe à peine aux yeux du monde, sait entendre au cœur de celui-ci la beauté en même temps que le crime, et qui porte en lui, avec humour ou désolation, à travers les pensées les plus révolutionnaires ou les plus dépressives, un certain de l'être".  Il rencontre Lena, sa Diane chasseresse dont il tombe éperdument amoureux. Ce roman halluciné évoque la fusion de l'écrivain avec la littérature, vécue comme une mystique. Le lecteur(trice) peut se perdre dans ce texte obsessionnel, fantasque et excessif mais cet écrivain m'a souvent intriguée tellement sa personnalité, son style et sa conception radicale de la littérature lui donne une place à part dans le panorama littéraire d'aujourd'hui. 

lundi 16 octobre 2017

Retour de Grèce, Athènes, 2

Je suis revenue à Athènes pour respirer l'air de la ville antique. Près des sites, les Grecs protègent leurs trésors dans les musées pour leur accorder enfin une éternité méritée. Le plus important, le Musée archéologique national (1888) se situe dans le quartier des étudiants, Exarchia. Cette institution présente l'une des plus importantes collections d'art antique au monde. Le patrimoine de l'Antiquité se divise en périodes : mycénien, cycladique, archaïque, classique, hellénistique et romain. Cet espace riche de milliers d'objets, de statues, de bas-reliefs, de vases doit s'accompagner de lectures plurielles : guides, livres d'art, revues spécialisées... Sans ces clés de compréhension et sans la passion de ce "miracle grec", les visiteurs peuvent se lasser et s'ennuyer devant tant de merveilles. Plus je les regarde, plus je les admire. Ces témoignages artistiques ont traversé les siècles dans des conditions inouïes : enfouis dans la mer, dans la terre, dans les tombes, dans les grottes... L'archéologie a ressuscité ces milliers de chefs d'œuvre antiques pour raconter l'Histoire ancienne. Du masque en or d'Agamemnon aux Kouroi majestueux, des vases aux jouets, des urnes funéraires aux statuettes votives, chaque salle dévoile la culture de la Grèce antique comme si on se plongeait dans un immense livre d'où surgissent les silhouettes divines et humaines en marbre et en bronze, traces des premiers sillons de notre civilisation occidentale. Quand je vois les bijoux, les ustensiles de cuisine, les sculptures, j'ai l'impression que leur vie quotidienne n'était pas si éloignée de la nôtre. Le Musée de l'Acropole, ouvert en 2009, étonne par son architecture audacieuse et parfois critiquée. Cet espace ouvert, transparent, lumineux présente toutes les sculptures de l'Acropole dont les très célèbres Caryatides, les authentiques (celles du temple Erechtéion sont des copies). Ce musée incontournable complète la visite de la colline sacrée. J'ai aussi visité le Kanellopoulos, un musée privé (gratuit) qui présente une collection extraordinaire de vases grecs. J'ai retrouvé avec le plus grand plaisir le Musée des Arts cycladiques, (Fondation Goulandris), un magnifique espace scénographique et pédagogique. Les idoles cycladiques, figurines en marbre de dimension variée (de cinq centimètres à un mètre cinquante), portent un mystère total en elles : elles étaient associées au culte de la fertilité ou à une déesse mère (matriarcat). Des artistes modernes se sont inspirés de ces statuettes étranges et exceptionnelles... Je suis restée trois jours à Athènes et j'aime cette capitale qui me permet d'approcher ces temps archaïques grâce à l'art et à l'architecture. Cette ville blanche et ensoleillé s'étale à l'infini du bord de mer à la plaine et partout, l'Acropole demeure en hauteur pour nous rappeler la jeunesse de notre civilisation humaine. 3000 ans d'histoire sur les millions d'années de notre Terre, au fond, ne doit pas nous impressionner. Athéna er Socrate deviennent ainsi mes contemporains...

samedi 14 octobre 2017

Retour de Grèce, Athènes, 1

Dès que le taxi m'a embarquée à la sortie du ferry, au Pirée, pour me conduire à l'Hôtel, situé dans le quartier de l'Acropole, j'ai reconnu les yeux fermés l'ambiance un peu survoltée d'Athènes. Taxis jaunes, bus, scooters, voitures, tous ces objets à roues envahissent les boulevards et les avenues et il vaut mieux traverser le passage piétons à toute allure... Cette ville ne ressemble à aucune capitale européenne : pas d'Arc de triomphe, d'hôtels particuliers, d'institutions comme le Panthéon, d'architecture classique et haussmannienne. L'intérêt culturel de la capitale grecque se situe dans son immense passé antique : l'Acropole, l'Agora grecque, l'Olympion, le Kéramicos et surtout ses musées archéologiques. Evidemment, il faut aussi se retrouver  devant le Parlement et voir les "evzones", les gardes nationaux en costume traditionnel avec leurs mules à pompons, impassibles devant leur guérite. La place Syntagma tient lieu de centre stratégique pour tout rassemblement contestataire. L'incessant ballet de la circulation gâche cette place vivante et généreuse. Des bâtiments du XIXe de la Grèce indépendante symbolisent les repères d'une nation récente avec sa Bibliothèque nationale et son Académie universitaire. J'aime prendre tous les transports pour me frotter à la vie quotidienne des Athéniens : bus, tram, métro, funiculaire, taxi. J'ai croisé dans mes déplacements des hommes et des femmes charmants, affables et prévenants, même dans le métro dont celui de Syntagma, pavé de marbre et présentant des vestiges antiques. Ma première balade de dimanche m'a menée dans la promenade de l'Acropole : le Parthénon se voit à tous moments et il ne faut surtout pas le visiter pendant le week-end car trop de touristes visitent le site. J'ai préféré revoir l'Agora romaine et sa Tour des Quatre Vents, le site Keramicos avec ses stèles funéraires et son musée, l'Agora grecque (VIe siècle av. J.-C.), centre de la vie publique avec son musée et surtout le temple très bien conservé d'Héphaïstos dont les bas-reliefs (métopes) racontent les exploits d'Héraclès. J'avais visité Athènes à deux reprises et revoir pour la troisième fois toutes ces merveilles de l'Antiquité n'a pas entamé mon admiration pour cette civilisation extraordinaire. Quand je suis revenue à l'hôtel, le soir après un bon restaurant, j'ai contemplé le Parthénon illuminé sur l'Acropole de la terrasse et c'est une vision de toute beauté... Que serait Athènes sans son Acropole ? Il vaut mieux ne pas se poser cette question...

vendredi 13 octobre 2017

Retour de Grèce, Egine (suite)

A Egine, près du port où accostent les ferries, un site archéologique, nommé Kolona, domine la mer. Il ne subsiste qu'une seule colonne (d'où le nom du site) que l'on aperçoit du bateau quand on s'approche de l'île. Je me suis promenée dans ce promontoire rocheux, habité dès  - 2500 av. J.-C. et ne présentant aujourd'hui que des murailles dessinant sur le sol des emplacements d'une agora inconnue. La vue sur la mer ressemble à des paysages paradisiaques. Je me suis baignée très près de cet espace en admirant cette colonne rescapée d'un monde disparu... Une impression d'être à la fois en 2017 et en - 500 dans un télescopage temporel inoubliable. Peut-être que des Eginètes anciens nageaient dans ces eaux d'un bleu profond... J'ai visité le petit musée archéologique situé dans le site. Fondé en 1829, il fut le premier de toute la Grèce. Bien qu'assez modeste, il possède une collection de céramiques mycéniennes et corinthiennes, des statues, un sphinx, et d'autres objets de l'île antique. Un patio accueille les visiteurs (j'étais seule avec mes amies) avec des sculptures. J'ai même photographié une cigale, agrippée sur un pin maritime. Ce pays m'enchante tellement qu'une cigale grecque me semble venue des temps anciens ! J'ai aussi visité deux églises orthodoxes dont la chapelle Aghios Nikolaos d'un blanc absolu, installée sur le port et protégeant les pêcheurs. Elle est toujours ouverte et les îliens manifestent leur foi profonde dans cet espace minuscule. Les symboles religieux se manifestent souvent dans les lieux publics. J'ai remarqué la présence d'images saintes dans le bus que j'ai pris pour aller voir le temple d'Egine. Il faut dire qu'il n'existe pas dans le pays la séparation de l'église et de l'état... Mon séjour s'est terminé le dimanche matin avec la vision d'un Eginète sur une mobylette, traînant derrière lui un cheval encordé qui devait remplacer un de ses compagnons chargés de tirer les cinq calèches pour les touristes (très peu nombreux) un peu paresseux qui prennent ces moyens de locomotion un peu trop folkloriques à mes yeux... J'ai repris le ferry le dimanche matin pour le Pirée et j'ai retrouvé mes mouettes qui m'ont peut-être reconnue...  

jeudi 12 octobre 2017

Retour de Grèce, Egine

En 2015, j'ai visité Egine, l'île la plus proche d'Athènes à une heure trente de ferry. Comme je n'étais restée qu'une petite journée, je n'avais pas eu le temps de découvrir le temple d'Aphaia qui forme le triangle sacré avec le Parthénon et celui du cap Sounion. J'ai abandonné la voiture au Pirée et j'ai pris le bateau très pittoresque à mes yeux pour résider deux nuits à Egine. Les touristes préfèrent Hydra, Poros et les Cyclades mais j'aime mieux me retrouver au milieu des Grecs qui passent leur week-end sur Egine. Les voir embarquer en moto, en auto et en camion dans une cacophonie invraisemblable et bon enfant est un des aspects les plus frappants de la Grèce d'aujourd'hui. Le ferry offre des places dans des salons très confortables et on peut aussi rester sur les ponts à l'air salin. J'adore photographier les mouettes qui nous suivent pendant un bon moment et leur ballet incessant et virevoltant constitue un vrai spectacle pour les voyageurs. Elles me frôlaient à un mètre et venaient me saluer en me souhaitant la bienvenue... Dès que le bateau accoste sur le port, le même brouhaha se reproduit et tous les passagers quittent le ferry dans un ordre logique, allant des piétons aux camions. Le port d'Egine réceptionne des yachts de luxe mais les barques de pêcheurs sont heureusement majoritaires. Le trafic maritime ne gêne absolument pas l'ambiance tranquille du port. Des restaurants "typiques" occupent une partie du front de mer et les rues parallèles au boulevard principal recèlent de boutiques au parfum des années 50 (dont des drogueries qui ont disparu en France...). L'île est réputée pour la qualité de ses pistachiers et de nombreux stands proposent cette divine gourmandise sous plusieurs formes : pistaches en sachet, en crème, en confiture, en sablé, etc. Après une approche buissonnière du port, j'ai effacé deux mille cinq cents ans de ma mémoire pour admirer le temple d'Aphaia en prenant le bus qui sillonne l'île. Dédié à Athéna, ce temple dorique possède six colonnes sur douze, domine la mer Egée et impressionne les visiteurs par son harmonie architecturale. Les Grecs anciens cultivaient le Beau à satiété... Peu de touristes s'aventurent vers ce lieu magique et j'ai profité amplement de cet édifice face à la mer, au milieu des pins et dans un silence "religieux"... La suite, demain.

mercredi 11 octobre 2017

Retour de Grèce, Nauplie et Epidaure

Après Mycènes, j'ai visité la très jolie ville de Nauplie. Proche de Mycènes, elle se situe au bord du golfe Argolide. Première capitale de la Grèce libérée, elle offre un panorama magnifique et conserve un passé vénitien dont on ressent l'héritage dans les rues étroites pavées de marbre, ses maisons fleuries, ses placettes, ses églises orthodoxes. Il régnait un calme appréciable sur le front de mer et boire un jus d'orange frais devant l'îlot Bourdzi s'est avéré un moment délicieux. J'ai visité le musée archéologique qui présente une collection mycénienne dont les émouvantes idoles en terre cuite (-1300 av. J.-C.) représentées les bras levés pour mettre l'accent sur la fécondité. Le premier étage montre une collection de vases des époques géométrique, archaïque et classique. J'ai surtout remarqué un nombre impressionnant de lécythes, vases élancés et peints avec une délicatesse remarquable. Les Grecs l'utilisaient pour contenir les huiles parfumées. Il faut pour s'imprégner de Nauplie, se balader dans les rues tortueuses de la petite cité, rentrer dans une église, remarquer la décoration vintage d'un bar, regarder quelques vitrines de magasin, lever les yeux sur les balcons ouvragés, les hibiscus, le ciel d'un bleu pur et toute cette découverte se déroule sans la présence de touristes tonitruants. Après cette étape charmante, j'ai repris la route pour Epidaure. J'avais déjà vu ce théâtre exceptionnel, restauré dans les années 60. Adossé à flanc de colline, entouré d'oliviers et de pins, ce lieu magique poursuit sa mission culturelle en proposant un festival de théâtre antique tous les ans. Il peut recevoir 12 000 spectateurs et j'ai assisté à une prise de paroles d'une touriste canadienne qui récitait du Sophocle. J'étais au plus haut des gradins et je l'entendais. Elle a pris une feuille de papier qu'elle a déchirée et là aussi, mes oreilles ont perçu les sons de la déchirure. Ce théâtre est le plus beau de toute la Grèce. Plus loin, un musée présente une collection liée au site avec des stèles sur lesquelles on peut lire (il faut vingt ans d'apprentissage de grec ancien !) les prescriptions et les remèdes miracles du célèbre médecin grec, Asclépios. J'ai terminé ma journée dans un hôtel vers Epidaure, surplombant la mer Egée. Assister au coucher de soleil et à son lever le matin, prendre son petit-déjeuner sur la terrasse, admirer un panorama grandiose avec les îles au loin : la Grèce dans toute sa splendeur !