vendredi 1 mars 2024

"Avec les fées", Sylvain Tesson

 Le dernier récit de Sylvain Tesson, "Avec les fées", paru aux Equateurs, pourrait présenter un bandeau sur sa couverture, portant ces mots : "Prenez l'air !'. Ce livre de voyage sent les embruns, résonne au son des vagues. Le baladin Tesson et ses deux compagnons embarquent ses lecteurs-lectrices dans une randonnée celtique, en utilisant un voilier pour longer les côtes françaises et anglaises. Le voilier s'approche des terres et notre aventurier grimpe sur les promontoires, arpente la lande, s'abrite derrière un dolmen, affronte souvent la pluie et la tempète. Un texte aéré et aérien à contre-courant de l'actualité crispée, entre la colère des agriculteurs trahis et les menaces de guerre (intérieure et extérieure).  Pour lire ce guide poétique, il faut aimer par dessus-tout la géographie : de la Galice à la Bretagne, des Cornouailles au Pays de Galles, de l'ïle de Man à l'Irlande, l'Ecosse comme point ultime de la balade celtique. Heureusement, le texte est émaillé de cartes pour suivre notre Homère national. Pourquoi ce périple ? L'écrivain traque à sa façon les fées, une métaphore de la beauté terrestre : "Je donne le nom de fée à ce jaillissement" et "Qu'est-ce qu'un lieu féerique ? Un endroit d'où l'on rêve ne plus jamais partir". Ces fées se nichent au gré du voyage dans les paysages sauvages, dans les caps, dans la lumière du jour ou dans la nuit marine. Le regard de Sylvain Tesson se porte sur un monde naturel, non saturé d'hommes, avides de richesse, de bâtiments hideux, de traces industrielles, d'éoliennes invasives et autres laideurs contemporaines. Parfois, il intègre dans ses descriptions géopoétiques, des réflexions sur l'Histoire, sur les religions et sur les mythes. Il apprécie les vieilles chapelles, les calvaires en Bretagne. Les Celtes le font rêver comme la légende arturienne de Chrétien de Troyes. Les menhirs l'enchantent et le fascinent. Le but suprême de sa quête se nomme le Graal, une sorte de paradis perdu qu'il cherche à retrouver dans cette nature intacte, sauvage, mystique. Comme dans ses récits précédents, il mêle à sa poésie du grand large, des remarques très concrètes sur la vie à bord du voilier avec une météo capricieuse. Il cite Victor Hugo, Aragon, Julien Gracq.  Les promontoires physiques qu'il arpente ressemblent aussi à son promontoire intérieur car, il préfère la fuite à l'adhésion, un "pas de côté" : "Il s'agirait de s'engager à pas feutrés dans la douceur des choses". Quand il arrive à Saint-Malo, il est enfin apaisé et ses fées l'accompagnent : "Elles existaient puisque le soleil se lève chaque matin sur la mer. Elles existaient quand on cheminait vers elles. Elles existaient quand on travaillait à les faire apparaître". Les amateurs-amatrices de Sylvain Tesson aimeront ce récit de voyage d'une poésie certaine. Ceux et celles qui le détestent continueront à lui tourner le dos. J'ai randonné en sa compagnie tout en restant dans mon canapé à l'abri du vent et de la pluie !