jeudi 26 juin 2014

"Le chardonneret"

J'ai attendu quatre mois à la bibliothèque pour obtenir ce gros pavé, "Le chardonneret" de Donna Tart, publié chez Plon dans la collection "Feux croisés".J'ai quand même consacré un nombre d'heures important pour venir à bout de ces 786 pages, et à la fin de ma lecture-marathon, j'ai éprouvé une légère déception car la critique littéraire s'était montrée enthousiaste, du Monde des livres, aux revues mensuelles traditionnelles à la rentrée de septembre 2013. Ce roman possède évidemment une force romanesque, liée au personnage principal, Théo, un adolescent de treize ans qui va vivre un destin hors du commun. Il se retrouve avec sa mère à New-York dans un musée et il est attiré irrésistiblement par une jeune fille étrange aux cheveux roux, accompagnée par un vieux monsieur. Une explosion éclate dans cet endroit, symbole de l'art massacré et provoque des dégâts humains et matériels. Sa mère fait partie des victimes et Théo assiste à la mort du vieux homme qui lui conseille de dérober un petit tableau, "Le chardonneret". Il accepte aussi une bague étrange. A partir de cet attentat meurtrier, la vie de Théo bascule dans un chagrin sans fin. Il est accueilli par une famille de grands bourgeois new-yorkais et il crée des liens fraternels avec son copain Andy. Il retrouve la trace du propriétaire de la bague et cette découverte va changer sa vie. Il découvre un certain Hobie, antiquaire de son état, ami de ce vieux homme, mort dans le musée. Cet homme va lui donner le goût des vieux meubles anciens, de ce commerce si particulier. Comme Théo a encore un père, celui-ci alors qu'il les avait quittés, lui et sa mère, réapparaît dans sa vie et il est obligé de le suivre. Changement de vie pour Théo qui doit subir ce père absent, incompétent et délinquant. Dans cette période (que j'ai trouvé trop longue), il fait la connaissance de son meilleur ami, un jeune ukrainien, qui va l'initier à la drogue. Ce roman est tellement dense, tellement touffu, que l'on finit par se perdre un peu. Le tableau de Carel Fabritius est caché dans une agence de location. Il est dérobé et le roman se transforme en thriller : Théo se retrouve à Amsterdam (belles descriptions de la ville)  pour récupérer ce tableau convoité par la mafia des pays de l'Est. Et là, je perds le cap... Je poursuis ma lecture sur les amours de Théo (la jeune fille du musée et la sœur d'Andy) et à la fin, il récupère l'argent grâce à son ami qui a confié le tableau à l'Etat. Donna Tart avoue qu'elle compose ses romans tous les dix ans et je comprends son projet après avoir digéré ces quasi 800 pages ... Dans ces pages, l'écrivaine américaine intègre des réflexions sur la vie et ces passages offrent une respiration bienvenue dans la trame du roman. Ce roman à la Dickens peut séduire un grand nombre de lecteurs car Théo est un personnage que les malheurs accablent... Je le recommande pour cet été si vous aimez vraiment les grandes sagas qui racontent des destins singuliers et extraordinaires. Bon courage !

mardi 24 juin 2014

"Typoèmes"

En me baladant dans le secteur poésie de la médiathèque de Chambéry, je suis tombée par hasard sur un livre original, "Typoèmes" de Jérôme Peignot. Romancier, poète, homme de radio, militant engagé dans diverses actions politiques, cet homme singulier s'est aussi spécialisé dans la typographie, un art d'imprimeur qu'il valorise et sublime. On ne porte pas assez d'attention aux caractères d'impression par ignorance et par étourderie. Mais, quand on écrit un texte à la "machine", sur l'ordinateur, l'offre typographique est riche et cela devient même un jeu quand il faut choisir entre l'helvetica, l'arial, le book antiqua, le comic sans SM, le Lucida, le calibri, et bien d'autres possibilités. Des dizaines de "polices" peuvent être utilisées et je me souviens de mes hésitations quand je devais opter pour une forme classique ou originale pour mes outils de communication de la bibliothèque. Dans la préface de son "Typoèmes", Jérôme Peignot avoue son amour des mots, des signes et de l'alphabet, du jeu linguistique. Ce recueil de poèmes-signes peut se lire, se dessiner, s'imprimer, se peindre, aussi... Ce méli-mélo de mots, ce fourre-tout d'images, ce catalogue de symboles forment des calligrammes, des anagrammes, des palindromes (voir wikipedia pour trouver les définitions de tous ces termes techniques...). Il m'est impossible de retranscrire quelques perles du livre car  je ne peux pas utiliser les signes de la ponctuation. Je recommande ce bijou éditorial pour constater le talent immense de cet écrivain-typographe, et surtout pour rendre hommage à ces caractères que l'on ne voit plus, tellement ils sont invisibles. J'aime bien ces "fous" de l'écriture, de la typographie considérée comme un "bel art" en soi et Jérôme Peignot montre bien dans son livre son amour des voyelles, des consones, de la ponctuation, de l'alphabet et des chiffres dans un écrin de poésie, d'humour et de réflexions souvent philosophiques. Un ouvrage rare et précieux... 

lundi 23 juin 2014

"L'utilité de l'inutile"

J'avais remarqué l'édito de François Busnel dans le dernier Lire de juin où il faisait un éloge appuyé d' un petit livre rouge, celui de Nuccio Ordine, au titre alléchant, "L'utilité de l'inutile", édité aux "Belles Lettres". Cet essai rencontre un grand succès et la publicité de la revue va relancer l'intérêt des lecteurs. Le journaliste-chroniqueur littéraire, animateur de la "Grande Librairie", écrit ceci : "Ce petit livre sera le bréviaire de tous ceux qui entendent résister à la tyrannie du marché, à l'idéologie de l'utilité, à la domination du profit. (...) Lire est l'acte ultime qui nous élève vers le désintéressé et le grand. Cet éloge de l'utile inutilité de la littérature, de la poésie et de la philosophie est un baume autant qu'une fête de l'esprit". Nuccio Ordine évoque de nombreux écrivains en soulignant leur apport déterminant dans cette notion d'utile et d'inutile. La liste semble vertigineuse et l'on rencontre avec un plaisir certain des grands noms comme Dante, Shakespeare, Montaigne, Aristote, Kant, etc. J'ai apprécié la petite histoire des deux poissons de David Foster Wallace : "C'est l'histoire de deux jeunes poissons qui nagent et qui croisent le chemin d'un poisson qui leur fait signe de la tête et leur dit : "Salut les garçons. L'eau est bonne ? " Les deux jeunes poissons nagent encore un moment, puis l'un regarde l'autre et lui dit : "Tu sais ce que c'est, toi, l'eau ?". L'auteur précise que la clé de lecture de ce tout petit conte résume la philosophie de l'inutilité : sans tous les savoirs humanistes, la culture, l'art, la philosophie, la vie serait "incompréhensible"... Dans le chapitre consacré à l'université, il dénonce les notions d'entreprise et d'étudiants-clients. Des pans entiers de la connaissance surtout littéraire (grec ancien et latin) s'effondrent et beaucoup d'étudiants choisissent de s'inscrire en sciences économiques plutôt qu'en lettres classiques... L'essayiste nous conseille d'entrer en résistance et de rester vigilant pour sauvegarder les valeurs humanistes et surtout l'art sous toutes ses formes, art des textes, des images et des sons... Et quand il mentionne la menace de fermeture des bibliothèques ou du moins la baisse de leur budget, il touche ma "corde sensible" d'ancienne bibliothécaire... La bibliographie riche et éclectique montre le travail sérieusement documenté de l'essayiste. Lisez-donc ce manifeste salutaire pour savourer ces lignes d'une utilité indéniable...

vendredi 20 juin 2014

Rubrique cinéma

Choc cinématographique cet après-midi... J'ai vu "Comme le vent" du réalisateur Marco Simon Puccioni avec la comédienne Valéria Golino. Cette comédienne illumine ce film sombre, dur et même éprouvant. Je suis restée dans mon fauteuil pour attendre le générique de fin pour digérer cette histoire dramatique. C'est l'histoire d'une directrice de prison en Italie en 1989 (fait rarissime pour cette institution). Elle forme un couple heureux et amoureux avec l'animateur de théâtre de la prison qu'elle dirige. Ils attendent un enfant mais leur bonheur va s'interrompre brutalement car elle  perd son bébé. Commence la descente aux enfers : son mari est abattu par la mafia à un feu rouge et commence pour cette femme exceptionnelle une vie où elle cherche à connaître les meurtriers de son mari. Elle n'a pas froid aux yeux, Armida Miserere, et pour fuir son chagrin, elle demande sa mutation pour gérer des prisons de plus en plus difficiles. Elle affronte la vie avec un courage têtu et désespérant. Les scènes de fouille des détenus sont fréquentes et elle représente avec rigueur, l'Etat tant bafoué par les mafieux, véritables monstres qui n'hésitent pas à défier les institutions surtout dans l'Italie des années 90 avec l'odieux assassinat du juge Falcone en Sicile. Le film montre la Mafia comme une gangrène effrayante. Armida Miserere représente le sacrifice des fonctionnaires de la justice dans le rempart anti-mafia. Cette femme brisée par le deuil n'arrive pas à se reconstruire malgré quelques relations brèves avec d'autres hommes. Sa vie privée n'existe pas, et quand elle avoue qu'elle n'est "ni morte, ni vivante", elle bascule dans le désespoir. La justice finit par trouver les assassins de son mari dix ans après son assassinat, mais il est trop tard... Ce film raconte le destin tragique d'une femme-courage, exceptionnelle et hors du commun. La musique intensifie le climat sombre du film et on se souviendra dorénavant de cette héroïne, Armida Miserere. Un très beau portrait d'une femme qui se bat, tiré d'une histoire vraie. Elle rêvait d'une vie tranquille, entourée d'une famille nombreuse...

jeudi 19 juin 2014

"Mille excuses"

Jonathan Dee est un écrivain américain peu connu du grand public. Pourtant, les deux romans traduits en français, "Les privilèges" en 2011 et "La fabrique des illusions" en 2012, publiés dans la très bonne collection "Feux croisés" chez Plon ont rencontré leurs lecteurs(trices), sensibles à la musique subtile de son style. Son dernier opus, "Mille excuses", présente les mêmes qualités que ses précédents : efficacité de l'intrigue, romanesque réaliste, vision ironique de la société américaine. Il raconte l'histoire d'une famille parfaite de la middle class américaine à un moment de rupture : le mari Ben travaille dans un cabinet d'avocats, Helen est une mère dévouée et une épouse modèle, leur fille adoptive, Sarah,  une adolescente "normalement dysfonctionnelle" aime malgré tout ses parents. Ben, par lassitude et par caprice, invite une de ses collègues féminines à dîner et lui propose une chambre d'hôtel pour finir la soirée dans un lit. La jeune femme crie au scandale et dénonce l'attitude de Ben le considérant comme un harceleur sexuel. Cet incident provoque un séisme dans son couple et Helen refuse de le voir. Elle se sépare de lui. Ben doit quitter son foyer et se retrouve seul à assumer son geste incompréhensible. Il va subir la réprobation de sa famille, de ses voisins et de ses amis. Il est complétement mis à l'écart et marginalisé. Helen de son côté prend la situation en mains : elle trouve un travail dans un cabinet un peu minable de conseils en tous genres et elle impose son style avec succès. Le texte de Jonathan Dee prend toute sa dimension ironique dans le portrait des clients d'Helen : elle prône la mise en place des excuses (d'où le titre du roman) de la part des responsables qui commettent des méfaits économiques, sociétaux et politiques. Humour décapant garanti dans ces procès gagnés. Helen rencontre aussi un acteur très célèbre, (peut-être un personnage trop caricatural) pourchassé par la presse people. Il est alcoolique et elle va l'aider à se sortir d'une affaire embarrassante.  Helen porte tous les personnages à bout de bras : son mari déchu, sa fille révoltée, son ex-copain harassé et miracle de la société américaine, cette lutte va la renforcer, lui donner encore plus d'énergie et plus de sérénité. Un beau portrait de femme et un bon roman de qualité à lire cet été...

mardi 17 juin 2014

Ateliers lecture et écriture au Forezan

Nous étions une bonne quinzaine à nous retrouver dans ce joli parc de Cognin autour d'une table dans une quiétude très agréable et sous un soleil discret mais bienveillant. Chacune avait porté une entrée salée et un dessert. Nous avons goûté toutes les spécialités : taboulé inca, salades de pommes de terre aux anchois, salade espagnole, cakes aux olives, foie gras du Sud-Ouest, et pour les desserts, un festival de saveurs avec des tartes aux fruits, des biscuits faits maison, une marmelade cassis-pomme, et mon touron d'Espagne... Un buffet délicieusement champêtre et convivial dans une ambiance estivale. Après ces agapes, nous avons partagé nos derniers coups de cœur de juin et nous avons lu nos textes préférés des ateliers d'écriture. Janelou a présenté l'ouvrage de Svetlana Alexievitch, prix Médicis étranger 2013, choisi aussi comme le meilleur livre de l'année par la revue Lire. L'auteur interroge des milliers d'anonymes de ce pays qui a connu l'enfer sous Staline, et  relate ses rencontres pour tenter de répondre à la question lancinante : pourquoi ce malheur russe ? Un plongée vertigineuse dans l'identité de ce vaste empire qui bouge toujours... Christiane aime beaucoup les romans policiers depuis qu'elle a découvert la série Millénium. Elle a conseillé des auteurs scandinaves comme Judi Adler-Olsen avec ses titres évocateurs, "Miséricorde", "Profanation", "Délivrance". Des polars efficaces et solides. Isabelle a dévoré tous les Coben et a aussi apprécié "N'oublier jamais" de Michel Bussi, cité aussi par Dany avec les "Nymphéas noirs". Geneviève a reparlé du "Le quatrième mur" de Sorj Chalandon, ou l'histoire d'une pièce de théâtre sur Antigone à Beyrouth en 1982, trêve de paix dans un monde en guerre. Elle a cité "Paradis trompeur" de Mankell, "Expo 58" de Jonathan Coe, et un beau roman d'Astrid Rosenfeld  "Le legs d'Adam" paru chez Gallimard. Evelyne a évoqué ses futures lectures : "Exception" de Audur Ava Olafsdottir, une romancière islandaise qui a connu le succès avec "Rosa Candida" et "Le viking qui voulait épouser la fille de soie" de la suédoise Katarina Mazetti. Janine se nourrit de littérature italienne dans la langue originale (quelle chance !) et lit en ce moment "Les chaussures italiennes" de Mankell (L'Italie la poursuit...) . Danièle a choisi "L'île des chasseurs d'oiseaux" de Peter May, un écrivain écossais très intéressant. Nicole a mentionné "En remontant la Marne" de Jean-Paul Kaufmann, une promenade littéraire et historique dans un lieu un peu délaissé. Dany a terminé la séance "coups de cœur" avec "Canada" de Richard Ford, un roman vraiment passionnant sur une famille éclatée après le hold-up des parents dans une banque. J'ai essayé de retranscrire les quelques notes prises rapidement et dans le fil des paroles... et pour vous donner encore et toujours la "furieuse envie de lire" !
 

lundi 16 juin 2014

Atelier d'écriture

Demain, nous allons nous retrouver une bonne quinzaine de lectrices et "d'écrivantes" dans un parc de Cognin. On va parler de lectures, de nos textes écrits dans l'année et ces retrouvailles vont clore une année riche en découvertes et en surprises. Il faut absolument cultiver les "fleurs de l'esprit", et nous sommes de sacrées jardinières, bien modestes évidemment à notre façon mais réunir ainsi une petite communauté (composée de femmes... où sont les hommes dans ce monde de la lecture et de l'écriture ? ) constitue un pari réussi, tellement l'envie de lire et le besoin d'écrire demeurent en nous comme une nécessité nourrissante. On avait un exercice pour ce mardi : relater une scène vécue dans un supermarché après avoir lu l'ouvrage d'Annie Ernaux, "Regarde les lumières, mon amour" et voici mon texte : "Fait divers
Un samedi après-midi, j'avais encore quelques petits achats à faire dans une supérette du quartier. "Quelle corvée, ces courses perpétuelles !" Je choisissais un peu au hasard, en marmonnant "attention aux dates de fraîcheur, zut, ils n'ont plus la marque de mes fromages blancs, c'est un peu cher, et si je changeais d'habitude pour les bouteilles d'eau, ah le chocolat, non, ma ligne à surveiller de près avec l'âge, on prend facilement du poids, je craque pour un sorbet à la mangue et ce rosé de Provence, adieu la charcuterie et vive les pommes à croquer". Mes pensées défilaient dans ma tête à une vitesse juvénile. Il faut se rendre compte de l'immense responsabilité des femmes qui font leurs "emplettes" chaque jour de l'année pour nourrir leur famille, car je vois souvent plus de femmes que d'hommes dans ces espaces alimentaires... Je me dirigeais vers la sortie pour régler. Un jeune homme déposait un carton de bières et des chips sur le plateau noir de la caisse (une soirée de foot à la télé ?), une dame très âgée attendait patiemment et laissait passer les clients (c'était ces seuls moments de contact avec les humains dans sa journée de solitude), un mère épuisée avec une poussette et un bébé déballait ses produits avec lenteur et fatalisme (elle est loin l'image de la maman éblouie par la maternité...). Je commençais à montrer moi aussi mon choix de vie alimentaire quand un jeune homme surgit, se pencha vers la caisse et en cinq secondes, saisit les quelques billets du tiroir et s'enfuit en courant. Nous étions tétanisés et le responsable du magasin comprenant cet incident, aussi rapide qu'un éclair, se mit à le poursuivre, sans succès... C'était un samedi après-midi de juin, un peu trop calme dans une petite supérette de quartier... Il s'en passe des "choses" dans un espace aussi simple et banal... J'espère que ce jeune homme a fait ses courses dans une autre épicerie !"

vendredi 13 juin 2014

"Voyages et autres voyages"

Dès que j'ai aperçu sur la table des nouveautés de la librairie Garin, l'ouvrage, "Voyages et autres voyages" d'Antonio Tabucchi, je l'ai tout de suite saisi dans mes mains pour le feuilleter et je l'ai évidemment acheté. J'ai une admiration sans fin pour cet écrivain italien, né à Pise en 1943 et mort à Lisbonne en 2012. J'ai évoqué son œuvre littéraire dans ce blog et je recommande en particulier le formidable "Pereira prétend" édité chez Bourgois. On connaît sa passion fondatrice pour le génie lisboète, Fernando Pessoa et sa vie littéraire se confond avec sa vie réelle. Cet intellectuel antifasciste, (lire "Au pas de l'oie : chroniques de nos temps obscurs), cet écrivain raffiné, merveilleux, devrait entrer dans la Pléiade (son œuvre est publié chez Gallimard)... De son vivant, je lui aurais décerné le prix Nobel de littérature... Quelle injustice pour lui et pour l'Italie... Il n'avait pas besoin de ces récompenses, au fond, futiles à ses yeux et il incarnait un amour inconditionnel pour la littérature, une littérature exigeante, fondamentale, profonde et fascinante. Je le classe dans les très grands écrivains contemporains à lire sans cesse et sans tarder. Son opus posthume, "Voyages et autres voyages" concerne sa vision de ses déplacements, une vision originale, critique mais aussi amplement émerveillée de la magie des lieux. La carte du monde s'étale devant nos yeux : Paris, Sète, la Provence, Barcelone, la Crète, Lisbonne, la Grèce et l'Inde, et l'Amérique, et même un coin de Mongolie et bien d'autres pays de la planète. Ce livre de sensations littéraires complète à merveille tous les guides pratiques du voyage et certains textes m'ont particulièrement touchée. Il évoque les sculptures de Chillida, la ville de San Sébastian, la culture basque et ses "fascinantes et mystérieuses origines (amulettes magiques, étranges pierres tombales, instruments musicaux)  ; une culture magnifique que le fanatisme assassin de l'ETA risque de rendre odieuse." Quand il conte la magie de Lisbonne et de Pessoa, j'ai revécu ce voyage que j'avais fait dans cette ville si romanesque, une des plus belles capitales européennes. J'ai retenu aussi le concept de "syndrome de Stendhal" où la beauté peut rendre "malade". Je cite ce passage : "Chaque jour, la laideur du monde nous poursuit, elle est chez nous dans l'écran de télévision, et nous nous y sommes habitués. Alors que la beauté, elle, peut rendre malade". Voyager, c'est guetter et percevoir la beauté du monde... Avant de partir, il faut lire ce recueil de textes pour apprendre à mieux voyager à la manière "tabucchienne", si j'ose m'exprimer ainsi...

jeudi 12 juin 2014

"Quatre murs"

En tant qu'ancienne bibliothécaire, la notion d'éditeur pouvait déterminer mes choix dans les acquisitions annuelles. Tous les lecteurs(trices) connaissent l'éblouissant catalogue de Gallimard, ainsi que les excellentes et réputées maisons comme Actes Sud, Grasset, Flammarion, Le Seuil,  Bourgois, Stock, L'Olivier, Plon, pour citer les plus importantes. Et à côté de ces grands, il existe des petits éditeurs (petits par le nombre de publications) tout à fait remarquables par leur originalité et leur audace. Cela fait longtemps que j'ai envie de parler de ces hommes et de ces femmes qui travaillent dans ce milieu du livre et il faut dire que sans leur passion du métier, les lecteurs(trices) ne connaîtraient pas les écrivains. Ces "passeurs" de textes prennent très souvent des risques économiques et n'ont pas toujours les retours attendus. J'aime donc débusquer ces aventuriers de l'édition et j'ai remarqué une femme-éditeur, Sabine Wespieser, qui sort des sentiers battus. J'ai fini de lire cet après-midi un roman de Kéthévane Davrichewy, "Quatre murs",  édité en 2014 dans cette belle maison. Cette éditrice commence à posséder un beau catalogue avec une "écurie" d'auteurs tout à fait estimable. J'ai parlé dans ce blog de Michèle Lesbre et de sa musique  subtile et envoûtante, de Nuala O'Faolain et de son Irlande sauvage, de Léonor de Redondo et de son écriture sensible, de Claire Keegan, etc. Il faut absolument découvrir son catalogue... Revenons à ce roman, "Quatre murs", une histoire de famille d'origine grecque que j'ai lue avec plaisir. Une mère convoque ses quatre enfants, devenus adultes, pour déménager la maison de famille après la mort du patriarche. A tour de rôle, chaque membre de la fratrie va prendre la parole pour se raconter. Les deux aînés protègent les deux cadets qui sont jumeaux. L'écrivaine établit un portrait nuancé des rancœurs accumulées, des regrets de leur enfance, de la nostalgie de leur cocon familial, des accidents de la vie, des amours ratés, des couples formés au détriment de l'entente familiale. Un secret bien gardé se révèlera au fil du récit. Le frère aîné les invite sur une île des Cyclades pour des retrouvailles possibles... Vont-ils à nouveau se retrouver pour tout simplement se parler et s'écouter ? Un bon roman pour cet été...

mardi 10 juin 2014

"Regarde les lumières, mon amour"

Annie Ernaux a choisi cette phrase emblématique qu'une mère adresse à son enfant quand elle pénètre dans l'hypermarché du coin :"Regarde les lumières, mon amour". Ce petit livre, édité dans la collection "Raconter la vie" au Seuil, remplit une mission de décryptage social : à quoi ressemble cet espace pluriel, dédié à la consommation de masse où tous les citoyens se retrouvent souvent et régulièrement. En sociologue avertie et initiée, doublée d'une acuité littéraire absolue, Annie Ernaux nous invite à découvrir un monde si proche, si trivial que l'on finit par ne plus le voir. Cette expérience quotidienne (faire ses courses dans une grande surface) ne faisait pas partie des sujets dits littéraires. Ce livre devient un témoignage vraiment passionnant sur cette pratique partagée par tous et pourtant absente des textes contemporains. En parcourant ces pages, j'ai murmuré plusieurs fois mon assentiment quant aux observations sur l'attente stressante aux caisses, le gigantisme des rayonnages en se demandant si tous ces produits seraient consommés, la déambulation des familles en quête de loisirs, la solitude des personnes âgées, la valse insolente des adolescents, les différences sociales, la pauvreté, la société diversifiée, et surtout le sentiment d'une perte de repères, de sens, de la part des consommateurs nullement révoltés par l'abondance des biens, et soumis à la loi du commerce avec ses vagues de promotions festives (Noël, les soldes, les fêtes religieuses, etc.). Annie Ernaux écrit à la page 11 : "L'hypermarché est pour tout le monde un espace familier dont la pratique est incorporée à l'existence, mais dont on ne mesure pas l'importance sur notre relation aux autres, notre façon de "faire société" avec nos contemporains du XXIème siècle. Or, quand on y songe, il n'y a pas d'espace, public ou privé, où évoluent et se côtoient autant d'individus différents : par l'âge, les revenus, la culture, l'origine géographique et ethnique, le look. (...) Les hommes et les femmes politiques, les journalistes, les experts, tous ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans un hypermarché ne connaissent pas la réalité sociale de la France d'aujourd'hui".  Ce journal intime rappelle ses ouvrages précédents, "Journal du dehors" et "La vie extérieure". J'apprécie beaucoup sa démarche sociale, politique et littéraire d'une réalité aussi commune, un commerce. Et en tant qu'écrivain, elle apporte à ce monde là (souvent déprimant pour moi) un regard tout à fait décapant et original. Dès que je franchirai les portes d'un hypermarché, je vais certainement avoir une pensée pour Annie Ernaux...

lundi 9 juin 2014

"Le jour avant le bonheur"

Je poursuis ma connaissance de l'œuvre d'Erri De Luca en ayant terminé un de ses romans parus en 2010 chez Gallimard. Je possède cette manie, ce "toc", qui consiste à m'imprégner de tous les titres d'un écrivain que je considère "majeur" et Erri De Luca appartient à ma planète littéraire. "Le jour avant le bonheur" raconte l'histoire d'une jeune garçon, orphelin, et narrateur de ce livre. Il vit dans un réduit au sein d'un immeuble à Naples dans l'immédiat après-guerre. Mais, il saisit sa chance en se liant avec un personnage très influent dans le quartier, Don Gaetano, concierge de l'immeuble, et surtout grand initiateur pour le jeune garçon. Le concierge le protège, le nourrit et lui offre  l'éducation que ses parents disparus ne lui ont pas donnée. La relation père-fils, une relation choisie et non-subie, entre cet homme surprenant et le jeune garçon attachant constitue le sujet central du roman. La lecture joue un rôle essentiel dans la découverte de la vie, intérieure et extérieure. Je cite ce beau passage : "Les  livres gardent l'empreinte d'une personne, plus que les vêtements et les chaussures. Les héritiers s'en défont par exorcisme, pour se libérer du fantôme. Le prétexte est qu'on a besoin de place, qu'on étouffe sous les livres. Mais que mettent-ils alors contre les murs où se dessinent leurs contours ?" le jeune garçon se forme et s'éduque grâce à Don Gaetano, conteur d'histoires de la guerre, passeur de mémoire, conseiller d'amour, joueur de cartes (la scopa ?),  médiateur du quartier, visionnaire social, un maître de vie. Le jeune garçon est fasciné par une jeune fille assez mystérieuse qui consent à le rencontrer bien qu'elle soit fiancée. Ce récit n'élude pas la violence entre les hommes, la jalousie, la trahison et même la difficulté de vivre. Le jeune garçon est contraint de s'enfuir après une bagarre homérique et ce départ précipité signe la fin de sa jeunesse à Naples.  Un très beau roman, plein de charme à l'italienne, dans un Naples populaire et enchanté, un récit d'initiation et de formation, un des meilleurs livres de l'écrivain pour sombrer avec plaisir dans son monde de mots...  

vendredi 6 juin 2014

Revue de presse

En ce mois de juin, les revues évoquent les lectures estivales, un temps de lire, enfin, les pavés sentimentaux sans sentiment de culpabilité, les polars faciles et souvent mal écrits (ou traduits à la va vite), les revues pour les mots croisés et jeux divers, les livres de poche pour voyager léger... Le farniente est permis à tous les niveaux.  Je comprends cette mise en parenthèse car le sérieux, le lourd, l'ennuyeux ne riment pas avec le lumineux, le léger et le superficiel... De toutes façons, que ce soit l'été, l'hiver, le printemps ou l'automne, l'important, c'est de lire, lire des romans, des récits, des essais, des BD, des poèmes, des articles, des mots écrits pour nous, lecteurs passionnés ! La revue Lire propose un "spécial Livres de poche", une sélection de 40 titres à moins de dix euros. On découvre un grand entretien avec l'anthropologue Maurice Godelier et les rubriques habituelles sur les nouveautés. Le Magazine Littéraire a choisi dans son dossier central les "Fictions de la psychanalyse" avec des articles sur Freud, sur Perec, Bauchau, Leiris, et se pose la question des écrivains qui se méfient des analystes. Dans cette nouvelle maquette, je ne retrouve plus l'esprit du Magazine qui me semble plus éclectique, plus brouillon, plus "zapping", certainement pour faire "moderne"... La revue offre aussi un spécial poches pour l'été et des articles sur Garcia Marquez, Charles Juliet, etc. Je vais faire un effort pour m'adapter à cette nouvelle mouture du Magazine mais la nostalgie est encore trop forte. Transfuge du mois de mai met à l'honneur Catherine Millet, Dominique Fernandez, Virgile et toutes les rubriques cinéma toujours très intéressantes. Page, la revue des libraires, que l'on ne peut acheter qu'en librairie, met l'accent sur les romans français et étrangers qui sortent en ce moment. A noter dans Page, les amateurs de BD et de livres pour la jeunesse trouveront un vaste choix de conseils de lecture.

jeudi 5 juin 2014

Rubrique cinéma

Mercredi, temps pluvieux sur la ville, et quand le ciel est sombre, j'aime me retrouver dans une salle de cinéma. J'étais seule dans la salle (ça arrive de temps en temps) pour voir un beau film mexicain, "Les drôles de poissons-chats" de la réalisatrice Claudia Sainte-Luce. Ce genre de cinéma n'attire pas les foules mais cela ne m'empêche pas d'y aller, par pure curiosité. Je n'ai pas été déçue : ce film raconte l'histoire d'une amitié féminine entre une mère de famille débordée, veuve, élevant dans le dénuement ses quatre enfants de père différent. Cette femme est atteinte du sida et la maladie va brutalement se déclencher. A l'hôpital où elle fait des séjours réguliers, elle rencontre une jeune fille dans le lit d'à côté. Elle perçoit, dans cette jeune malade, un sentiment de solitude et un isolement social. Personne ne lui rend visite et s'instaure entre elles une complicité évidente. La tribu familiale accepte la présence de la jeune fille comme si c'était normal. Ils ont tous un grain de folie que Claudia accepte et régule. Elle finit par trouver sa place dans cette famille "décomposée" par la maladie de la mère. La jeune fille aime Martha comme une mère qu'elle n'a jamais connue et Martha l'intègre dans son clan comme un enfant supplémentaire. Cette famille de "guingois" repose sur l'amour de la mère qui écrit une lettre testamentaire à ses enfants après sa disparition. Ces mots drôles et quotidiens, un moment émouvant dans le film, les accompagneront toute leur vie. Ce film ne joue pas dans la catégorie "pathos" malgré le thème du sida. Il raconte l'histoire personnelle de la réalisatrice qui, à 22 ans, avait été accueillie par une femme gravement malade. Ce film montre aussi l'énorme courage qu'il faut à tous ces enfants et à leur mère pour affronter la maladie et la mort en essayant, malgré tout, de survivre et de vivre parfois comme dans la dernière virée au bord de l'océan...

mercredi 4 juin 2014

Vide-grenier à Salies de Béarn

Dimanche, je me trouvais dans la charmante petite ville de Salies de Béarn, réputée pour son sel, ses Thermes rénovées et ses maisons béarnaises du Moyen Age. La commune a fait des efforts importants pour présenter cette culture du sel avec la présence d'un musée ethnographique dans une maison patrimoniale. Les rues sont bordées de fleurs, et même sous une légère pluie, il y règne une belle mélancolie des années 20 quand Salies attirait les bourgeoises de Pau et de Bordeaux afin de soigner les maladies dites féminines. Il existe une rue "Paul-Jean Toulet", écrivain béarnais qui avait choisi cette petite ville pour son roman, "La jeune fille verte". J'ai pu faire le tour facilement à pied et quand j'ai aperçu sur les nombreuses façades la pancarte "A vendre", je me disais que le patrimoine culturel et architectural dépérit d'année en année comme si le passé n'intéressait plus personne. Mais comme il n'existe pas d'activités économiques pour retenir les jeunes et que les anciens disparaissent, que vont devenir toutes ces dizaines de villages dans le Béarn trop loin de l'Océan pour attirer les touristes et les retraités étrangers ? Je plaide la cause des territoires oubliés et qui méritent d'être soutenus et reconnus. Se tenait ce dimanche un vide-grenier comme on en trouve partout au printemps pour se débarrasser des nombreux objets obsolètes, inutiles, mis au rebut et dans les étalages, les livres côtoient les assiettes, les verres, les textiles, les sacs à main, etc. Je suis toujours à l'affût d'une découverte livresque et depuis que j'apprends le grec ancien, je recherche des ouvrages scolaires et des textes bilingues. J'ai donc trouvé trois livres de grec ancien : Théocrite, Sophocle et Homère, édités chez Hachette et chez Belin. Plus loin, j'ai aussi eu de la chance de rencontrer une professeur d'arts plastiques qui voulaient "faire de la place" dans sa bibliothèque et pour une somme ridicule, je suis repartie avec les catalogues des musées d'Amsterdam (en français, en plus !) que je n'avais pas pu ramener dans mes bagages, faute de place. La chance était donc de mon côté en ce dimanche de juin... Je crois à la rencontre "livres-lecteurs" et ces ouvrages m'attendaient sur ces tables d'objets hétéroclites... Bon dimanche pour ma passion des livres !    

mardi 3 juin 2014

Atelier d'écriture

Retour de vacances ce lundi 2 juin après dix heures de voiture entre Biarritz et Chambéry. Aujourd'hui, j'ai repris le chemin de l'écriture après avoir emprunté les espaces basques et béarnais... J'ai donc retrouvé mes comparses "écrivaines" ou "écrivantes" dans l'atelier de Mylène, le dernier de l'année : je n'allais surtout pas rater cette dernière séance avant les vacances d'été. Notre dynamique chef d'atelier, (un atelier loin du bruit et de la fureur industrielle !), nous a proposé un exercice concernant "l'état de chose". Elle nous a lu un texte de Lucas Fournier dans le recueil "Des papous dans la tête", émission de France Culture. Ce texte drôle et loufoque évoquait l'existence d'une pièce d'un centime d'euro qui se plaignait d'être méprisée, oubliée, etc. Mylène nous a demandé d'établir une liste d'objets que l'on emporte en vacances dans sa valise et que l'on n'utilise pas. J'ai choisi mon petit agenda et voici mon texte :
"Mon petit agenda rouge,
Je me nomme Quo Vadis, Quo est mon vrai prénom et Vadis, mon nom de famille. Ma propriétaire m'adore. Elle note tous les jours les plus petits faits insignifiants comme les événements importants. Elle manque souvent d'imagination et certains mots deviennent des rengaines lassantes : balade, lecture, rendez-vous, atelier, Bm (un sigle bizarre). Je me souviens aussi de quelques expressions quand ma propriétaire était en activité : formation, réunion, étudiants, information, communication, Bu (encore un sigle bizarre). Quel ennui et quel sérieux ! Je préfère les annotations d'aujourd'hui entre les balades et les lectures, (ma propriétaire est à la retraite), elle me laisse respirer davantage et j'ai des plages de temps libre... Car les mots écrits sont parfois lourds à porter. Imaginez-vous ces traces quotidiennes à digérer, à assimiler et à retenir. Parfois, j'ai envie de lui rappeler sa promesse : alléger mon emploi de temps, vaquer à mes rêveries. Quelquefois, quand je me sens seul, elle me prend dans ses mains et me contemple : va-t-elle m'abandonner pour se libérer de ce petit tyran que je représente ? Non, elle m'ouvre à la page du jour et me nourrit de quelques mots brefs comme dentiste à 14h, jardinier à 16H, cinéma à 18H : elle est fidèle ma propriétaire mais je sens qu'elle a envie de se passer de moi. Pourtant, je suis sa bouée de sauvetage quand sa mémoire flanche, je suis son puits de mémoire, son confident intime, son guide suprême... Sans moi, elle va se perdre, s'égarer, panique à bord ! Nous les Quo, les Vadis, nous représentons un peuple de papier à des millions d'exemplaires... Si on se révolte un jour, que vont devenir nos propriétaires ? Des robots sans âme et sans mémoire. Moi, agenda, je revendique mon inscription sur la liste du patrimoine de l'Unesco... Et ma propriétaire a signé la première !"