jeudi 9 avril 2020

Comptabilité morbide

Tous les soirs, le directeur de la santé, Jérôme Salomon, édicte d'une voix égale et grave, le nombre de morts dans le monde et surtout en Europe. Mardi 7 avril, le cap des 10 000 morts du Covid-19 vient d'être franchi. Ces chiffres glaçants et navrants scandent nos débuts de soirée. J'ai toujours préféré les lettres aux chiffres, ce qui me conforte dans mon choix quand j'écoute ces comptes quotidiens de victimes. Je pense aux malades hospitalisés, (plus de 7 000 personnes en réanimation), des milliers aussi qui luttent pour survivre. Tous les soirs à 20h, je prends une casserole et une cuillère en bois pour taper dessus. Je ne suis accompagnée que par une seule voisine. Ce rituel de solidarité envers les soignants fait du bien à l'ensemble des citoyens, soucieux de la santé des médecins, infirmières, aides-soignants et tant d'autres employés des hôpitaux. Dans chaque famille, qui ne connait pas un soignant ? Ils font partie de notre vie quotidienne et personne ne peut éviter un jour ou l'autre une maladie bégnine ou grave. Sans ce cérémonial des chiffres qui figent l'épidémie dans un présent funèbre, le confinement serait peu respecté dans la population. Le message subconscient de Jérôme Salomon, véritable Commandeur, nous déclare : "restez chez vous" sinon, ces statistiques, que j'assène tous les soirs, vous concerneront. Derrière ce comptage, des hommes et des femmes. J'ai remarqué que, sur dix mille malades, il y a plus d'hommes que de femmes (61 % et 39 %), un âge certain (plus de soixante dix ans), un surpoids manifeste, du diabète, de l'hypertension. Les médecins appellent cela la "comorbidité". Si on appartient à cette classe d'âge, il vaut mieux rester chez soi. Si on est jeune, on reste chez soi pour épargner les plus âgés. Si en plus de l'âge, on souffre d'une pathologie qui correspond aux critères de comorbidité, il vaut vivre dans un bunker et ne côtoyer personne… Pour comprendre ce virus, j'ai lu les articles très intéressants de la revue Philosophie Magazine,  Hartmut Rosa, le philosophe de la résonance, écrit : "Etre en résonance, c'est, selon moi, avoir une relation réciproque avec le monde et les autres. (…) Or, il me semble qu'une épidémie comme celle-ci, attaque nos axes de résonance. (…) L'air recouvre la terre et il est indispensable au maintien du monde humain, mais voilà qu'il risque d'être empoisonné. (…) La crainte de la contamination menace directement "notre sécurité ontologique". L'insouciance a disparu de nos vies, la désinvolture aussi et l'humour a beaucoup de mal à faire son chemin dans notre esprit. Comment vivre ces moments de crise gravissime ? De la lecture, de l'écriture, de la musique, de la marche, des liens familiaux et amicaux, et un état d'esprit vigilant et combatif…