mardi 24 avril 2018

Atelier de lectures, 1

Ce mardi après-midi, nous étions presque au complet (14 lectrices) à l'AQCV lors de la rencontre autour des livres et de la littérature. Nous avons démarré par les coups de cœur avec Régine qui nous a parlé du roman, "Une bouffée d'air pur" de Amulya Malladi, publié en 2017 chez Mercure de France. L'histoire se déroule à Bhopal en 1984 quand l'usine de gaz explose, faisant des milliers de mort. La jeune Anjali attend son mari à la gare mais il ne vient pas la chercher. Elle subit l'accident qui lui laisse de lourdes séquelles. Elle demande le divorce, ce qui est très mal vu dans la société indienne. La jeune femme se remarie et donnera naissance à un enfant handicapé. Quand elle revoit son ex-mari, faut-il lui pardonner ou le haïr ? Ce roman sensible et fort a vraiment convaincu Régine. Janelou a présenté "Un artiste du monde flottant" de Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature en 2017. Un peintre traditionnel songe à sa jeunesse bohème et se souvient de son "monde flottant" avant l'entrée dans la modernité de l'après-guerre au Japon. Cette évocation d'un passé révolu et les réflexions sur le sens de l'art donnent une tonalité nostalgique au roman. Janelou a précisé qu'il vaut mieux ce texte avant de d'aller visiter le Japon... Evelyne a beaucoup aimé le dernier récit de Marceline Loridan-Ivens (j'ai écrit un billet sur ce livre hier). Pascale a recommandé la lecture du roman formidable de Philip Roth, "Le complot contre l'Amérique", où elle voit une actualité brûlante avec les Etats-Unis de Trump. Le célèbre aviateur Charles Lindberg bat Roosevelt aux élections présidentielles. Les Juifs du pays paniquent, ce président s'empresse de signer un pacte de non-agression avec Hitler. Ce roman politique traite de l'antisémitisme, un sujet qui remue malheureusement, encore et toujours nos sociétés occidentales. Sylvie a adoré (c'est le verbe qu'elle a employé) le dernier livre noir de Pierre Lemaître, "Trois jours et une vie". Rémy, un petit garçon, disparaît du jour au lendemain, sans laisser de traces. On apprend vite qu'un adolescent de 13 ans l'a tué par accident. Ce geste atroce le poursuivra toute sa vie... Véronique a lu avec plaisir "Poupée volée" d'Elena Ferrante. Janine a évoqué aussi Elena Ferrante avec le quatrième tome de la série "L'amie prodigieuse". Mais, elle a été un peu déçue par ce dernier tome qu'elle a trouvé "répétitif". Agnès nous a fait découvrir un classique contemporain, "Le sourire étrusque" de José Luis Sampedro, un écrivain espagnol. Ce livre a touché des centaines de milliers de lecteurs dans le monde par son humanité, par sa générosité. Un grand-père d'origine paysanne découvre son petit-fils lors d'un séjour à Milan pour se soigner et malgré l'approche de sa mort, il savoure ces moments de plénitude avec son fils et son petit-fils. La suite des coups de cœur et des livres sur les tourments de l'adolescence en début mai car j'entreprends ma deuxième escapade de l'année en Sicile dès demain. 

lundi 23 avril 2018

"L'amour après"

Marceline Loridan-Ivens avait écrit un récit très émouvant, "Et, tu n'es pas revenu" où elle racontait la mort de son père dans un camp de concentration. Avec la complicité de Judith Perrignon, journaliste et romancière, cette femme vraiment originale qui a été scénariste, actrice, réalisatrice offre un témoignage émouvant, "L'amour après" sur sa vie amoureuse. Certains de ses compagnons sont célèbres comme Georges Perec, Edgar Morin. Elle a gardé une valise chez elle contenant des lettres de tous ses amoureux et de toutes ses amies. Elle les redécouvre et retrace grâce à cette correspondance, sa vie intime, dense, chaotique et fuyante. Cette survivante de la Shoah se sentait "inatteignable", "imprenable". A quinze ans, elle est déportée à Birkenau dans le même convoi que Simone Weil. Un an plus tard, elle est libérée par les Russes et raconte dans son récit autobiographique le retour à une vie normale. Le premier homme qui l'a vue nue est un nazi. Marceline Loridan-Ivens parle de son corps souillé dans le camp et dégradé par le regard des bourreaux. Quand elle retrouve la liberté en 1945, elle recherche l'amour en multipliant ses conquêtes masculines qui la laissent insatisfaite. Elle raconte avec parfois des mots crus ses relations tumultueuses avec ses compagnons d'infortune comme son premier mari avec lequel elle ne vivra pas (il part travailler à l'étranger sans le suivre). Son corps ne ressentait rien et elle écrit : "Je fuyais mon propre corps, sa mise à nu, à jamais associé pour moi à l'ordre d'un nazi, à son regard humiliant tandis qu'on nous rasait la tête et le sexe, à son verdict : la mort ou le sursis". En 1960, elle rencontrera enfin son grand amour, Joris Ivens, cinéaste hollandais, de vingt ans son aîné. Elle participera à ses films au Vietnam, en Chine et partagera sa vie jusqu'à son décès en 1989. Ce livre audacieux et d'une sincérité décapante se lit avec beaucoup d'intérêt et on se dit que Marceline Loridan-Ivens possède une énergie extraordinaire à 98 ans (quand même !) malgré sa cécité récente. Vivre, c'est résister au malheur et surtout, choisir la liberté. Ce récit autobiographique : une leçon de vie !

samedi 21 avril 2018

"Sentinelle de la pluie"

Je n'avais jamais lu Tatiana de Rosnay et j'ai eu la curiosité d'emprunter son dernier ouvrage, "Sentinelle de la nuit", publié chez Héloïse d'Ormesson. Je l'ai lu jusqu'au bout malgré une déception grandissante. Ce roman m'a semblé brouillon, écrit avec un style plat et banal, traitant deux sujets concordants : une crue historique de la Seine à Paris et une crise familiale. La famille Malegarde se retrouve donc à Paris pour fêter les soixante dix ans du patriarche. Le père arboriste est renommé sur le plan international car sa passion des arbres l'a conduit à s'engager pour les défendre. Lauren, la mère américaine prépare cet anniversaire depuis deux ans. Des pluies diluviennes s'abattent sur la ville et contrarient leurs retrouvailles. Dans l'hôtel, leur fils, Linden, et leur fille, Tilia, sont venus de la Californie et de Londres pour fêter l'anniversaire de leur père. Un premier incident éclate : Paul souffre subitement d'un AVC. Deuxième incident : Linden, homosexuel, n'a jamais avoué à son père sa relation amoureuse avec un jeune américain et il souffre de cette incommunicabilité. Tilia, artiste ratée, a survécu à un accident de la route où elle a perdu ses cinq meilleures amies. Et la pluie tombe, tombe sur Paris. Linden, lui aussi, est très connu car c'est un photographe international dont les photos de stars font le tour du monde. Dans ce milieu privilégié où on vit à Londres ou à New York comme si c'était la banlieue parisienne, le lecteur commence à constater que les personnages sonnent faux... Tatania de Rosnay a aussi inventé une amie de Linden qui aurait perdu son amoureux dans le drame horrible du Bataclan. Plus loin, la tante de Linden se suicide par désespoir car son amant marié la néglige. Trop, c'est trop. Pourtant, le portrait de Linden en homosexuel non assumé peut attirer l'adhésion du lecteur(trice). Toutes ces crises existentielles frisent le ridicule. Ce roman défend pourtant le libre choix de sa sexualité. Peut-être s'adresse-t-il aux millions de Français qui ont manifesté contre le mariage pour tous ? Quand j'ai lu (et sauté) les passages sur Paris inondé, pillé, sans électricité, je m'ennuyais ferme. Je prends rarement la plume pour dénigrer un roman. Je préfère de loin évoquer les bons livres, les meilleurs films, les séries à voir, et je ne perds pas mon temps à évoquer des ratages littéraires. A la fin du livre, Linden, se rend compte que son père l'aime alors qu'il le perd (il meurt de son AVC).  Ce roman grand public, trop grand public, utilise facilement les ficelles du romanesque et des faits divers. Peut-on parler de littérature ? Je ne crois pas... 

vendredi 20 avril 2018

Les bibliothèques de l'avenir

Dans un article du journal "Le Monde", le gouvernement prépare un plan sur les bibliothèques. Françoise Nyssen a confié la rédaction d'un rapport à l'écrivain académicien, Erik Orsenna. Lors de la remise de ce rapport, la Ministre de la Culture et de l'Information a déclaré : "Les bibliothèques doivent ouvrir plus et devenir des maisons de services publics culturels". Le projet repose sur le volontariat et plus de cent cinquante bibliothèques sur 7700 (!!!) ont déposé un dossier au ministère. La Ministre ajoute qu'elle ne contraindra aucune institution et prône l'adaptation des horaires : des ouvertures entre 12h et 14h, ouverture le samedi après-midi, en soirée et le dimanche pour les grandes villes. Elle conseille une ouverture moyenne de cinquante heures par semaine dans les villes de cent mille habitants. Evidemment, les professionnels des bibliothèques s'inquiètent des conditions d'agrandissement des horaires car ils craignent l'embauche d'étudiants qui déboucherait sur une "déprofessionnalisation" des métiers du livre, une précarisation des contractuels. A Chambery, l'ouverture de la médiathèque semble convenir aux usagers : 38 heures par semaine. Il faut pourtant noter que les horaires diffèrent selon les jours : un peu absurde quand même. Les responsables devraient proposer du 10H-19H du mardi au samedi. Parfois, la médiathèque ouvre à midi ou à 10h et parfois ferme à 18H ou 19H. Il faut bien s'en souvenir... La bibliothèque de La Motte-Servolex a encore plus compliqué le planning des horaires : ouvert le mardi matin, fermé le samedi après-midi, ouvert le jeudi à 13H, le vendredi à 15H : la flexibilité règne et les abonné(e)s doivent regarder leur marque-page pour emprunter des livres. Parfois, on aurait envie d'en savoir plus sur ces décisions : les horaires conviennent-ils davantage au personnel en place plutôt qu'aux lecteurs(trices) ? Un jour, j'oserai leur poser la question. Le projet aborde la question de l'identité culturelle de nos bibliothèques-médiathèques. La ministre évoque le partenariat avec les écoles, l'apprentissage du français pour les "primo-arrivants", une éducation à l'information pour lutter contre les "fake news" (pourquoi ce terme en anglais ?). Ces nouvelles missions nécessiteront des moyens supplémentaires que les mairies auront beaucoup de mal à satisfaire... J'apprécie quand même l'initiative de Françoise Nyssen (qui est pourtant très critiquée) car elle a mis les bibliothèques à l'honneur en considérant que leur rôle social, culturel, émancipateur reste la base des valeurs républicaines.

jeudi 19 avril 2018

"Intelligence du rêve"

Anne Dufourmantelle, psychanalyste et écrivaine, a écrit "Intelligence du rêve" en 2012, édité chez Payot. Elle a choisi une citation d'André Breton pour résumer son ouvrage : "L'homme, ce rêveur définitif", extrait du "Manifeste du surréalisme". Selon elle, les "fantasmes, les apparitions, les inspirations" (sous-titre de l'essai), constituent une vraie boîte à outils pour comprendre le monde et surtout se comprendre soi-même. Elle écrit dès la première page : "Le rêve est pure intelligence. La condition humaine nous invite à l'hospitalité envers ce nouveau rapport au monde qui vient dans le sommeil à notre rencontre. Notre tâche serait de reconnaître qu'il n'est pas seulement le chiffre secret de notre désir mais, qu'en intelligence avec le réel, il instruit notre être dans la nuit de notre sensibilité". Le rêve, "cette énigme onirique du monde", a été utilisé depuis les temps les plus anciens pour prophétiser l'avenir, interprété comme un message divin. En psychanalyste confirmée, l'essayiste revient sur Freud, référence incontournable, qui, le premier, a révélé l'importance capitale du rêve dans la vie psychique, "la voie royale de l'inconscient". Des temps anciens à la mythologie, du Talmud à la littérature et à la philosophie, Anne Dufourmantelle étourdit parfois le(la) lecteur(trice) mais, elle aide le lecteur(trice) en lui offrant le fil d'Ariane dans ce labyrinthe des rêves qu'il faut décrypter. Mais, cet effort de lecture est très vite récompensé par son style subtil, poétique et aérien qui donne à l'ouvrage une grande facilité d'accès. Le livre est composé de chapitres courts qui rythment la lecture et il vaut mieux se munir d'un crayon pour souligner les passages les plus éclairants. Je citerai ce passage : "Le rêve est là où le monde reprend corps et lumière, dans cet espace qui ne se résorbe pas, qui est la promesse même. (...) Il faudra apprendre, après, que toutes les promesses ne seront pas exhaussées. Apprendre à savoir comment ne pas se résigner, apprendre à forcer hors de l'enfance un passage où être déçu ne serait pas si grave. (...) Le génie créateur est peut-être une réponse à cette déception, rejoindre le réel par la voix haute, c'est à dire en transmuter l'accès par l'invention d'une langue". Tout lecteur(trice) curieux(se) de psychanalyse, de littérature et de philosophie, peut retrouver grâce à son œuvre la voix lumineuse d'Anne Dufourmantelle, disparue tragiquement l'été dernier sur une plage de Ramatuelle.

samedi 14 avril 2018

"Frankie Addams"

J'ai toujours une petite appréhension quand je relis un roman après quelques années. Je devais avoir la trentaine quand j'ai découvert Carson McCullers (1917-1967), un des plus grands écrivains américains du XXe siècle. J'avais vraiment beaucoup aimé "Le cœur est un chasseur solitaire" et "Reflets dans un œil d'or" dans les années 70. J'ai tout dévoré à l'époque et j'ai gardé une grande tendresse pour l'univers de cette femme écrivain d'une ambiguïté poignante. La presse littéraire a remis à l'honneur Carson McCullers en 2017, évoquant le cinquantenaire de sa disparition. Ecrivain de la solitude, de l'incommunicabilité, les personnages se heurtent à l'absurdité de leur destin. J'ai donc proposé dans le cadre de l'atelier Lectures qui se tiendra le 24 avril, le thème des tourments de l'adolescence et j'ai pensé immédiatement au roman de Carson McCullers, "Frankie Addams", republié chez Stock dans l'excellente collection, "La Cosmopolite". J'ai donc relu ce roman sur l'adolescence et j'avoue qu'il n'a pas pris une ride alors qu'elle l'a composé en 1949. Frankie Addams est une jeune fille de douze ans, habitant un Sud américain suffocant de chaleur. Frankie se sent mal dans sa peau. Elle a grandi trop vite et ne supporte pas ses longues jambes, sa gaucherie corporelle. Elle vit avec son père, horloger dans une petite ville insignifiante où il ne se passe rien. L'adolescente n'a jamais connu sa mère, morte à sa naissance. Une nounou noire s'occupe d'elle et elle traîne dans le quartier en compagnie de son petit cousin, âgé de six ans. Elle apprend que son frère va se marier. Elle fomente alors dans sa tête un projet fou, insensé : partir avec son frère et sa belle-sœur, quitter la petite ville et voyager avec eux. Elle s'invente une nouvelle vie, une belle et bonne vie loin de l'ennui gluant qu'elle ressent en permanence. Je cite un des passages les plus intenses du roman quand Frankie demande à la nounou d'où lui vient ce sentiment d'enfermement (son corps, sa ville, sa famille) : "Tous on est comme des prisonniers. On vient au monde dans un endroit ou dans un autre et on ne sait pas pourquoi. (...) Mais peut-être qu'on voudrait s'évader et être libre. Mais on a beau faire, toujours on reste prisonnier. Chacun de nous il est comme prisonnier de lui même". Le personnage de Bérénice, l'employée de maison, précise qu'elle est doublement prisonnière avec sa peau noire. Carson McCullers avait dans les années 50 un rejet total du racisme et de la ségrégation aux Etats-Unis. Frankie finira par délirer auprès des habitants en leur confiant sa fuite avec son frère. Elle aura une étrange relation avec un soldat qui essaiera de l'abuser mais elle se défendra en l'assommant. Cette adolescente révoltée, en manque d'amour, rêvant d'un avenir meilleur, ressemble à toutes les filles et tous les garçons qui ont traversé cet âge avec difficulté. Elle va fuguer à la fin du roman et son père comprendra que leur vie doit changer... Un roman fort, un classique du genre et Frankie Addams, notre petite sœur...  

vendredi 13 avril 2018

"Carnets II, Janvier 1942 - Mars 1951"

Albert Camus a trente ans quand il écrit "Carnets II". Le ton change dans ce deuxième tome : l'écrivain semble plus apaisé et plus mûr. Dans cette période de sa vie, il compose ses plus grands chefs d'œuvre : "La Peste", "Les Justes" et "L'homme révolté". Il se plaint parfois des critiques injustes qu'il subit lors des publications de ses livres : "Trois ans pour faire un livre, cinq lignes pour le ridiculiser". L'écrivain évoque souvent ses lectures : Kafka, Kierkegaard, Nietzsche, Dostoïevski, Stendhal, etc. La lecture pour Camus ressemble à un acte fondateur et il révèle dans ses notes intimes l'importance cruciale de cet acte quotidien et indispensable. Il glisse parfois des confidences émouvantes sur ses poumons malades qu'il vit avec stoïcisme. Il écrit : "Vivre avec ses passions, c'est aussi vivre avec ses souffrances. (...) Lorsque un homme a appris à rester seul dans l'intimité de sa souffrance, à surmonter son désir de fuir, l'illusion que d'autres peuvent partager, il lui reste peu de choses à apprendre". Il parle de son enfance et surtout de la pauvreté quand il vivait à Alger avec sa mère veuve. "Enfance pauvre. Différence essentielle quand j'allais chez mon oncle : chez nous, les objets n'avaient pas de nom, on disait : les assiettes creuses, le pot qui est sur la cheminée, etc. Chez lui, le grès flambé des Vosges, le service de Quimper, etc. Je m'éveillais au choix". Albert Camus décrit aussi des paysages, des villes qu'il traverse (dont Saint-Etienne qu'il trouve horrible), des voyages. Le jeune écrivain met l'art (la littérature) au centre de son existence : "L'art est le seul produit ordonné qu'ait engendré notre race désordonnée. C'est le cri de mille sentinelles, l'écho de mille labyrinthes, c'est le phare qu'on ne peut voiler, c'est le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité".  J'ai remarqué une confidence poignante d'Albert Camus sur sa mère : "J'aimais ma mère avec désespoir. Je l'ai toujours aimée avec désespoir". Il ajoute plus loin ; "Devant ma mère, je sens que je suis d'une race noble, celle qui n'envie rien". Je terminerai mon billet avec cette belle phrase d'Albert Camus : "Oui, j'ai une patrie, c'est la langue française"... Lire les "Carnets" offre une approche plus intime de cet écrivain si universel et si singulier en même temps...  

jeudi 12 avril 2018

"Eugenia"

Quand Lionel Duroy publie un nouveau roman, je m'empresse de le lire. Et j'ai été très étonnée de constater que son registre romanesque s'était orienté vers la grande Histoire. Il nous avait habitués à des sagas familiales ("Le Chagrin) ou à des récits autofictionnels ("Echapper") et son "Eugenia", édité chez Julliard, aborde un sujet toujours d'actualité : l'antisémitisme. Dans ce roman historique, Lionel Duroy évoque la Roumanie dans les années 30. Eugenia, le personnage principal, est une étudiante brillante à Bucarest. Elle rencontre un écrivain d'origine juive, Mihail Sebastian, (qui a vraiment existé), venu faire une conférence à l'université. Elle est subjuguée par lui . Il est agressé par des jeunes appartenant à la garde de fer, un mouvement antisémite et fasciste, proche des nazis. La jeune femme assiste à la montée de l'antisémitisme car son propre frère déteste les Juifs et veut les chasser du pays. Il est même haut placé dans ce mouvement d'extrême droite. Eugenia prend conscience de cet état de fait en voyant son frère se comporter violemment contre l'écrivain. Dans le pays, des écrivains célèbres comme Mircea Eliade et Cioran, exaltent le nationalisme roumain et se compromettent avec l'idéologie nazie. La jeune femme, très amoureuse de l'écrivain, noue une relation avec lui alors que lui même ne pense qu'à sa compagne, comédienne connue et maîtresse volage. Eugenia lui voue une admiration sans fin et le protège du danger mortel d'être juif. Car la majorité des Roumains souhaite se "débarrasser" de leur population juive. Entre le communisme russe et le nazisme, le peuple romain et les élites politiques choisissent le pire système. Hitler va les aider dans ce projet mortifère. La jeune femme essaie de comprendre cette haine des Juifs et rompt avec sa propre famille. Elle assiste plus tard à un pogrom à Jassy dans son village natal. Cet événement horrible, nié par la population, engage Eugenia à franchir le pas : elle rejoint la Résistance. Dans un article du Monde des Livres, le critique écrit : "Qu'est-ce qui fait que dans une même fratrie, l'un adhérera à la Garde de fer, l'autre finira dans la résistance au fascisme ? Comment échappe-t-on aux voies tracées par d'autres ? Comment parvient-on à se tenir droit face au fracas du temps, avec son bagage intellectuel et familial ? Mihail Sebastian survivra dans ce chaos jusqu'à la fin de la guerre mais en 1945, il meurt dans un accident, écrasé par un camion soviétique. Eugenia, journaliste témoin de son temps, symbolise la droiture, la bonté et la lucidité. Lionel Duroy a écrit un roman ambitieux, souvent difficile à supporter, mais il ne faut jamais oublier le pire dans l'Histoire humaine pour éviter son retour...

mardi 10 avril 2018

Rubrique cinéma

Le réalisateur Ritesh Batra, a eu la très bonne idée d'adapter un roman de Julian Barnes, "A l'heure des souvenirs". Tony Webster, un sexagénaire londonien, divorcé et père d'une fille de 36 ans, reçoit un courrier d'une ancienne connaissance de sa jeunesse. Cette lettre bouscule ses habitudes de petit commerçant d'appareils de photographie. Sa fille est enceinte sans présence d'un compagnon et elle a besoin de ses parents pour l'accouchement. Le père un peu débordé par sa fille remplit sa mission d'aide avec humour et résignation. La nouvelle d'un testament le taraude et les images du passé commencent à envahir son monde intérieur. Il se revoit à vingt ans amoureux d'une certaine Veronica, et sa mère, décédée récemment, lui aurait confié le journal intime de son meilleur ami, Adrian. Ce jeune homme, étudiant brillant, s'est suicidé et ce geste a toujours semblé énigmatique à Tony qui a oublié ce passé troublé depuis plus de quarante ans. Mais, au fil des images, la mémoire lui revient et il va devoir confronter sa jeunesse à l'aune de son âge mûr. Ce sexagénaire semble perdre pied devant ces souvenirs indésirables. Il est tout de même curieux de revoir son premier amour Veronica. Qu'est-elle devenue ? Il a perdu sa trace après le drame du suicide de son ami. Les images du passé reviennent sans cesse dans le présent du personnage principal. Veronica l'a initié à la photo, l'a reçu chez ses parents et leur idylle semblait heureuse. Or, un soir, il reçoit une lettre d'Adrian lui demandant de comprendre que Veronica et lui sortent ensemble. Tony réagit bien et s'apprête à leur envoyer une carte de bonne chance. Mais sa jalousie prend le dessus et il leur écrit une lettre incendiaire de haine et de dépit. Ce geste méchant et mesquin rattrape le sexagénaire qui comprend en retrouvant Veronica qu'il a agi de façon stupide. Je ne dévoilerai pas la fin de l'intrigue mais, ce film évoque avec délicatesse,  les occasions manquées, les amours déçus, les trahisons blessantes, une jeunesse incertaine. Tony se rend compte de son égoïsme fondamental quand sa femme lui rappelle son manque d'empathie et d'attention. Les erreurs du passé reviennent sans crier gare dans son présent d'homme enfin apaisé. Veronica joue un rôle très émouvant d'une femme meurtrie mais vivante malgré le drame de sa jeunesse. Tony Webster va ouvrir les yeux sur sa famille et enfin devenir un homme attentif et aimant. L'acteur, Jim Broadbent, joue sobrement, simplement. Il n'est jamais trop tard, semble nous dire le réalisateur de ce film délicieux, délicat et sensible pour comprendre et affronter les fantômes du passé qui ne disparaissent jamais de la mémoire...

lundi 9 avril 2018

Venise, 6

Dernier billet sur Venise : il faut bien que je quitte ce lieu tellement atypique : hors du temps et hors du monde. Certains voyageurs prennent des destinations invraisemblables pour se retrouver dans des mondes exotiques, idylliques, étranges. Ils font des milliers de kilomètres en avion (et souvent ce sont des écolos très branchés...) pour fuir notre monde occidental trop commun à leurs yeux. Mais, le regard peut tout changer même à des distances raisonnables. Venise offre cette possibilité d'un "exotisme" temporel. Evidemment, il manque à la cité lacustre pour les amateurs de sensations extrêmes, un volcan en éruption, des requins dans la lagune, des palmeraies et des hôtels de luxe avec des piscines débordantes... Cela fait longtemps que je préfère des lieux "habités" par des humains, "patinés" par le temps, "racontés" par l'art, sauvegardés pour l'éternité. Venise réunit toutes ces qualités même si les traces du passé peuvent parfois étouffer le visiteur, tellement on peut ressentir une saturation de références en arpentant les rues et les places. J'ai visité la Sérénissime comme je lis un livre d'images : chaque signe rencontré contenait un message et il fallait traduire à tous moments le langage vénitien à travers ses canaux grands et petits, ses palais rénovés ou en ruines, ses musées publics et privés, ses églises ouvertes ou fermées, ses places si mélancoliques. La ville a cumulé des milliers de fantômes et j'ai croisé peut-être Vivaldi, Byron, Thomas Mann, Proust et tant d'autres qui ont écrit leur éblouissement en découvrant la lagune. Quand j'ai pris l'avion à Lyon pour me rendre à Venise, une certaine "joie" secrète se lisait sur les visages des voyageurs comme un esprit de fête partagé. J'ai même vu une jeune fille toute seule qui tenait dans la main un roman de Julien Gracq, "Le Château d'Argol", un présage pour moi car si les jeunes continuent de lire Gracq, la civilisation littéraire n'a pas encore disparu... Et j'imaginais cette jeune fille en séjour linguistique dans une famille de Vénitiens. Encore un présage que mon escapade se passerait bien à Venise. J'avais aussi retenu une belle adresse que je ne voulais pas manquer : la visite d'une des plus belles librairies du monde selon la revue Lire qui en avait retenu une dizaine. Je me suis rendue dans ce lieu mythique, "Acqua Alta", une librairie de livres anciens et d'occasion dans le quartier San Marco. Une gondole remplie de livres accueille les visiteurs, les murs sont couverts d'ouvrages les plus divers et cette caverne de papier constitue un des endroits les plus surréalistes de la ville. J'aurais bien postulé comme employée dans cette librairie... J'ai quitté Venise mais, Venise n'est pas au bout du monde : j'y retournerai sans aucun doute. 

vendredi 6 avril 2018

Venise, 5

J'ai profité de mon séjour à Venise en quittant la ville à mi-parcours pour me rendre à Padoue, situé à trente minutes de train. Je voulais connaître cette cité pour sa réputation universitaire (Galilée a enseigné à Padoue) et pour sa chapelle Scrovegni, décorée par Giotto. J'avais réservé les places de train sur internet et surtout pris les billets pour la chapelle car seulement trente personnes peuvent entrer dans ce lieu pendant vingt minutes... Je suis arrivée en début de matinée et évidemment, après avoir quitté Venise, le "choc" de la terre ferme et le retour à la vie automobile m'ont surpris tellement je m'étais habituée à l'effet tangage de mes déplacements. J'imaginais Padoue comme une ville moyenâgeuse centrée sur elle, à l'image de Lucques, mais en fait, la cité abrite plus de deux cent mille habitants, s'étale en longueur et ne présente pas une harmonie architecturale comme la Sérénissime... Padoue mérite le détour pour un trésor considérable avec la chapelle Scrovegni. Cet édifice religieux en brique rouge ne laisse rien deviner de la splendeur qu'elle recèle. Bâtie en 1300 par un mécène qui voulait élever une chapelle à côté de son château. Il fit appel à Giotto (1266-1337) qui réalisa un cycle de fresques à la gloire de la Rédemption. Il faut se préparer à la vision de ses fresques et grâce à un film documentaire, présenté (en italien), le génie du peintre s'étalait devant mes yeux : forte expressivité des visages,  perspectives nouvelles, magie des couleurs, organisation des scènes, plafond d'un bleu profond habillé d'étoiles... Une des œuvres fondamentales de la peinture occidentale. J'ai ensuite visité le musée civil Eremitani, installé dans l'ancien couvent des ermites de Saint Augustin. J'ai vu avec plaisir la partie archéologique avec des vases étrusques et la pinacothèque. J'ai repris le chemin du centre ville pour parachever ma visite de Padoue et j'avoue que je ne m'attendais pas à voir l'une des plus grands édifices de l'époque moyenâgeuse, je parle du Palais de la Raison. Construit en 1219, ce palais monumental devait abriter un tribunal. Il est décoré d'un impressionnant cycle de fresques (200m linéaire), inspiré par un astrologue padouan, représentant les signes du Zodiaque et les activités humaines. Un grand cheval de bois d'une dimension incroyable décore une partie de cette salle immense. Un témoignage patrimonial très surprenant. Après cette surprise architecturale, j'ai vu la cathédrale (le Duomo) et le Baptistère. La ville est aussi un lieu de pélerinage avec Saint Antoine mais, je n'ai pas eu le temps de m'y rendre... Quand je suis revenue à la gare de Venise et que j'ai repris le vaporetto, j'avais l'impression de revenir chez moi...

jeudi 5 avril 2018

Venise, 4

A Venise, il faut évidemment fréquenter les grandes institutions culturelles les plus renommées. J'ai relaté dans mes précédents billets les musées et les églises les plus emblématiques. Parfois, d'autres espaces possèdent des trésors qu'il faut dénicher et j'ai trouvé mon bonheur dans quatre "petits" musées : la Ca'Pesaro, la Ca'Rezzonico, la Ca'Doro et le palais Fortuny. J'ai traversé le Canal Grande trois à cinq fois par jour avec le vaporetto et les deux premiers palais cités se situent au bord du Canal. De facture baroque, la Ca'Pesaro présente une collection de peinture italienne du XIXe et des artistes modernes dont un magnifique Klimt, "Judith". Je me suis baladée tranquillement dans cet espace muséal quasiment seule. Devant le Klimt, j'étais ravie de l'admirer pendant de longues minutes en toute quiétude. Et j'ai reconnu "mon" Morandi, le peintre de la nature morte aux bouteilles et aux vases, et Chirico, le métaphysicien de l'angoisse, et Bonnard, notre peintre français le plus lumineux... Encore un moment d'exaltation que me procure l'art. La Ca'Rezzonico présente une collection plus traditionnelle de la peinture italienne avec Longhi, Tiepolo, Rosalba Carriera (la seule femme artiste du XVIIIe). Ce palais monumental richement décoré illustre la vie des nobles vénitiens et montre une enfilade de pièces dédiées à la vie mondaine : salle de bal, salle du trône, bibliothèque, alcôves, salle de musique, etc. Une bonne leçon d'histoire à méditer... La Ca'Doro m'a plus fascinée car ce palais gothique offre un espace fabuleux appelé le "portego" : ce vestibule est un vaste rectangle pavé de marbres polychromes et décoré d'un puits sculpté et de statues antiques. Ce palais propose une collection exceptionnelle de peintres italiens : Mantegna, Vivarini, Titien, Tintoret, et bien d'autres mais j'ai surtout remarqué, dans les salles des peintres flamands, une toile rare d'un de mes peintres préférés : Patinier. Encore une belle surprise dans ma journée alors que le guide sur Venise que je consulte ne mentionnait pas Patinier. Ce très beau palais restera un de mes meilleurs souvenirs du séjour. Je termine avec le Palais Fortuny, un lieu de charme, de magie et de poésie. Dès que l'on pénètre dans le palais, les pièces grandioses sont couvertes de tentures, décorées par des tableaux et des sculptures, des meubles d'époques dans une ambiance feutrée et sombre. J'ai vu encore un Morandi, deux Chirico et des œuvres d'artistes italiens. J'ai eu la chance de visiter dans le palais une exposition temporaire et exceptionnelle sur un artiste peu connu, Zoran Music. Je n'avais jamais vu une de ses toiles (alors que je possède un livre sur lui) et voir l'ensemble de ses œuvres lors de mon séjour m'a procuré un très grand plaisir esthétique. Venise m'a offert un beau cadeau ce jour-là !  

mercredi 4 avril 2018

Venise, 3

Je savais que j'allais retrouver une foule compacte dans le quartier San Marco. J'ai revisité le Palais des Doges dès l'ouverture et heureusement, j'étais soulagée de voir aucune attente pour un palais aussi extraordinaire. Les touristes s'amassent sur la place et visitent la Basilique dont l'accès est gratuit mais très écourté. Beaucoup d'échoppes commerciales gâchent le paysage patrimonial mais l'argent est roi devant tant de consommateurs potentiels. La Basilique San Marco étale sa luxuriance avec ses quatre mille mètres carrés de mosaïques d'influence byzantine, ses cinq dômes et son pavement en marbre. J'étais assez étonnée de me balader dans le palais des Doges sans aucun problème. Il faut dire que cet immense édifice, emblème de la République et joyau gothique, laisse sans voix. J'ai surtout admirer le tableau gigantesque du Tintoret, "Le paradis" l'une des plus grandes toiles du monde (53m sur 25m), saisissante et géniale. Je ne suis pas arrivée à compter le nombre de pièces, de plafonds peints, de tableaux, d'objets, symboles d'un pouvoir insensé. Je me retrouvais dans l'ambiance d'une Venise puissante, affirmant son rôle mondial dans le commerce. Face au Palais, j'ai visité le musée Correr dans lequel on trouve aussi un musée archéologique et la bibliothèque de la République vénitienne, la Sansoviniana. Dans la pinacothèque, quelques toiles ont retenu mon attention : le "Christ mort" d'Antonello de Messine, un Brueghel, des Bellini. Le plafond spectaculaire de la bibliothèque, décoré en particulier par Véronèse, donne le torticolis... Tant de luxe et de beauté peuvent donner le vertige... Mais, dès que l'on sort de ces lieux culturels, on se retrouve dans la foule de San Marco qu'il faut fuir sans tarder et dès que l'on s'éloigne de trois rues, le calme revient avec soulagement. Je me suis dirigée vers le quartier San Tomas où j'ai voulu revoir une ancienne église transformée en bibliothèque municipale, un lieu de rêve où les murs portent encore de belles fresques du Moyen Age. Sur le campo, une trattoria m'attendait et je me suis reposée de mes visites en dégustant des spaghettis aux fruits de mer, un délice des dieux... Ce quartier San Marco concentre tout de même une grande partie du patrimoine vénitien et j'ai constaté que dans ces lieux mythiques, je n'ai pas retrouvé la grande foule touristique... Bizarre, quand même ! 

mardi 3 avril 2018

Venise, 2

Pour relater mon escapade vénitienne, je n'ai pas voulu respecter l'ordre chronologique mais j'ai choisi tout simplement l'ordre géographique en évoquant les quartiers. La ville, quand on regarde son plan, ressemble à un poisson et l'arête dorsale représente le Canal Grande. On compte quatre cents ponts, plus de deux cents palais, cent soixante canaux. Ce labyrinthe aquatique possède six quartiers et je commencerai par le Dorsoduro, que l'on aperçoit dès que le bateau pénètre dans la lagune. Ma location se situait dans ce beau quartier, encore épargné par les masses de touristes. Pourtant, les deux musées les plus remarquables se trouvent là et proches l'un de l'autre : la Galerie de l'Accadémia et la Fondation Peggy Guggenheim. J'ai visité l'Accadémia deux fois en sept jours de présence tellement je voulais repartir à Chambéry avec les images merveilleuses de la peinture italienne : la famille Bellini et surtout Giovanni, Carpaccio, Giorgione, Le Tintoret, Véronèse, Mantegna, Piero della Francesca, Cima de Coneglione, etc. J'ai eu la chance d'admirer trois tryptiques de Jérôme Bosch, qui venaient d'être restaurés. Une collection magnifique à revoir sans cesse et dont on ne se lasse jamais. J'ai basculé dans le XXe siècle en visitant le musée de Peggy Guggenheim : un lieu magique qui allie la peinture surréaliste et moderne avec un jardin de sculptures... Picasso, Tanguy, Giacometti, Braque, Chirico, Kandinsky, Miro, Magritte, Dali, et bien d'autres attirent beaucoup plus de touristes que l'Académie. Une exposition temporaire montrait les œuvres de Mario Marini, un sculpteur italien contemporain de premier ordre, très influencé par l'art antique. Un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs d'art moderne. Ces deux musées majeurs offrent une vue splendide sur le Grand Canal. Dans le Dorsoduro, j'ai visité quelques églises : I Gesuati avec un plafond de Tiepolo, la Salute aux dizaines de sculptures, San Sébastian où j'ai rendu un hommage sur la tombe de Véronèse... Fresques géantes, couleurs vivifiantes, les églises vénitiennes ressemblent à des espaces muséaux et beaucoup moins à des lieux de culte. Les places calmes et fréquentées par les habitants dont les enfants qui roulent avec des trottinettes, se traversent avec un plaisir évident. J'ai fait une halte chez Nico, le célèbre glacier du quartier, pour dévorer la tranche de gianduia (un chocolat noisette) dans un bain de chantilly... Une gourmandise bien méritée après quelques heures de déambulation dans le Dorsoduro, un quartier charmant, authentique et préservé, que la lagune illumine lui donnant un ambiance "bord de mer" très agréable à vivre et en plus, le soleil était au rendez-vous tout au long de mon séjour. 

lundi 2 avril 2018

Venise, 1

Je reviens d'un séjour à Venise. Cette fois-ci, j'ai loué un appartement dans le quartier du Dorsoduro, près des quais, les Zattere. Dès que je suis arrivée à l'aéroport, j'ai choisi le bateau pour redécouvrir la Sérénissime. Le trajet dure une heure trente dans une "autoroute liquide" balisée de piquets en bois sur lesquels les mouettes observent ces drôles de machines passant devant elles. J'ai assisté en fin de soirée au premier coucher du soleil sur la lagune et ce paysage vénitien n'a pas perdu sa magie intrinsèque. J'avais devant mes yeux une toile de Turner magnifique. A Venise, l'art et la vie sont irrémédiablement liés.  Dès que j'ai aperçu le Palais des Doges, le Campanile et la basilique San Marco du bateau, je savais par intuition que cette perspective de silhouettes matérielles entre le ciel et la mer recèle une poésie envoûtante, venue de temps lointains et toujours présente. Les mouettes et les cormorans volaient à vive allure et accompagnaient la valse incessante des vaporetti, des barques à moteurs, des transporteurs, des taxis... Cette vision d'une vie sur l'eau dépayse n'importe quel voyageur, habitué à la présence constante des voitures, des camions et des vélos. Pour circuler à Venise, il faut marcher, marcher, marcher et aussi, prendre le vaporetto. Je ne parle pas de "gondoler" car seuls les Asiatiques et quelques couples utilisent ce mode de déplacement un peu ridicule à mes yeux et assez onéreux (80 euros les trente minutes). Mais, les embarcations ponctuent le paysage vénitien comme une tradition incontournable. J'ai donc pris possession de ma location, un appartement charmant et authentique dans un vieux palais, donnant sur la lagune, près d'un canal et surtout à deux pas de la pointe de la Dogana. Filippo et Fabiola, les propriétaires charmants m'ont adoptée comme une "vénitienne"... Ce quartier a conservé son identité ancienne avec une tranquillité étonnante, une sérénité appréciable. Le soir, je me suis promenée du côté du campo San Agnese, de l'église Gesuati et les cloches ont commencé leur musique métallique matérialisant l'espace et me rappelant mon enfance. Je ne vivais plus au XXIe siècle mais je me sentais dans une zone temporelle entre le XVe et le XVIII siècle. J'éprouvais un sentiment de paix que je n'éprouve dans une aucune grande ville européenne. J'ai terminé ma soirée sur mon balcon, un verre de Prosecco à la main et les mouettes dansaient devant mes yeux en me frôlant. L'escapade commençait bien, dès les premières heures de mon arrivée.