lundi 8 juillet 2019

Jean-Paul Kauffmann, 2

Quand j'ai proposé en juin un choix d'ouvrages sur la mer dans le cadre de l'atelier Lectures, j'avais intégré dans la liste, "L'Arche des Kerguelen" de Jean-Paul Kauffmann. Je n'ai pas eu le temps d'évoquer ce livre et je corrige cet oubli aujourd'hui. Publié en 1992, il vient d'être réédité en livre de poche dans la collection Vermillon. Quatre ans après sa captivité au Liban, l'auteur entreprend un voyage dans cette île australe, située dans l'Océan indien, proche de l'Antarctique, découverte par Yves de Kerguelen en 1772, mandaté par Louis XV. Cet archipel qu'il découvre ne correspond pas à l'idée du paradis terrestre : paysages austères, fjords, falaises abruptes, montagnes acérées, un caillou balayé par des vents forts que l'on ne peut atteindre que par bateau depuis la Réunion. Ces îles dites de la Désolation restent un mystère pour nombre de voyageurs, attirés par la virginité de cette terre. Jean-Paul Kauffmann n'hésite pas à se rendre sur ce territoire dorénavant occupé par une poignée de militaires et par des scientifiques énigmatiques. Tel un personnage de Jules Verne en quête d'exploration, il décrit avec talent la géographie physique des Kerguelen, le climat rude, l'absence d'une faune diversifiée, mais il remarque la présence d'oiseaux, d'éléphants de mer, de quelques moutons importés, des chats sauvages et de lapins. Le narrateur, fasciné par la magie du lieu, écrit : "Dans cette vallée que je croyais morte m'est révélé pourquoi le vent est à l'origine de la création du monde". Il marche sur les traces de Rallier du Bay, d'Yves de Kerguelen, de quelques personnages qui ont erré sur l'archipel. Il retrouve des tombes d'inconnus et rêvent de leurs présence fantomatiques dans cet espace sauvage. Ce voyage au bout du monde lui procure un vertige immense devant ce territoire où la liberté et la solitude s'unissent pour former un monde premier, une terre des origines. Je cite cette phrase : "Entre la page blanche et l'achevé d'imprimer, les Kerguelen donnent l'illusion d'approcher des origines ou des fins dernières". Lire ce bel ouvrage hybride (historique, géographique, sociologique, littéraire, scientifique), c'est s'offrir un voyage aux confins d'un monde tout en évitant les rigueurs du climat. Le narrateur s'exclame ainsi : "Je suis heureux d'affronter de mon plein gré l'extrême solitude et l'élémentaire clarté d'une nature hostile". Dommage que ces îles soient aussi lointaines pour moi… Grâce à Jean-Paul Kauffmann, j'ai l'impression de les avoir visitées.