lundi 28 décembre 2020

Mes 1O romans étrangers préférés de l'année

Mes coups de cœur  pour les 10 romans étrangers se situent dans la zone anglophone et un peu latine. Pourquoi privilégier la littérature anglaise, américaine, italienne, espagnole et allemande au détriment d'autres continents littéraires ? Peut-être que la réponse se trouve chez les éditeurs en particulier chez Gallimard qui cultive l'art de la qualité littéraire et de la traduction. Mes goûts littéraires sont portés par la langue qui façonne un univers commun. J'ai aussi besoin de partager un ensemble de valeurs esthétiques transmises depuis des siècles, d'Homère à Milan Kundera. Il ne faudrait pas les nommer "étrangers" ces romans qui parlent de nous, que l'on soit à New York ou à Rome, à Berlin ou à Londres, un espace géographique commun assez vaste, tout de même. Mais on pourrait me reprocher mon manque de curiosité pour des continents plus lointains comme l'Asie ou l'Afrique. En 2021, je me promets de franchir quelques milliers de kilomètres de plus pour découvrir des univers romanesques certainement riches de singularités. Voila mon palmarès : 

- "Nos espérances" d'Anna Hope : un roman formidable sur l'amitié féminine, les destins accomplis ou contrariés des héroïnes. Cette écrivaine anglaise est la digne représentante de ses aînées comme Doris Lessing, Margaret Drabble, Anita Brookner, etc. 

- "La vie mensongère" d'Elena Ferrante : la magie de l'Italie, l'univers féminin, le mensonge ou l'art de survivre. Irrésistible, Elena Ferrante.

- "Faits, autobiographie d'un romancier" de Philip Roth : un récit majeur dans l'œuvre de Philip Roth avec sa lucidité, sa sincérité et son audace. Une confession et des clés pour comprendre cet immense écrivain américain.

- "Le Royaume des Ombres" d'Arno Geiger : le monde germanique qui s'effondre, un jeune soldat Viennois fuyant la guerre, une fresque historique. 

- "Le Cœur de l'Angleterre" de Jonathan Coe : une méditation douce-amère sur les relations humaines, un portrait de l'Angleterre des années 2010 avec ses crispations identitaires. Un écrivain incontournable de la littérature anglophone. 

- "Les Secrets de ma mère" de Jessie Burton : une jeune fille à la recherche d'une mère disparue, un huis clos avec son ancienne compagne, écrivaine oubliée. Comment vivre sans l'amour d'une mère ? 

- "Berta Isla" de Javier Marias : un formidable portrait de femme et une analyse d'un couple singulier où l'un pratique un secret inavouable car il est espion. Un roman détonant et ambigu.

- "Furies" de Lauren Groff : un couple infernal, un amour infernal, un roman infernal et des secrets de famille enfouis. 

- "La Persuasion des femmes" de Meg Wolitzer : un roman féministe, des militantes attachantes avec des rivalités redoutables et des complicités inévitables, l'esprit des luttes pour le droit des femmes. 

- "Les Fantômes du vieux pays" de Jonathan Hill : un roman américain époustouflant où le personnage principal, Samuel, se retrouve avec une mère rebelle après quelques années où elle l'avait abandonné à l'âge de onze ans. Une fresque mémorable sur la modernité, l'emprise de la technologie, un décryptage lucide et teinté d'humour. 

10 romans étrangers d'une densité romanesque intense. Une lecture du monde contemporain occidental, une analyse du couple, de l'amour, des femmes, de l'Italie aux Etats-Unis.  Une excellente année littéraire !

vendredi 25 décembre 2020

Mes 10 romans français préférés de l'année

 J'ai revu mes listes mensuelles de lectures avec une moyenne de huit à dix livres par mois... Si je multiplie par 12, j'arrive à presque une centaine par an. Lecture de romans mais aussi lecture d'essais et de beaux livres d'art. Un an est déjà passé et comme je respecte la tradition, j'aime faire un bilan en démarrant par la littérature française. Aucune hiérarchie dans la liste donc voilà ces dix romans : 

- "Avant que j'oublie" d'Anne Pauly pour le sujet du deuil traité avec une vitalité certaine, un inventaire à la Prévert et une nouvelle écrivaine qui promet. 

- "Fille" de Camille Laurens, un roman autofictionnel sur l'identité féminine, un hommage à la condition féminine.

- "Histoire du Fils" de Marie-Hélène Lafon, prix Fémina, pour l'écriture, pour la famille, pour la saveur d'un terroir. 

- "L'enfant de Ingolstadt" de Pascal Quignard, un conte composé par un écrivain d'exception, un classique contemporain. 

- "Nature humaine" de Serge Joncour, une saga française passionnante des années 70 à 2000 dans la campagne française.

- "Le Grand Vertige" de Vincent Ducrozet, un livre vertigineux sur l'état de la planète, écologique, inquiétant et un style convaincant.

- "La Nuit Atlantique" d'Anne-Marie Garat, un grand roman océanique en Gironde avec un personnage féminin à la recherche d'un nouveau souffle. 

- "Histoires de la nuit" de Laurent Mauvignier, un thriller littéraire, une histoire de la violence latente et un huis-clos palpitant. 

- "Papa" de Régis Jauffret, un récit très fort sur un père mutilé par la vie à cause de sa surdité et une réhabilitation de la part de son fils écrivain. 

- "Saturne" de Sarah Chiche, un roman psychanalytique sur les traumatismes familiaux, sur l'absence du père et sur les non-dits mortifères. 

Voilà pour ma liste de mes dix meilleurs romans français de l'année 2020. La littérature française me semble en excellente forme et je suis sûre que l'année prochaine me réservera de belles rencontres. Sans vouloir le faire, j'ai respecté la parité : cinq hommes et cinq femmes, tous des écrivains de grand talent à suivre. 

mercredi 23 décembre 2020

Eloge de la culture

Depuis dix ans, je suis à la retraite. J'ai lancé ce blog en 2010 et me voilà déjà dix ans plus tard. J'écris quinze billets par mois et je me donne rendez-vous en fin d'après-midi pour raconter mes lectures, parfois mes voyages, la plupart du temps, ma vie culturelle. Ce blog m'accompagne pour vivre au mieux ce temps de la retraite  bien méritée après quarante ans de travail. Evidemment, j'ai eu beaucoup de chance dans ma carrière professionnelle : libraire et bibliothécaire. Quand on aime passionnément la littérature, les livres, la culture, je ne pouvais pas mieux choisir. Je dispose d'un privilège particulier : mon goût profond pour la culture. Avec cette crise sanitaire qui n'en finit pas, le monde de la culture me semble bien sacrifié avec la fermeture des cinémas, des salles de spectacle, des musées. La culture hors la maison me manque. Heureusement, en septembre, j'avais cumulé des instants de toute beauté à Paris avec des visites d'exposition, de librairies, de musées sans oublier le paysage de la Seine, des quais, des toits en zinc, de cette ville extraordinaire. Je vis dans un bain de culture permanente. Je me baigne tous les jours dans une mer de papier composée de livres, da littérature, de philosophie, d''art. Apprendre, s'informer, s'éduquer, découvrir, palpiter, vibrer, pleurer et sourire. La culture, un art de vivre que je pratique dans mes escapades à travers les capitales européennes. La culture, un art de vivre à travers la musique baroque et l'opéra. Comment vivre sans Bach, Haendel, Vivaldi, et tant d'autres compositeurs (surtout italiens) ? La culture en partage avec l'animation d'un atelier Lectures où mes amies lectrices m'apportent toujours un grand réconfort car tant qu'il y aura des hommes et des femmes qui lisent, tout n'est pas perdu. La culture exigeante en écoutant ma professeur de philosophie dans l'atelier "Idées en partage". L'année 2020 avec ces mois de confinement nous a fait comprendre l'importance capitale de de ce mot : culture ! Le virus nous a privés de la famille, des amis, de la liberté de circuler, de sortir, de voyager. Une année-calamités avec ce masque obligatoire, cette distance sociale, cette méfiance générale, une vie prudente où nous commençons à ressembler à des taupes dans leurs galeries. Transformons nous en mouette pour enfin s'envoler, en panthère pour courir sur la terre, en  gazelle pour se donner des ailes ! 2021, une année de rattrapages, une année de réparations, une année de retrouvailles... Vivement le Premier Janvier !

lundi 21 décembre 2020

"D'un siècle à l'autre"

 Régis Debray, né en 1940, a déjà fêté ses 80 ans cette année et a voulu dans son dernier livre, "D'un siècle à l'autre", établir un bilan de sa vie intellectuelle et de son engagement politique. Issu de la bourgeoisie parisienne, il poursuit ses études jusqu'à l'agrégation de philosophie et réussit le prestigieux concours de Normale Sup. Mais, cet intellectuel brillant bascule dans le romantisme révolutionnaire marxiste en Amérique du Sud dans les années 60. A partir de cette expérience de libération des peuples à base de guérillas, compagnon de Che Guevara et de Fidel Castro, Régis Debray devient un "expert" en action politique. Il est même condamné à trente ans de prison et sera libéré après quatre ans de détention en Bolivie. A cette époque, un intellectuel tout court penchait presque toujours dans le camp de l'anticapitalisme.  Dans le texte qu'il compose, Régis Debray intègre souvent une distance en commentant ses choix. Il cite Julien Gracq : "Tant de mains aujourd'hui pour bouleverser ce monde et si peu de regards pour le contempler". Il regrette "d'avoir longtemps trop donné dans la main et pas assez au regard". Il brosse aussi le portrait de quelques philosophes qu'il a rencontrés comme Althusser, Maurice Godelier, Alain Badiou, etc. Il compose à sa façon une critique lucide et acérée sur le rôle des intellectuels dans la cité et son humour décape les grands mythes contemporains liés à l'engagement parfois tendancieux de ses collègues. Son goût pour l'ironie ne s'étiole en aucun cas quand il constate que notre époque préfère les acteurs, les people, les sportifs aux "écrivains, archéologues, bibliothécaires, professeurs et conservateurs du patrimoine". Ils sont même consultés à l'Elysée. Il relate son incursion au sein du pouvoir quand il a accepté la charge de conseiller de Mitterrand avec un bilan mitigé. Il évoque plus longuement sa grande passion de la médiologie dont il est le pionnier qui se résume dans quelques verbes : unir, transmettre, croire avec les questions : "comment ça marche et comment ça fait marcher". Les formules percutantes qu'il emploie donnent au récit une dynamique réjouissante : "De la lettre au tweet, du campagnard au périurbain, de l'industrie aux services, du transistor au smartphone, de l'esprit de conquête au principe de précaution, de la France républicaine à la France républicaine, (...), comment faire du commun avec de la diversité ? Mystère du politique. Comment transmettre l'essentiel de siècle en siècle ? Mystère des civilisations". Il n'est pas toujours aisé de pratiquer une lecture fluide tellement son texte comporte des références historiques, sociologiques, philosophiques. Son écriture baroque et incisive se met au service d'une pensée hybride. Au fond, comment définir Régis Debray, une fois le livre fermé ? Comme il l'écrit lui-même : "Un réactionnaire de progrès, un franchouillard cosmopolite, un catho républicain, un ronchon bienveillant, un anarchiste conservateur". Sa génération comme la mienne "a eu le privilège d'avoir vu mourir un monde et en naître un nouveau (...) Nous sommes passés des ultimes soubresauts d'un court siècle rouges aux premiers vagissements du siècle vert". Un essai riche, majeur pour connaître la vie politique et intellectuelle d'un philosophe atypique et tellement français !

jeudi 17 décembre 2020

"Autoportrait en chevreuil"

 J'avais écouté Victor Poucher sur France Culture et j'ai donc lu son deuxième roman, "Autoportrait en chevreuil", publié chez Finitude. Dans son premier roman, "Pourquoi les oiseaux meurent", le narrateur remontait la Seine à bord d'une péniche pour enquêter sur la chute de centaines de volatiles. Trois ans plus tard, le personnage central, Elias, choisit un chevreuil comme un totem. Ce garçon passe une enfance particulière auprès d'un père qui possède un talent singulier  : il pratique le magnétisme. Dans le village breton où ils vivent, les voisins considèrent ce père comme un homme "dérangé", obsédé par les ondes, les sciences occultes, les influences de l'Invisible. Il a hérité du don de coupeur de feu et de médium. Il impose à son fils des tests de "philosophie ondulaire", des bains dans l'eau glacée, d'affronter le noir dans la cave, etc. Cet homme un peu chaman, un peu charlatan et certainement délirant perturbe le jeune Elias. Il perd sa mère trop tôt et se retrouve avec une belle-mère spectrale qui met au monde un garçon, Ann, qui deviendra le préféré du père. Comment le jeune Elias peut-il survivre dans ce foyer bancal, marginal et peu chaleureux ? La libération pour Elias viendra d'Avril, une jeune femme fantasque, bien vivante. Elle va l'aider à surmonter ce passé familial atypique. La jeune femme pressent qu'Elias, souvent silencieux, voire mutique, a subi une enfance farouchement anormale. Elle apprivoise le garçon tel un chevreuil craintif, en lui apportant une légèreté d'être dont il a été privé d'autant plus que son petit frère est mort dans un incendie accidentel. Le roman s'articule sur trois parties inégales. Dans la première partie, Elias raconte son histoire, dans la deuxième, Avril, dans un journal intime, relate sa rencontre avec Elias et dans la troisième, le père révèle dans une lettre adressée à son fils ses pouvoirs troublants. Victor Pouchet avec une certaine délicatesse dénonce l'emprise d'un père toxique qu'il doit absolument fuir pour renaître à la vie et retourner dans : "un monde où l'on partage le plaisir des choses douces". Le jeune écrivain réussit un portrait attachant d'un petit garçon perdu qui, devenu adulte, saisit sa chance, son "kairos" diraient les Grecs anciens. Il faudra suivre Victor Pouchet dans ses futures publications, car j'ai reconnu dans ce texte une petite musique insufflée par le style et par l'ambiance du roman. A découvrir. 

mardi 15 décembre 2020

"Thésée, sa vie nouvelle"

 Camille de Toledo est l'auteur d'un livre, un objet littéraire hybride, l'OVNI de la rentrée de septembre, au titre symbolique : "Thésée, sa vie nouvelle". Cet ouvrage, publié chez Verdier, a failli obtenir le Prix Goncourt mais sa tonalité désespérante a certainement provoqué des hésitations pour le promouvoir en tête de liste. Comme la période semble déjà assez pesante avec la crise sanitaire, choisir un tel récit n'aurait pas remonté le moral des troupes "lectorantes". Je craignais de sombrer dans un abattement sans fin en le lisant mais j'ai résisté à la vague tragique de cette prose tremblante d'effroi. Le narrateur ressent une douleur permanente dans son corps : vertiges, chutes, dépression. Il part à Berlin avec ses enfants pour fuir la France. Il porte en lui un chagrin insupportable car son frère s'est suicidé en se pendant. Il n'a pas pu le sauver treize ans avant et ce lourd passé le hante. Il a aussi perdu sa mère un an après la mort de son frère et son père aussi a disparu. Cette succession de deuils finit par le paralyser car il est devenu le dernier survivant d'une famille dévastée. Le jeune Thésée s'attèle à une reconstitution du passé familial grâce à des archives pour trouver des explications au geste de son frère Jérôme. Ses recherches aboutissent à la découverte d'un aïeul, Talmaï, d'origine juive, un arrière-grand-père, le premier de la lignée qui a été naturalisé français. Il s'est suicidé à la veille de la guerre de 39. Son frère, Nissim, a été tué en 1918, juste avant la victoire. Le narrateur évoque ces destins tragiques, "le choc des ancêtres", dont les 'fantômes persistent à vivre en lui". Il sent dans sa chair "l'effondrement de ses os, de ses reins, de ses dents, qu'il est ça : un frère attaché au frère, relié à une histoire de la peine et de la perte". Ses aïeux, des juifs marranes, ont-ils transmis aux générations suivantes la nécessité du secret ? Camille de Toledo dans un entretien, parle de "psychogénéalogie" pour décrypter les secrets traumatisants, enfouis dans la mémoire familiale. Talmaï a eu trois fils, dont l'un a subi la déportation à Buchenwald, un autre est devenu un grand patron de gauche, Nathaniel, le grand-père du narrateur. Sa fille Esther se marie avec Gastby, et le couple donnera naissance à Jérôme et à Thésée. Thésée accuse ses parents de négligence et d'indifférence, se préoccupant plus de leur réussite que de leurs fils. Le narrateur est devenu un "homme-mère" très attentif à ses trois enfants. Il rompt ainsi la chaîne dramatique de sa filiation. Ce livre ressemble à un chant funèbre, un peu trop funèbre tellement ce texte porte une lamentation lancinante. Camille de Toledo précisait dans son récit, "Vies potentielles", "J'attends des livres qu'ils aient l'intensité d'une prière. Une prière sans Dieu où il ne reste que l'homme". Ce récit m'a laissée dans une grande interrogation : est-ce un texte émouvant, puissant, essentiel sur l'identité, sur la transmission ou est-ce un texte excessif sur la plainte récurrente d'une assimilation violente à la culture occidentale ? Ce livre troublant, un patchwork de fragments, de photographies, d'archives familiales, peut dérouter et chacun(e) se fera sa propre idée en le découvrant. Camille de Toledo s'est inspiré de la mythologie grecque pour raconter son histoire familiale en creusant un labyrinthe généalogique sans trouver peut-être la sortie. 

lundi 14 décembre 2020

La revue Lire-Magazine littéraire

 Depuis la fusion délibérée et malheureusement inévitable (faute d'un lectorat massif) des deux principales revues littéraires, Lire et Le Magazine littéraire, je constate un mélange un peu disparate des deux identités originelles. Autant Lire correspondait à un public plus élargi, autant le Magazine littéraire ciblait les lecteurs plus exigeants. La mouture finale pencherait davantage pour un lectorat éclectique, curieux avec un peu moins de place pour les écrivains classiques et contemporains. J'étais étonnée que la revue consacre un dossier de dix pages à Enid Blyton, l'auteur anglaise des "Oui-Oui", des "Club des Cinq", "Le Clan des Sept", etc. Il est sûr et certain qu'elle a marqué des générations d'enfants qui ont découvert la magie de lire avec ses ouvrages. Mais, dix pages sur elle, c'est un peu trop quand même. Comme le veut la tradition, la revue a choisi les cent livres de l'année et j'ai été très satisfaite d'apprendre que le livre de l'année, celui qui, à leurs yeux, a dominé la production romanesque se nomme "Fille" de Camille Laurens. Je l'avais lu dès sa sortie et j'avais beaucoup apprécié ce roman sur cette question lancinante : "qu'est-ce qu'une fille ?". L'écrivaine s'exprime dans un entretien avec Claire Chazal : "C'est un roman d'apprentissage mais également d'initiation à l'envers puisque, finalement, Laurence est éduquée par sa fille". La dernière phrase apporte une belle conclusion au roman : "C'est merveilleux, une fille : !". Un choix évident et épatant pour cette écrivaine française, membre du jury Goncourt. Dans les meilleurs romans français sélectionnés, j'ai retrouvé Miguel Bonnefoy, Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier, Marie-Hélène Lafon, Serge Joncour, Mathias Enard, Camille de Toledo, etc. Pour les essais, j'ai retenu l'excellent "Le Consentement" de Vanessa Springora, le philosophe Baptiste Morizot, Laure Adler et "Sa voyageuse de la nuit", Barbara Cassin et son autobiographie intellectuelle. Cynthia Fleury et son "Ci-gît l'amer". La revue a donc retenu cette centaine de titres à lire, à découvrir. Une bonne année pour les amateurs de littérature et des idées de cadeau pour ces festivités un peu moroses de cette fin d'année. Dans cette période consumériste, où des millions d'objets inutiles se vendent dans les grandes surfaces, un objet me semble essentiel, consommable sans modération, unique, solide, éternel, sans date d'obsolescence programmée : le livre ! On en trouve à tous les prix du plus modeste en livre de poche au plus onéreux en belle édition. L'année prochaine en fin d'année, des romans et des essais seront choisis par la rédaction et évoqueront sans doute cette drôle d'époque virale. Profitons de la deuxième rentrée littéraire : la rentrée de janvier déjà bien prometteuse avec plus de 490 romans ! 

vendredi 11 décembre 2020

Sous cloche

 Il faut accepter dorénavant une vie sous cloche tant que ce virus mondialisé circule sans frontières. Comme tous les amateurs de cinéma, j'avais l'intention d'aller à l'Astrée où j'allais me retrouver dans une salle noire, assise confortablement et me noyant les yeux dans un écran surdimensionné. Tant pis pour la féerie cinématographique. J'attendrai le mois de janvier. J'avais l'intention de revoir le Musée des Beaux-Arts de Chambéry pour le goût du silence et pour la collection italienne, j'attendrai le mois de janvier. Je pense aux théâtres parisiens, aux salles de concert, aux musées si magnifiques, tant pis, on verra plus tard. La culture a perdu son aura auprès des responsables politiques et évidemment, les commerces deviennent nos nouveaux centres culturels et cultuels... Heureusement, chacun se fabrique son îlot symbolique où il fait bon de vivre avec des livres, de la musique et des images télévisuelles de qualité. Il faut intégrer la novlangue orwellienne : pas essentiel, superflu, inutile, aux oubliettes, la culture. Mais, je suis tellement rassurée : les librairies et les bibliothèques échappent au carnage de la Covid-19. Quel bonheur de retourner dans ces lieux pour le moral ! Cette vie sous cloche dure, dure jusqu'à éprouver une certaine lassitude. Le couvre-feu à 20h  ? Jusqu'en 2025... Peut-être... Le couperet est tombé. Ces mots reviennent à la mode : obéissance, citoyenneté, acceptation, résignation. L'ordre sanitaire règne mais le désordre aussi dans les rues, avec les manifestations. On peut quand même ronchonner, râler, protester. Notre Premier Ministre joue le rôle de sergent major : "Allez, chers citoyens, respectez ces contraintes qui vous sauvent la vie. Je vous en supplie de ne pas tomber malade, les hôpitaux ne peuvent pas vous soigner". Pour supporter cette ambiance anxiogène, quelle attitude adopter ? S'armer de patience, mais aussi, se réjouir de ne plus remplir une attestation liberticide, fuir les petits et les grands commerces (sauf les librairies), partir pendant les vacances de Noël en changeant de région tout en respectant la règle des Six, créer des recettes de cuisine en l'absence de restaurants, s'offrir des livres sous le sapin, se promener dès 6h du matin pour profiter de la liberté accordée. Avec de l'imagination, la période que nous vivons aujourd'hui ne sera qu'un très mauvais souvenir. Vivement l'année prochaine et nous allons fêter la fin de l'année avec soulagement. Il paraît que les responsables politiques font ce qu'ils peuvent et personne ne voudrait être à leur place. Pour le moment, le contrat social semble fonctionner.  Une vie sous cloche, encore un mois et en 2021, retour à une vie sans cloche ! Sauvegardons le principal, l'essentiel : rester vivant !

mercredi 9 décembre 2020

"Les Faits, autobiographie d'un romancier"

 J'ai relu récemment "Les Faits, autobiographie d'un romancier" de Philip Roth dans une nouvelle traduction de Josée Kamoun. Cet écrivain américain aurait mérité amplement le Prix Nobel de littérature mais, le jury suédois l'a ignoré jusqu'à la fin. Quel gâchis ! Ce prix a perdu son aura d'origine. Dans cet ouvrage paru en 1988, l'écrivain, disparu en 2018, revient sur son enfance à Newark dans les années 30 et 40, sa vie d'étudiant où il devient un américain modèle, son premier mariage chaotique, ses relations orageuses avec la communauté juive à la parution de "Goodbye Columbus" et ses années de maturité littéraire dans les années 60. Il ne montre aucune complaisance à son égard, se met à nu, explore son passé sans montrer un égo surdimensionné. Ce texte capital permet de comprendre et d'apprécier son œuvre, composée de 24 romans, de nouvelles et d'essais. Il écrit : "Passer les faits au crible a pu être une forme de thérapie pour moi". A cette époque, Philip Roth a perdu sa mère et son père va très mal : "Je me demande si je n'ai pas tiré une consolation immense à me remettre dans ma propre peau au moment de ma vie où le chagrin que peut causer la mort des parents n'était pas à l'ordre du jour". Dans sa préface, il justifie sa démarche autobiographique tout en essayant de changer les noms des protagonistes du récit. Sa sincérité se double d'une malice certaine, ne pouvant pas résister à quelques souvenirs réinterprétés, voire inventés. Quand il évoque ses parents et leur culture juive, il décrit une époque où il était difficile d'être considéré comme américain. Il brosse ainsi le portrait de son père : "Avec son sens du devoir chevillé au corps, son industrie jamais en sommeil, son opiniâtreté intrinsèque, ses ressentiments amers, ses illusions, son innocence, ses allégeances et ses peurs,  mon père devait constituer le moule de l'Américain, du Juif, du citoyen, de l'homme et même de l'écrivain que j'allais devenir". Il décrypte aussi ses relations féminines surtout le naufrage de son premier mariage où sa femme l'a retenu en lui mentant sur sa grossesse imaginaire. Il tente une explication sur sa soumission à cette épouse mythomane et paranoïaque : la haine de soi. Philip Roth révèle les "faits" de son existence qui ont formaté son imaginaire d'écrivain. Ce travail remarquable d'introspection, de "visibilité biographique" porte la marque d'un écrivain hors norme. Ses pages lumineuses sur ses parents, sur son frère et sur sa vocation littéraire appartiennent à la légende dorénavant fabuleuse d'un des plus grands écrivains américains du XXe siècle. 

mardi 8 décembre 2020

Atelier Lectures, 2

Je poursuis l'évocation des coups de cœur en citant celui de Chantal : "Femmes puissantes" de Léa Salamé. Ce document regroupe des entretiens intimistes autour de la puissance des femmes. Comment l'exercent-elles ? Quel est le rapport entre féminité et pouvoir ? A travers douze portraits, la journaliste nous invite à rencontrer Elizabeth Badinter, Laure Adler, Amélie Mauresmo, Leïla Slimani, Delphine Horvilleur, etc. Chantal a beaucoup apprécié leurs parcours différents, la ténacité et l'énergie qu'elles déploient toutes, leur culpabilité de ne pas toujours harmoniser leur vie personnelle avec leur vie professionnelle. Un livre tonique et d'un féminisme tout en douceur. Annette m'a envoyé quelques coups de cœur avec des commentaires sur les prix littéraires : "Je commence Mauvignier... Sans doute trop long pour le Goncourt (c'est vrai), comme Toledo, trop dur (c'est vrai), je suis contente pour Le Tellier. Je l'avais lu comme un conte philosophique. A chaque lecteur, ses images. Un homme bien sympathique au demeurant. (C'est encore vrai)". Annette recommande aussi "Un océan, deux mers, trois continents" de Wilfred N'Sondé, paru chez Actes Sud en février 2020. Ce roman historique raconte l'histoire d'un jeune Congolais élevé par des missionnaires au début du XVIIe. Il est désigné par le roi Bakongo comme ambassadeur auprès du pape. Il s'embarque pour l'Europe sur un voilier et son périple se transforme en cauchemar. Son arrivée au Vatican se révèle éclairante : il découvre un monde violent, complotiste et avide de richesses. Un très bon roman historique à découvrir.  Sylvie a proposé un commentaire très instructif sur "L'Anomalie" d'Hervé Le Tellier, Prix Goncourt 2020. Je cite un extrait de son message littéraire : "Il s'agit d'une allégorie sur notre monde actuel en train d'accoucher un drôle de futur. Les outils de notre Oulipien (Ouvroir de Littérature Potentielle) sont la satire, le jeu, l'Enigme". Le conseil final de Sylvie "Lisez" ce super objet hybride, un roman policier, un thriller métaphysique, un prix littéraire de très grande qualité. J'ai incité mes amies lectrices à communiquer leurs coups de cœur et je rendrai compte dans ce blog de leurs lectures. Il nous faut maintenir un lien jusqu'à la reprise de l'atelier en janvier. Partager ces émotions procurées par les livres, par la littérature reste un objectif que je me suis donnée depuis presque une décennie. J'ai lu dans un article de presse que les lecteurs et les lectrices sont plus heureux dans la vie que les non-lecteurs. Je ne serai pas aussi catégorique mais, j'avoue que lire calme l'angoisse, stimule l'esprit et nourrit l'imaginaire. Pas mal, quand même...  

lundi 7 décembre 2020

Atelier Lectures, 1

 Malheureusement, l'atelier Lectures n'a pas eu lieu en novembre pour cause de confinement. Nous devions aborder quelques romans américains publiés en l'an 2000 et aujourd'hui. Je pensais que l'on débattrait de ces lectures en décembre et l'annonce est tombée : la maison de quartier ne peut recevoir l'atelier Lectures. Donc, encore une impossibilité de se retrouver malgré les masques, les gestes barrière, la distance entre participants. Quelques activités sont maintenues comme les ateliers cuisine, l'aide aux devoirs, l'accueil des familles. La culture (ateliers philo et lectures) disparaissent du panorama. Evidemment, ces rencontres ne semblent pas essentielles aux yeux des responsables... C'est bien dommage. Je le regrette beaucoup tout en comprenant l'extrême prudence de l'institution concernant le virus. En attendant, je propose souvent à mes participantes de m'envoyer des coups de cœur. J'ai obtenu quelques réponses que je mentionne dans ce blog pour conserver un souvenir de cette période où le deuxième confinement nous prive de nos rencontres autour du livre et de la littérature. Rien ne vaut la présence physique, le partage des regards, l'écoute des voix, la couleur des vêtements, la gestuelle corporelle, les sourires et les rires, la chaleur humaine. Je n'ai pas eu envie d'établir une rencontre par distanciel, à travers un écran d'ordinateur. J'attendrai janvier en rêvant de revoir toutes les lectrices en vrai, "en chair et en os". Le virus provoque une vie virtuelle et une vie désincarnée sans microbes, sans virus, sans attachement, sans contact... Vivement qu'un vaccin nous redonne notre vie d'avant ! Rien ne vaut la lecture pour oublier cette période difficile, voire dramatique dont les conséquences seront certainement déprimantes. Je démarre l'évocation des coups de cœur avec Régine. Elle a choisi "Château de femmes" de Jessica Shattuck. Trois destins de femmes dans l'après-guerre en Allemagne. L'une est la veuve d'un résistant allemand qui accueille dans un château en Bavière deux autres veuves de résistants contre Hitler et leurs enfants. Leur chagrin commun va-t-il les souder, les aider à se reconstruire malgré la honte et la culpabilité ? Un très bon roman à découvrir. Danièle a relu avec plaisir "Raboliot" de Maurice Genevoix, publié en 1925. Notre Président l'a remis en "selle" depuis sa panthéonisation. Ce bûcheron de Sologne aime braconner et sort la nuit pour poser ses pièges. Mais, un gendarme le traque. Danièle a écrit : "J'aime sentir l'humus de la forêt, côtoyer les étangs, voir se succéder les différents quartiers de la lune et suivre avec Raboliot, le fil des saisons". Pourquoi ne pas lire ou relire ces romans classiques où le terroir acquiert toutes ses lettres de noblesse. La suite, demain. 

vendredi 4 décembre 2020

"La Voyageuse de nuit", 2

 Laure Adler s'insurge sur la notion dévalorisante de la vieillesse : "La jeunesse a pris valeur de modèle pour l'existence entière, reléguant ainsi les âges de la vieillesse non à l'idée de l'accomplissement mais à celle de surplus, de rebut, voire de non-sens". Elle rappelle que l'âge n'est pas un handicap pour la création en citant des écrivains et des artistes qui ont écrit et composé leur chef d'œuvre à 80 ans et plus comme Picasso, Matisse, Victor Hugo, Rembrandt, etc. L'essayiste évoque l'art de vieillir le mieux possible quand on a la chance de ne pas tomber malade. Elle revient souvent sur Simone de Beauvoir qui écrit dans son livre sur "la Vieillesse" : "Tout vieux a été jeune mais tout jeune  n'a pas eu, comme chaque vieux, le privilège de mettre à distance les vacarmes du temps qui obstruent l'intensité du présent". Pour la forme physique, Laure Adler ne cache qu'elle est un peu "au ralenti", qu'elle oublie ses clés, des noms mais, elle ne ressent pas de nostalgie pour le passé. Elle se demande plutôt quand elle voit le printemps poindre : "Combien m'en reste-t-il à vivre ?". Plus loin, elle s'interroge : "La vieillesse serait-elle l'abandon des oripeaux sociaux, le patient et lent recentrement autour de ce qui nous importe vraiment, une sorte de dépouillement de tous les apparats pour arriver enfin à l'essentiel ? " . Elle-même se sentait "désaccordée" dans sa jeunesse et apprécie l'âge de la maturité pour plus de sérénité. Laure Adler n'oublie pas la dimension sociologique de la vieillesse en visitant une EHPAD, donne des chiffres précis, cite des spécialistes. Son carnet intime contient donc aussi des informations solides pour éclairer la situation des aînés dans notre société, le déni de la maladie, l'occultation de la mort. Les dernières pages de l'essai reprennent le chemin de l'intimité et Laure Adler souhaite vieillir le mieux possible : "Garder le goût du monde, trouver chaque jour le sel de la vie, tenter d'être à la hauteur de Simone de Beauvoir qui observe : "Moi je suis devenue une autre, alors que je demeure moi-même". Cet essai revigorant et énergisant se lit avec beaucoup de plaisir surtout quand on se sent concerné et cerné par un âge certain...   


jeudi 3 décembre 2020

"La Voyageuse de nuit", 1

 Laure Adler proclame avec une certaine fierté et une audace certaine qu'elle assume parfaitement ses 70 ans ! Son essai, "La voyageuse de nuit", publié chez Grasset, confirme son optimisme du bien vieillir. Ce carnet de voyage aborde de nombreux sujets liés à l'âge qu'elle illustre avec des références littéraires et historiques.  Elle évoque dès le début de son livre la figure tutélaire de Simone de Beauvoir qui fut la première écrivaine à traiter ce sujet réputé déprimant, difficile et irritant. Son récit entremêle des anecdotes personnelles avec des statistiques sociologiques, des citations sur le phénomène de la vieillesse, des rencontres avec des écrivains comme Marguerite Duras, Dominique Rolin, Annie Ernaux, Nathalie Sarraute, Mona Ozouf, etc. Elle écrit en constatant son visage dans un miroir : "Ce sentiment qu'on est encore dans le réel, mais de manière moins acérée, plus brouillonne, avoir à y penser alors qu'avant tout cela nous était donné comme une évidence, serait-ce cela vieillir ? Vieillir serait-il divorcer d'avec le monde ? (...) Comment maintenir ouverte et battante cette porte qui mène vers la vieillesse ? Ne pas la refuser. Ne pas s'y habituer". Laure Adler analyse ce sentiment de "prendre de l'âge" qu'il est souvent difficile d'accepter et surtout d'appartenir à la catégorie des "vieux". Alors que par le passé, les hommes et les femmes âgés attiraient le respect et l'admiration, notre société contemporaine considère cette classe d'âge comme des citoyens inutiles, coûteux et encombrants. Laure Adler ne supporte pas cette vision de la vieillesse. Ses conseils frappent juste : "Etre sans arrêt en éveil, sans le vif de l'existence, ne pas se décevoir, tenir bon malgré les embûches et ne jamais se plaindre. (...) Cela suppose un humour certain, une santé de fer, du courage, une prise de distance. La vieillesse ni comme un destin tragique, ni comme un ensommeillement généralisé, mais comme un art de vivre". Cet art de vivre, Laure Adler le cultive à merveille et son optimisme devient communicatif. Cumuler des années ne ressemble plus à un long crépuscule. Bien au contraire : "On gagne plus que ce qu'on perd : on gagne le détachement, une certaine sérénité, un je-m'en-foutisme jubilatoire, une joie des petits instants - le goût du thé, une éclaircie de bleu un jour de de novembre, une chanson à la radio - on sait qu'on est là quand même dans le flux de la vie".  (La suite, demain)

mercredi 2 décembre 2020

"Les Furies"

 Lauren Groff, écrivaine américain, née en 1978, a écrit un roman, "Les Furies", que j'ai choisi dans ma liste "littérature américaine contemporaine" dans le cadre de l'atelier Lectures de novembre. Publiée en 2017 chez l'Olivier, cette histoire haletante et palpitante laisse le lecteur(trice) hagard et quelque peu effrayé. Pourtant, le début du texte pourrait s'apparenter à un conte de fées entre une Cendrillon et le Prince charmant, Mathilde et Lotto, tous les deux sublimement jeunes et beaux. Ils se rencontrent dans une soirée d'étudiants et quinze jours après, ils se marient malgré l'opposition de la mère de Lotto. Mathilde n'a pas de famille, manque d'argent et Lotto se voit les aides financières interrompues. Il est comédien mais n'arrive pas à percer. Un soir, il compose une pièce de théâtre et rencontre le succès. Il devient un dramaturge reconnu et Mathilde l'accompagne dans l'ombre. Ce couple idéal, soudé par une entente sexuelle parfaite, complices et complémentaires, forme un axe immuable pour affronter les déconvenues de la vie sociale. Autant Lotto semble transparent, toujours lumineux, attirant le regard admiratif de ses amis et lecteurs, autant Mathilde cache bien son jeu. Le roman explore les méandres d'une vie en couple avec un déséquilibre flagrant. Lotto n'est au fond qu'un pantin pour sa femme et elle tire les fils à sa guise. Ce garçon naïf, autocentré et trop aimé, ne voit pas en fait la vraie nature de sa femme. Dans la deuxième partie du livre, Mathilde prend la parole et dévoile enfin ses ténèbres intérieures. Sa lucidité dévastatrice lui fait dire : "Le mariage est un tissu de mensonges. Gentils, pour la plupart. D'omissions. Si tu devais exprimer ce que tu penses au quotidien de ton conjoint, tu réduirais tout en miettes". Mathilde raconte son geste fatal lors de son enfance en France : elle a poussé son petit frère dans un escalier. Et il n'a pas survécu à cet accident. Alors, la petite fille est expédiée aux Etats-Unis chez un oncle suspect. Sa jeunesse solitaire la mènera à New York où elle se prostituera pour financer ses études par un galeriste d'art. Ce passé sordide et glauque la poursuit sans cesse et seul Lotto l'apaise et la rend heureuse. Lotto a été aimé, admiré, sollicité, célébré, narcissisé. Mathilde a été rejetée, détestée, honnie, esseulée. L'amour de Lotto répare les failles de sa femme. L'amour de Mathilde va jusqu'au sacrifice, jusqu'à l'effacement de soi. Une histoire fusionnelle, une histoire explosive qui ne pouvait pas durer. Je ne révèlerai pas la fin du roman. Les révélations de Mathilde pulvérisent cette histoire d'amour contemporaine. Ce roman baroque, sulfureux, original par sa construction, donne un peu le vertige. Lauren Groff décrypte les ambiguïtés de l'amour, la folie du couple, le règne du mensonge.  Un roman fort, dérangeant et pourtant passionnant à lire. 

mardi 1 décembre 2020

Retour au lac

 Dès samedi, je me suis réveillée en me disant : enfin, le lac ! Le Président a quand même desserré les liens qui entravaient notre liberté originelle. Parfois, je pense à nos années d'avant et à notre façon de vivre : partir où on veut, traverser les frontières, prendre un avion, visiter des villes et des régions, arpenter des bouts de pays étrangers. Vivre tout simplement la marche du monde. Trois mois de confinement au total, cela commence à peser sur notre moral. Le slogan sanitaire prime encore aujourd'hui et encore pour quelques semaines : restez chez vous ! Il n'y a pas d'autres alternatives. Comme j'avais enfin le droit de sortir pendant trois heures et à vingt kilomètres, j'ai saisi ce moment pour retourner au lac du Bourget à une dizaine de kilomètres de chez moi. Direction, Aix-les-Bains. J'ai garé ma voiture sur le petit port. Presque personne vers 13h... Me serais-je trompée de jour ? Je m'imaginais une ruée vers ce lieu si majestueux surtout après un mois de privation. Munie de mon masque, j'ai aperçu mes premières mouettes virevoltant autour des voiliers. Une d'elles m'a même souhaité la bienvenue en me frôlant. Je me suis avancée vers l'esplanade et là encore, personne à part quelques jeunes gens. J'ai compris aussi la raison de la non-fréquentation du site : aucun restaurant ouvert, manèges fermés, jeux pour les enfants disparus du paysage aixois. Pourtant, un soleil illuminait le lac en le couvrant d'écailles argentées et miroitantes. J'ai poursuivi ma balade tranquille en m'émerveillant à chacun de mes pas de ce panorama grandiose : le lac ressemblait à une petite mer intérieure. Arrivée au port, même ambiance silencieuse avec tous les restaurants clos. J'ai atteint le Jardin vagabond en constatant le déshabillage des arbres sans leurs feuilles. Dans la cabane aux livres, j'ai farfouillé dans les étagères et j'ai déniché un Jacques Lacarrière, "Chemin faisant", un Gide en poche, "L'Immoraliste" et un livre ancien illustré de belles gravures, "Les voyages de Gulliver". Une bonne récolte pour la journée... En début d'après-midi, les amoureux du lac se baladaient avec une sérénité retrouvée. Ma promenade avait duré presque deux heures. J'ai fait une halte aux Mottets pour dire bonjour à mon aigrette qui se cachait dans la roselière. Il ne me restait plus qu'un quart d'heure pour rejoindre Chambéry... J'avais oublié le laps temporel accordé par le gouvernement. J'ai repris le volant et je suis arrivée à temps... Pas de gendarme sur la route mais une règle morale en soi : ne pas dépasser la dose d'air accordée par notre Etat protecteur, un peu trop protecteur ? 

vendredi 27 novembre 2020

"Histoires de la nuit"

 Laurent Mauvignier fait partie d'une maison d'éditions commune à beaucoup d'écrivains français d'une qualité littéraire incontestable, les Editions de Minuit,  à la couverture blanche et aux titres imprimés en bleu. Un de ses derniers romans, "Continuer" avait obtenu un grand succès, ce qui n'est pas toujours évident pour un auteur "Minuit". Dans son dernier roman de 600 pages, "Histoires de la nuit", l'intrigue ressemble à un thriller palpitant. Patrice Bergogne, un des personnages clés, vit dans un hameau composé de trois maisons. Agriculteur-éleveur, il s'est marié avec une fille de la ville, Marion, et ils ont une petite Ida. Mais, le couple ne va pas très bien. Cet homme discret et silencieux n'en revient toujours pas de la chance d'avoir rompu son célibat dans un coin de compagne peu attractif. Quand il regarde sa femme et sa fille, heureuses et complices, il se sent marginalisé : "Quelque chose le blessera, il les entendra rire toutes les deux, quelque chose le renverra à un sentiment lointain, perdu dans les brumes de son enfance, la sensation d'être exclu, surnuméraire, peut-être déjà oublié ou inutile". Ce mal-être, ce malaise, souvent provoqués par un sentiment d'humiliation, circulent constamment chez les protagonistes du roman. Marion travaille dans une imprimerie et son esprit rebelle lui attire des ennuis. Ida, leur petite fille, se refugie souvent chez leur voisine, Christine, une artiste septuagénaire, venue de Paris et en retrait de la vie sociale, se consacrant à la peinture. Elle devient un peu la grand-mère symbolique de la petite Ida. Marion doit fêter ses quarante ans et Patrice veut préparer cette fête à la perfection. Il part dans la ville la plus proche et même s'il est amoureux fou de sa femme, il fréquente une prostituée. Quand il revient chez lui, un autre surprise l'attend. Trois hommes se sont invités dans la ferme. Qui sont ces inconnus ? Que veulent-ils ? Ils semblent liés au passé mystérieux de Marion. Un huis clos éprouvant va commencer pour la famille et ces inconnus menaçants. Les deux collègues de Marion s'invitent aussi dans ce cercle infernal de la prise d'otages. Laurent Mauvignier manie le suspens avec une maîtrise implacable et la violence des personnages va crescendo jusqu'à la fin de ce règlement de comptes. Dans un article du Monde des Livres, le critique écrit : "Plus la phrase s'allonge, plus l'angoisse augmente et plus le lecteur est attentif à ses ondulations, ses changements de rythme, ses relatives et autres volutes digressives et plus, à nouveau, le suspens s'accroît". Ce roman prend les allures d'un conte noir où chacun recèle un secret honteux. Un grand roman d'une écriture somptueuse où la violence régit les comportements des uns et des autres et même la petite Ida se voit contaminée par cette pulsion pour défendre sa propre vie. A lire pour découvrir une prose proustienne au service d'une intrigue à la Hitchcock.  Un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire. 

mercredi 25 novembre 2020

Bientôt, le bout du tunnel

 Retenons bien les leçons de notre Président hier à la télévision : oui au déconfinement à partir du 18 décembre sous conditions. Ne dépassons pas la barre des 5000 contaminés par jour. Sinon, retour à la case départ. J'ai l'impression de jouer depuis le mois de mars à un immense jeu de l'oie. Les dés peuvent mener à la case "Prison", ce que nous avons vécu pendant trois mois au printemps et à l'automne. Le virus circule comme un ennemi invisible et beaucoup de précautions devront être respectées : couvre-feu à 21 heures, déplacements limités à 20 kms pendant 3 heures, possibilité de changer de département pendant les Fêtes de Noël. Le Président a quand même compris qu'il fallait relâcher la pression sur cette règle absurde du kilomètre autour de son pâté de maisons. Sinon, la nature nous manque, les parcs et jardins, les balades au bord du lac (enfin !) aussi. Je ressentais cette envie de revoir le lac du Bourget en prétextant une course, j'ai poussé la voiture jusqu'au Viviers-du-Lac et j'ai marché dix minutes sur l'esplanade. Revoir une mouette m'a remplie d'une joie fulgurante... Enfin, je revenais à la source de cette émotion donnée par un paysage unique. Le revoir en cachette en transgressant la consigne de cette assignation à domicile m'a semblé un geste au fond un peu anodin et j'étais prête à régler une amende. Les magasins vont ouvrir leurs portes samedi et ils seront certainement bien fréquentés. Pour ma part, je préfère prendre l'air, marcher, me balader, contempler, observer ce qui m'entoure. Merci, Monsieur Le Président, vous avez perçu même au fond de votre Palais de l'Elysée que les séniors avaient besoin de se dégourdir les jambes, que les joggeurs en avaient assez de tourner en rond, que les enfants ont besoin de parcs et de jardins en ville. Les librairies vont enfin ouvrir dès samedi, les bibliothèques aussi. Les cinémas reviennent après le 18 décembre. On avait fini par oublier cette dimension culturelle dans notre quotidien : fureter dans une librairie, s'installer dans un fauteuil pour voir un film, emprunter un livre à la Médiathèque. La liberté retrouvée dans quelques jours même sous conditions va apporter un bien être certain, un meilleur moral malgré la menace permanente d'être contaminé. Notre mémoire collective sera marquée par le tragique du  virus, un repoussoir, antisocial, anti-culturel, anti-amour, anti-amitié, anti-travail et anti-vie. Vivement un vaccin terrassant ce dragon effrayant du 21e siècle !

lundi 23 novembre 2020

"Les secrets de ma mère"

 Jessie Burton, jeune écrivaine anglaise, avait écrit un roman formidable, "Miniaturiste", que l'on trouve en Folio. Son troisième opus, "Les secrets de ma mère", paru en septembre chez Gallimard, met en scène trois personnages féminins : Elise, Constance et Rose. Le roman est construit sur deux temporalités. En 1980, en plein cœur de Londres, Elise, 20 ans, d'une beauté naturelle, rencontre Constance, une trentenaire, romancière célèbre dont le premier roman va être adapté au cinéma. Connie possède un charme irrésistible et Elise l'accompagne à Los Angeles pour réaliser l'adaptation du roman. Mais, autant l'écrivaine à succès succombe à la folie de cette ville avec son milieu d'acteurs, autant Elise se sent délaissée, ignorée et commence à perdre pied. Au cours d'une soirée où sa compagne et la star du moment s'embrassent, Elise se sent trahie et comprend qu'elle n'est qu'un jouet dans les bras de Connie. Elle décide de quitter son amante par dépit, par jalousie et entreprend une relation avec son moniteur de surf.  Elle va tomber enceinte à New-York et abandonne sa petite fille la laissant aux soins de son nouveau compagnon. Trois décennies plus tard, Rose, sa fille, cherche des réponses sur sa mère. Son père lui a confié deux romans de Connie et lui révèle la liaison de sa mère avec l'écrivaine. Quels sont donc ses secrets ? Elle n'a aucune trace, aucun témoignage sur cette Elise disparue, évaporée dans la nature. La jeune fille a découvert que Constance Holden est la dernière personne à avoir vu sa mère. Connie vit à Londres, s'est retirée de la vie publique et n'a plus rien écrit. Rose trafique un CV pour se faire embaucher par l'écrivaine qui accepte de l'engager. Tout se déroule à merveille dans le rôle que joue Rose. Elle se rend indispensable dans le quotidien de Connie. Rose néglige même son compagnon pour s'investir dans sa nouvelle tache et abandonne son projet de maternité. Or, un jour, une amie de Connie découvre l'imposture de Rose et lui révèle la véritable identité de son accompagnatrice. Comment Connie va-t-elle réagir ? Ce roman explore les facettes du féminin à travers ces trois héroïnes : le rôle de l'amour, les difficultés du couple, de la maternité, de l'identité. Dès que l'on ouvre la première page, on s'installe dans le livre comme dans un fauteuil anglais, cosy et confortable à côté d'un poêle à bois et avec une tasse de thé. Jessie Burton a reçu un héritage fabuleux avec ses sœurs ainées en littérature : Anita Brookner, Iris Murdoch, Doris Lessing, Margaret Drabble, etc.  A lire sans modération... 

jeudi 19 novembre 2020

"Le bonheur, sa dent douce à la mort"

 Barbara Cassin, philosophe, philologue et académicienne, vient d'écrire une autobiographie philosophique au titre rimbaldien : "Le bonheur, sa dent douce à la mort", publiée chez Fayard. Elle a composé cet ouvrage singulier avec l'aide de son fils Victor, son confident préféré : "De l'anecdote à l'idée. Voilà ce que j'essaie de cerner dans cette autobiographique philosophique". Mais, il n'est pas question d'un entretien traditionnel. Le fil du récit se développe à un rythme trépidant et d'une vivacité communicative. L'anecdote devient l'élément déclencheur dans la mémoire de la philosophe et par ce biais original, surgissent des fragments de vie qui ont façonné la narratrice. Ses parents : "Du couple qu'ils formaient, j'ai compris deux choses qui perdurent. D'abord que, aimer, c'est ouvrir les possibles ; cela m'est revenu à chaque moment clef de vie-et-pensée". Elle raconte un souvenir de famille où elle s'est sentie particulièrement aimée quand elle s'invitait petite fille un soir à la table des convives où ses parents l'accueillaient gentiment sans la renvoyer au lit : "Trois fois, c'est l'infini. Il n'y aura pas de trop, ce ne sera jamais trop. Voilà ce que j'ai appris de ma famille et que, je l'espère, j'ai transmis à la mienne". Barbara Cassin avoue avec une franchise détonante qu'elle préfère le mensonge à la vérité surtout dans les relations humaines et nie la logique absolutiste du "UN". Elle aime le relativisme, la multiplicité, l'éclectisme. Car son récit, semé d'anecdotes, rebondit sans cesse sur des considérations philosophiques. C'est son métier, la philosophie. Le texte ne peut pas évacuer cette dimension. Ses rencontres avec René Char, Heidegger, Lacan, Mandela, Homère, Platon,  montrent le goût de l'autre, des idées, des univers différenciés. Elle livre une de ses pensées essentielles : "C'est pourquoi politique et esthétique sont liées à mes yeux. La culture, ça s'apprend. La beauté du monde, ça s'apprend aussi. S'il existe un devoir politique, c'est de les enseigner, c'est à dire d'ouvrir des possibles". Elle relate avec délicatesse la fin de vie de son mari, Etienne, atteint d'un cancer au cerveau et ces pages sont d'une humanité extraordinaire. Ce récit autobiographique se lit avec délectation, constitue un exercice intellectuel de haute volée et aussi un hommage à la liberté, à l'amour et à la philosophie. Un témoignage fabuleusement intéressant d'une femme rebelle et très belle. 

mardi 17 novembre 2020

Le goût de l'avenir

 Quel mois de novembre ! Entre le confinement imposable et les attentats effroyables, il faut raison garder... J'ai récemment lu un article signé de Geneviève Brisac et je me suis reconnue dans ses réactions après la conférence de notre Premier Ministre avec ses collègues ministres. Il ne plie pas notre grand Maitre de l'Etat, nous laissant dans une hébétude interrogative. Seules les statistiques comptent : tant de lits de réanimation, tant de cas de contamination, tant de réduction de trajets, de salariés en télétravail, etc. Un tourbillon de chiffres, un gouffre mathématique sans parler de la pratique de la "modélisation". L'écrivaine raconte sa migraine en écoutant ces relevés de compte. Moi aussi, je me sentais cernée par un malaise existentiel devant cette conférence documentée, chiffrée, préparée par des fonctionnaires robotisés. Neutralité, autorité, légitimité. Des discours secs et objectifs. Rien sur le moral des Français, rien sur les malades, aucune pensée pour les petits commerçants en faillite. L'adjudant chef s'exprimait en mode automatique. Dommage pour cette perte de compassion et d'empathie. Peut-être notre chef de gouvernement possède un cœur dans le privé mais à la télévision, il joue le rôle du Commandeur dans la pièce de Don Juan : attention aux petits malins qui veulent jouer solo, qui trichent un tout petit peu en s'écartant d'un kilomètre dans le périmètre obligatoire. Les librairies ont perdu leur clientèle sauf les plus fidèles au détriment du distributeur américain. Des pans entiers se craquèlent dans la société : personne n'applaudit les soignants épuisés, personne ne pense à Noël, les jeunes s'inquiètent pour leurs études et leur premier contrat de travail. Les Catholiques veulent assister à des vraies messes... Les commerçants manifestent partout. Et patience, il faut attendre que les hôpitaux se vident pour nous rendre un peu de liberté pour la fin de l'année. Heureusement, le vaccin va nous sauver dans trois, six mois et encore, on en sait trop rien. Je pense donc à notre avenir sans la menace de ce virus qui plane sous notre nez alors que je respecte parfaitement les précautions recommandées. J'ai vécu un petit moment d'avenir jeudi dernier avec une visio-conférence de l'atelier Philosophie de la Maison de quartier. Agnès avait réuni une dizaine de participants grâce à une application et nous avons partagé un bon moment de réflexion sur la laïcité, le blasphème, la place des religions dans notre société. Deux heures qui m'ont rappelé les rencontres conviviales autour des idées et de la philosophie. Un bain de jouvence, d'intelligence et de culture à travers nos écrans. Rien ne vaut la présence humaine en mode réel mais cette intervention sur internet a certainement provoqué en chacun de nous une hausse de notre moral parfois bien fragilisé par le confinement. Vivement l'avenir !

lundi 16 novembre 2020

"Saturne"

 Sarah Chiche, psychanalyste clinicienne, vient d'écrire un récit crépusculaire, "Saturne", publié au Seuil en fin août. Ce récit autofictionnel ne se lit pas sans prendre un risque : celui de sombrer dans une certaine mélancolie. Quand la littérature et la psychanalyse se mélangent avec talent, la frontière entre ces deux disciplines s'efface en annulant les influences de l'une sur l'autre. La narratrice, l'écrivaine en personne, raconte son odyssée familiale en imaginant la vie de ses parents jusqu'à sa naissance. Imaginés ou réels, les évènements vont se déployer dans un style d'une sensibilité exacerbée. Lors d'une conférence à Genève en 2019, la narratrice rencontre une femme qui aurait connu son père pendant la Guerre d'Algérie. Disparu en 1977 à 34 ans d'une leucémie foudroyante, il laisse sa fille de quinze mois, orpheline à vie. Cette rencontre déclenche un retour fulgurant dans le passé d'un homme à la réputation sulfureuse au sein de la famille.  Issu d'une lignée de médecins en Algérie française, il se rejoint le continent avec son père qui construira un empire médical en France. Ils vivent tous dans un Château normand et forment un clan apparemment soudé. Harry, le père de la narratrice, mène une existence contraire aux vœux de ses parents. Il commence la médecine comme son solide frère, Armand, avec qui il ne s'entend pas et abandonne ses études peu après. Il vit à Paris où il flambe l'argent dans les casinos. L'écrivaine raconte l'amour fou de son père pour une femme d'une beauté venimeuse et quelque peu mythomane. Il se marie avec elle en contrariant son clan et donne naissance à une petite fille. La deuxième partie du récit autobiographique se concentre sur la dépression dévastatrice de la narratrice pendant trois ans après le décès de sa grand-mère. Elle traverse cette période dans sa jeunesse et quand elle en réchappera, elle comprendra le sentiment de perte qui l'a enserrée, enterrée vivante. Son deuil impossible à réaliser s'atténuera quand elle visionnera un petit film sur sa naissance où elle se voit dans les bras de son père, ce père qui l'a tant aimée. Cet amour retrouvé, cet amour révélé provoque chez elle une renaissance bien que mêlée d'une mélancolie toute saturnienne. Dorénavant, sa deuxième naissance se nomme écriture. Ce beau récit intime au style lancinant ressemble à un diamant noir dans les nouveautés de la rentrée. Dans un entretien sur France-Culture, Sarah Chiche se confie sur son père : "On ne fait pas son deuil, c'est une expression abominable, mais on fait avec le deuil. Certains s'en remettent, mais il arrive que d'autres se laissent mourir avec leur mort, dans leur mort, et n'en reviennent pas. Et puis, certains en reviennent, mais demeurent en eux, une béance, un blanc". Une écrivaine à suivre, dorénavant. 

jeudi 12 novembre 2020

"Ceux de 14" au Panthéon

 En regardant la cérémonie du Panthéon concernant Maurice Genevoix et les soldats morts en 14-18, je me suis demandée si c'était bien le moment d'organiser un tel événement après les attentats, la crise sanitaire, le désarroi des commerçants, les problèmes récurrents d'une société fragilisée et vulnérable. Evidemment, le Président Macron possède un talent certain pour les commémorations, les célébrations et les enterrements. Ces temps de ponctuation républicaine apportent une respiration dans le corps social enserré dans un tourbillon de faits réels durs à encaisser. Quand j'avais appris le nom du panthéonisé, Maurice Genevoix, que peu de Français connaissent, j'étais un peu étonnée de ce choix prudent. J'avoue que je préfère de loin d'autres voix littéraires sur cette guerre de 14-18 comme Henri Barbusse et Céline. Dans son discours rassembleur, le Président a évoqué le courage des camarades du Lieutenant Genevoix et il n'a pas oublié Charles Péguy, Alain-Fournier, Jean Giono, Apollinaire. Il a cité des soldats de toutes origines et même une femme soldat, Marie Marvingt qui se déguisa en homme pour aller combattre dans les tranchées. "Ce cortège de braves" entre donc au Panthéon. Ce moment de recueillement, vécu sans public, a certainement provoqué chez les Français un retour sur des passés familiaux. Pour ma part, j'ai songé avec regret à deux frères de ma grand-mère maternelle qui sont morts en 14 au front. Ils avaient 18 et 20 ans et s'appelaient Romain et Denis. Mon grand-père maternel a aussi fait cette guerre comme maréchal des logis et a peut-être croisé dans un champ de mines Maurice Genevoix et beaucoup d'anonymes qui sont partis en fumée. Je n'ai jamais posé de questions à ce grand-père, militaire de carrière. Sur son bulletin de guerre, j'ai lu cette note : "Très bon sous-officier, a donné constamment le plus bel exemple d'énergie et de dévouement. A rendu les meilleurs services accomplissant ses missions avec calme et sang froid et dans des conditions souvent périlleuses en Champagne en juillet 1918". Ce grand-père taiseux n'a jamais parlé de "ses guerres" et moi, jeune fille de quinze ans, je n'ai posé aucune question sur sa vie... Comment peut-on être aussi stupide ? Il est mort dans son silence. Tous ces soldats ont traversé l'enfer en 14 et il fallait peut-être que des écrivains s'expriment avec leur langage pour nous faire partager leurs tourments éternels. Malgré l'absence du public, cette cérémonie m'a semblé réussi par sa gravité. Un retour dans une Histoire française où chacun d'entre nous a senti les fantômes de quelques ancêtres, devenus proches et intimes, près de cent ans après leur disparitions. Dans ce contexte, un grand artiste allemand, Anselm Kiefer, a proposé six sculptures placées dans des vitrines de verre et d'acier et on entendait une œuvre sonore de Pascal Dusapin, mêlant un chœur,  distillant 15 000 noms de soldats morts durant la Grande Guerre. Je vais lire dorénavant "Ceux de 14" de Maurice Genevoix... 

mercredi 11 novembre 2020

Gaston Bachelard

 Depuis lundi, j'écoute en podcast l'émission d'Adèle Van Reth, "Les Chemins de la Philosophie" sur Gaston Bachelard. Ce grand philosophe français à l'accent rocailleux de sa Champagne natale a été choisi par l'animatrice à cause du confinement. Le thème de la maison constitue le premier sujet et pour le philosophe, la maison est notre "coin du monde", "un véritable cosmos". De la cave au grenier, ce lieu originel stimule l'imagination, la rêverie. Dans l'intitulé du premier volet sur Bachelard, surgissent ces questions : "Comment habiter oniriquement ? Comment rêver peut-il nous aider à mieux vivre notre confinement ? Logé partout, mais enfermé nulle part, telle est la devise du rêveur de demeures". Le livre emblématique, "La poétique de l'espace", publié en 1957, apporte ces réponses. Gilles Hieronimus, professeur de philosophie présente les concepts du philosophe ainsi : "Pour lui, la rêverie n'est ni le rêve, ni la rêvasserie, mais une démarche active et passive à travers laquelle nous nous rendons réceptifs à l'esprit des lieux pour développer une rêverie personnelle. Rêver chez soi permet de mieux habiter". Les quatre émissions sont vraiment très intéressantes et permettent de bien comprendre ses œuvres, surtout celles qui composent son approche poético-philosophique sur le feu, la terre, l'eau et l'air. En écoutant les spécialistes qui répondaient aux questions pertinentes d'Adèle Van Reth, je me retrouvais en compagnie d'un philosophe que je retrouvais après quelques années où je l'avais perdu de vue comme tant d'écrivains que l'on ne lit plus et qu'on aime pourtant beaucoup. J'avais acheté un de ses livres chez son éditeur légendaire, José Corti qui se tenait à la caisse dans sa librairie du Luxembourg. J'ai repris un des livres du philosophe dans ma bibliothèque, "Le Droit de rêver" et je suis tombée sur ce texte, "Paradis", concernant la lecture : "Je voudrais que chaque jour me tombent du ciel à pleine corbeille les livres qui disent la jeunesse des images. Ce vœu est naturel. Le prodige est facile. Aussi, dès le matin, de"vant les livres accumulés sur ma table, au lieu de la lecture, je fais ma prière de lecteur dévorant : "Donnez nous aujourd'hui notre faim quotidienne..." Car là-haut, au ciel, le paradis n'est-il pas une immense bibliothèque ?".  Grâce à France-Culture et aux Chemins de la Philosophie, je vais me remettre à relire Gaston Bachelard,  comme des retrouvailles avec un vieil oncle à la barbe blanche qui parle du feu, de l'air, de la terre, de la chandelle, de la solitude, de la maison et du droit de rêver. Tout un programme... 

mardi 10 novembre 2020

La lecture, un remède anti-confinement

 Presque deux semaines de confinement à ce jour... La Savoie semble touchée avec presque quatre cents malades hospitalisés à cause du Covid. Se confiner, c'est se protéger du virus et protéger les autres. Plus de discussion, la solution s'imposait d'elle-même. Evidemment, rester chez soi en sortant peu, à part une course en voiture ou une marche quotidienne, demande un effort que l'on n'aurait pas pu imaginé l'année dernière. Vivre corseté à cause d'une pandémie mondiale n'était pas une possibilité même si certains romans d'anticipation et des séries dystopiques mentionnaient cette catastrophe sanitaire, un futur non désirable, une utopie d'effondrement. Nous sommes tous et toutes embarqués dans ce nouveau monde, dans ce cercle suspicieux où chacun essaie de cultiver l'art de l'esquive et l'attente. Pour ma part, je dégaine avec détermination mes armes de guerre contre ce satané virus : la lecture et la musique. Je passe d'un roman à un ouvrage de philosophie, je feuillète mes livres d'art, j'ouvre une Pléiade pour trouver une référence, je range mes bibliothèques, je trie les revues littéraires et je lis la presse, surtout Le Monde. Avec la crise, des articles m'éclairent sur cet événement invraisemblable qui bouleverse notre quotidien. Serge Tisseron, psychiatre connu, analyse les conséquences du Covid dans la santé mentale. Se priver des liens familiaux et sociaux entraînera des dégâts sur le psychisme. Il évoque l'épisode douloureux des EHPAD où nos aînés ont été séparés de leurs proches. Plusieurs sentiments d'angoisse se télescopant en même temps, Serge Tisseron en retient quatre : "la mort physique, la mort sociale, la mort psychique et la disparition de l'espèce". Il demande une aide psychologique accessible pour tous ceux qui se sentent en "insécurité psychique". Avec l'irruption insupportable des attentats islamistes récents, le moral des Français ne s'est pas amélioré. Le psychiatre semble soulagé de vérifier que le deuxième confinement épargnera nos aînés qui peuvent recevoir, même au compte-gouttes, leurs familles. Pour lutter contre ces 'jours sans fin" comme le disait notre Président, il faut donc lire, s'informer, se cultiver, s'aérer, regarder les nuages, se plonger dans la rêverie, prendre son temps, apprécier la lenteur, espérer un vaccin (il arriverait en 2021), traverser avec patience et courage ces semaines difficiles surtout pour les tous ceux et toutes celles qui sont bien plus exposés au virus. Pour les autres,  respectons les consignes ! 

lundi 9 novembre 2020

"Les Inséparables"

 La fille adoptive de Simone de Beauvoir a décidé de publier un roman inédit de la plus grande écrivaine féministe française et je n'ai pas hésité une seconde, je l'ai acheté chez Garin dès sa sortie. Ce roman court et dense, "Les Inséparables", écrit en 1954 et publié chez L'Herne, a donc mis plus de soixante ans pour sortir du tiroir. L'écrivaine reprend l'histoire qu'elle a vécu avec Zaza, son amie de cœur, son premier amour qu'elle a rencontré à l'âge de dix ans. Son autobiographie monumentale publié dans la Pléiade évoque cet amitié amoureuse dans le premier tome, "Souvenirs d'une jeune fille rangée". Les deux petites filles se rencontrent dans un cours catholique et ne vont plus se quitter. La jeune Andrée (Zaza) fascine Sylvie (Simone) à cause de son caractère bien trempé, de sa culture littéraire, de son esprit de liberté. Au collège, les professeurs la trouvaient très originale, un peu trop subversive. Andrée excelle à l'école, joue au piano et au violon, aime cuisiner et coudre. La narratrice constate avec admiration qu'elle a reçu "un don", celui de la "personnalité", "une enfant prodige". Sylvie se rend vite compte de cet attachement pour Andrée : "Je comprenais soudain avec stupeur et joie, que le vide de mon cœur, le goût morne de mes journées n'avaient qu'une cause : l'absence d'Andrée. Vivre sans elle, ce n'était plus vivre". Andrée se sent trop surveillée par sa famille très catholique et corsetée par les préjugés de sa classe. Elle veut choisir sa vie en se libérant de la tutelle familiale. On retrouve un personnage emblématique prénommé Pascal (le philosophe existentialiste, Maurice Merleau-Ponty), qui refuse de se marier avec Andrée, très amoureuse de lui. Avec Andrée, la jeune Sylvie découvre la cruauté d'un monde bourgeois, l'étroitesse d'esprit et le conformisme étouffant. Le destin de la jeune fille se termine tragiquement car elle meurt d'une encéphalite foudroyante à l'âge de 23 ans. Ce roman retrace donc un double destin : les deux jeunes filles subissent une assignation dans leur famille. L'une va en mourir, l'autre va survivre et deviendra une icône de la littérature française. Ce roman constitue une pièce de curiosité dans l'œuvre entière de l'écrivaine qui revient fortement sur le devant de la scène littéraire avec une biographie monumentale de l'universitaire anglaise Kate Kirkpatrick, "Devenir Beauvoir", publiée chez Flammarion. Après la découverte de ce roman d'apprentissage où affleure déjà le besoin de liberté de nos deux héroïnes, je vais me remettre à lire l'autobiographie dans la Pléiade, une plongée culturelle vivifiante dans la France du XXe, un âge d'or de la pensée française avec le couple mythique Sartre-Beauvoir. 

vendredi 6 novembre 2020

Apprendre une langue étrangère

 Une semaine de confinement est déjà passée... Encore trois et peut-être retrouverons-nous notre liberté habituelle : sortir sans attestation, revoir sa famille, ses amis, se balader à dix kilomètres de chez soi ou retrouver les sentiers de la montagne, aller dans un petit magasin, pousser la porte d'un restaurant, s'installer dans un fauteuil pour voir un bon film au cinéma, etc. Pour tenir et se maintenir, il nous faut un horizon lisible et ne pas tout de suite s'inquiéter sur des mois de confinement. Le mental refuse de considérer cette hypothèse pessimiste. Pour garder une bonne forme morale, je m'imagine déjà au volant de ma voiture en décembre pour revoir mon cher lac du Bourget. Cet après-midi, j'ai inauguré le "drive" de la bibliothèque de La Motte-Servolex où j'avais rendez-vous à une heure précise. Les lecteurs-trices peuvent retirer leurs réservations et même envoyer une liste de livres pour bénéficier de ce service. Il en sera de même pour la Médiathèque de Chambéry. Les mairies réagissent plus vite pour satisfaire les amoureux des livres et de la littérature. Le confinement se révèle plus vivable dans ces conditions. Pour moi, ancienne libraire et bibliothécaire à la retraite, le livre est un produit essentiel, évidemment. Le jour où tous ces lieux culturels disparaîtront de notre paysage urbain, nous deviendrons des zombies informatisés. J'espère que je ne verrai jamais ce phénomène. Depuis le mois de mars, j'ai regretté mes escapades en Italie que j'avais prévues : le Latium, l'Ombrie et la Sicile... L'Italie me manque et pour garder un lien avec ce pays si attachant, j'ai décidé d'apprendre l'Italien. Je connais l'espagnol assez bien, l'anglais très mal, le grec ancien et le latin et là, il fallait vraiment que je me lance dans l'apprentissage de cette belle langue que j'écoute souvent avec plaisir quand je voyage là-bas, que j'écoute des opéras, des films en version originale. Inscrite à Babbel, j'avance bien grâce à ce site et je travaille aussi sur un cahier d'exercices. Quel plaisir d'apprendre les conjugaisons, le vocabulaire, les expressions, les pronoms, etc. !  Je suis en Italie tout en restant chez moi. Apprendre une langue étrangère, l'Italien, en particulier, c'est déjà entreprendre un voyage virtuel à travers l'un des pays les plus beaux du monde.  Je collectionne les mots comme des beaux objets, surtout ceux qui ont une consonnance rieuse comme le coquelicot, qui se dit papavero. Pendant le confinement, apprenons une nouvelle langue étrangère : l'allemand, le chinois, le basque, l'occitan et tant d'autres ! 

jeudi 5 novembre 2020

"Art nouveau"

 Un roman de Paul Greveillac, "Art nouveau", publié chez Gallimard a attiré mon attention. Très "Mitteleuropa", ce récit remarquable évoque un architecte, Lajos Ligeti, à la fin du XIXe. Apprenti, il quitte Vienne qu'il déteste pour Budapest. Ses parents pharmaciens d'origine juive le laissent partir à regret. Sa vocation dévorante de l'architecture le pousse à conquérir sa place comme un jeune Rastignac à Paris. Il demande à un oncle de l'héberger dans sa modeste demeure. En 1896, la ville hongroise est en pleine effervescence culturelle avec ce fameux Art nouveau. Il est embauché dans un bureau d'architectes connus pour leur audace architecturale comme Odon Lechner. Autant les personnages qui gravitent autour de Lajos sont réels, autant le héros principal demeure une invention de l'écrivain. En dehors de ces architectes, on peut croiser Egon Schiele, Bela Bartok, des artistes emblématiques de cette époque troublée et troublante. Lajos Ligeti doit séduite ses patrons et ses donneurs d'ordre. Il parvient à s'imposer avec beaucoup de difficultés. Il se marie avec une très belle femme, Katarzina et une petite fille naît de leur union. Mais, rien ne va dans la vie professionnelle de l'architecte, ni dans sa vie privée. Il travaille avec un maître d'œuvre malhonnête, ne réalise pas un projet vital pour lui et trop ambitieux. Sa cité-jardin industrielle, baptisée Europa, sera plagiée, tronquée et nationalisée. Face à tous ses échecs personnels, à la faillite de ses ambitions alors qu'il avait réussi sa carrière, Lajos Ligeti bascule dans une certaine mélancolie, propre à cet esprit fin de siècle à Vienne et à Budapest. Il ne supporte plus de vivre dans ce marasme d'autant plus qu'il pressent la montée d'un nationalisme qui finira dans le nazisme. L'esprit nostalgique imprègne ce beau roman historique, délicieusement suranné. L'histoire de l'architecte s'appuie sur un travail documentaire concernant le monde de l'architecture "fin de siècle", le rôle des industriels, des commanditaires,  l'Art nouveau, la Sécession. Paul Greveillac aborde la délicate question de l'identité à travers le couple formé par Lajos et sa femme, originaire de Lemberg en Ukraine. Ils n'ont pas vraiment de patrie, se sentent étrangers dans leur pays d'accueil. Un roman pudique, élégant et érudit à découvrir dans les nouveautés de cette rentrée surtout si on aime la culture venue de l'Est avec des écrivains comme Zweig, Musil, Joseph Roth. 

mercredi 4 novembre 2020

Confinement, saison 2

 Depuis jeudi soir minuit, nous vivons tous la saison 2 du confinement. Mais, l'ambiance a changé un peu avec les enfants à l'école, les salariés au travail, les chantiers en action, les voitures sur les routes. Le silence de novembre ne ressemble plus à celui de mars. Dans mon quartier, je ne remarque pas de nouveaux promeneurs(ses) qui marchent pour maintenir une bonne forme. Le virus semble redoubler de vigueur surtout dans notre région mais, j'ai la sensation qu'il ne provoque pas la même panique. Comme si on s'habituait à l'épidémie, vécue avec résignation pour certains et avec colère pour d'autres. Le mot, renoncement, revient dans notre mode de vie : renoncer aux rencontres familiales, amicales, oublier les balades, porter constamment le masque et se laver les mains, plus de vie culturelle à l'extérieur. Cela semble dérisoire de penser à soi quand on pense aux malades et à tous ceux qui vont perdre leur travail. Ce virus va s'installer sur notre planète pour l'éternité. Seul, le vaccin nous sortira de cette calamité. Hier, je suis allée en ville, chez Garin, pour retirer un ouvrage de philosophie, "La passion de l'incertitude" de Dorian Astor. Il suffit de se rendre sur le site "chezmonlibraire.com" et réserver le livre. Après réception d'un mél, on se rend chez le libraire et on règle l'addition. Les employés ont disposé le rayon papeterie devant les caisses et ce dispositif leur permet de recevoir les commandes des clients. J'ai suivi avec intérêt le débat sur la fermeture contestée des librairies, commerces qualifiés de non essentiels. L'Académie Goncourt a différé la date de son prix par solidarité. J'ai regretté pour ma part l'intransigeance du gouvernement à l'égard des librairies alors que notre Président cultivé, avait poussé les Français à lire lors du premier confinement. Depuis que les grandes surfaces ont bouclé leur rayon livres, les librairies peuvent souffler un peu. Mais, le grand dévorateur américain qui vend toutes les marchandises possibles et imaginables, va rafler la mise, comme d'habitude. Ce sacré virus va accélérer le processus de "virtualisation" pour chacun d'entre nous.  Agnès, animatrice de l'atelier Philo, nous propose une rencontre sur Internet...  Un philosophe, Bruce Bégout, vient d'écrire un ouvrage sur le thème de l'ambiance. "Le concept d'ambiance" et il déclarait dans un article de Télérama : "Nos points d'appui vacillent et nous vivons dans un climat d'incertitude. (...) Ce sur quoi l'on s'appuie, c'est cette atmosphère qui nous relie au monde et aux autres, cette confiance élémentaire et salvatrice que nous avons dans notre expérience, dans notre familiarité qui nous entoure. Il faut avoir un solide équilibre psychique pour supporter le moment que nous traversons". Pendant cette saison 2 du confinement qui va peut-être durer deux à trois mois, il faut donc s'armer de patience, s'éloigner du danger viral en restant chez soi, se maintenir en forme physique et surtout en forme psychique grâce aux livres, à la musique. Attendre donc le retour d'une vie normale sans paniquer et produire son propre vaccin contre le découragement qui peut advenir sans crier gare... 

mardi 3 novembre 2020

"Portrait de femme"

 J'ai décidé de lire un "classique" par mois. La lecture des classiques s'amoindrit de plus en plus. Du collège au lycée et à l'université, ma formation littéraire s'est nourrie de classiques incontournables et je me suis "longtemps couchée de bonne heure" pour dévorer Balzac, Flaubert, Hugo, Stendhal, Maupassant, Zola et tant d'autres du XXe siècle : Proust, Giono, Colette, Gide, Beauvoir, Sartre, etc. J'éprouve une certaine nostalgie quand je pense à ces lectures essentielles où la découverte de ces mondes m'a offert une boussole pour la vie. Je n'avais pas encore ouvert "Portrait de femme" d'Henry James, publié en 1880 et je l'ai emporté dans mes bagages lors de ma dernière escapade à Paris. L'héroïne, Isabelle Archer se retrouve appauvrie après la mort de son père à New York. Sa tante maternelle l'invite en Angleterre dans sa propriété de Gardencourt appartenant à son mari américain, banquier et philanthrope. Dans sa nouvelle vie, elle rencontre son cousin, Ralph Touchett, avec qui elle se lie. Un ami de celui-ci, Lord Waburton s'intéresse à elle ainsi qu'un énergique entrepreneur, Gaspar Goodwood, qui lui demande sa main. Mais, Isabelle ne s'engage pas et refuse leurs avances. Elle hérite d'un pécule important à la mort de son oncle et devient une proie pour une amie de la famille, Madame Merle. Cette intrigante séduit la jeune femme naïve et à Florence, elle tombe dans le piège en tombant amoureuse d'un expatrié américain, séducteur et esthète, Gilbert Osmond. Ce mariage sera évidemment un échec pendant de longues années. Malgré l'aide de ses proches, Isabelle vit sous la coupe despotique de cet imposteur qui l'a trompée avec Madame Merle. Son cousin Ralph se meurt en Angleterre et elle se rend à son chevet malgré les menaces de son mari. Elle a enfin compris sa duplicité. Mais, Isabelle après la mort de son cousin, retourne auprès de son mari, par fidélité et par soumission. Henry James décrit une micro-société de privilégiés, cultivés, riches, mondains qui voyagent, traversent l'océan, font des réceptions, adorent l'Italie. Mais, il oppose aussi l'esprit d'ouverture des Américains face au vieux continent européen, figé dans les conventions passéistes. Isabelle Archer n'aurait pas dû traverser l'Atlantique... J'imaginais ses retrouvailles avec son mari et elle annonçait sa rupture avec une détermination sans faille comme l'aurait fait une femme libre et moderne. Mais, l'écrivain américain ne veut pas tout révéler, ménage le suspens, se met en retrait. Victime d'elle-même, de son masochisme, l'héroïne s'oublie, se sacrifie et fuit cette société patriarcale en s'enfermant dans sa tour d'ivoire. J'avais envie de la secouer pour qu'elle se libère mais l'époque du XIXe n'était pas une vie de rêve pour les femmes. Isabelle Archer résume à elle seule la condition féminine à la manière d'une Emma Bovary. Un grand et beau roman, une écriture somptueuse avec des passages magnifiques sur Rome et sur Florence. 

lundi 2 novembre 2020

"Ci-git l'amer, guérir du ressentiment"

 Comment évoquer, commenter, analyser cet essai salutaire, "Ci-gît l'amer, guérir du ressentiment" de Cynthia Fleury? Quand je lis un essai qui mélange avec bonheur la psychanalyse, la philosophie, la littérature et la psychologie, je crains l'effet raccourci, l'aspect superficiel de mon commentaire, le rabotage des idées exposées. La première remarque que je peux émettre en toute modestie concerne la lisibilité cristalline du récit même si Cynthia Fleury adopte un langage philosophique, semé de concepts psychanalytiques. La problématique du livre pourrait se résumer dans ce mot si important : le ressentiment, source profonde et indélébile du malaise individuel et social. Dès la première ligne, la psychanalyste explicite le titre de l'essai : "D'où vient l'amertume ? "De la souffrance et de l'enfance disparue. Dès l'enfance, il se joue quelque chose avec l'amer et ce Réel qui explose notre monde serein. Ci-gît la mère, ci-gît l'amer. Chacun filera son chemin, mais tous connaissent ce lien entre la sublimation possible (la mer), la séparation parentale (la mère), et la douleur (l'amer), cette mélancolie qui ne se révèle pas d'elle-même". L'horizon proposé par la psychanalyste serait peut-être d'éprouver ce sentiment océanique décrit par Romain Rolland à Sigmund Freud en 1927 défini comme un "désir universel" de faire un avec l'univers, un "sentiment d'éternité, de fulgurance et de repos". Le ressentiment empêche de vivre, de se dépasser, et surtout "s'inscrit" dans la faillite de l'être sans chercher une guérison. Sa seule aptitude dans laquelle il excelle : "Aigrir, aigrir la personnalité, aigrir la situation, aigrir le regard sur". Cynthia Fleury, pour illustrer sa pensée, invite Melville, Montaigne, Verlaine, Nietzsche, Scheler, Jankélévitch et surtout Frantz Fanon à qui elle consacre plusieurs chapitres. Dans un entretien du Figaro, Cynthia Fleury reprend les thèmes de son essai et explique avec clarté le rôle de la démocratie qui doit "produire les conditions collectives de lutte contre le ressentiment". Le fascisme et les populismes ne sont que le triomphe du ressentiment. La violence surgit quand le logos, le langage, la raison s'effacent de la cité. Pour surmonter, dépasser ce sentiment mortifère, la philosophe utilise le concept freudien de sublimation : "La sublimation est cette aptitude nécessaire au sujet individuel, isolé ou pris dans les rets de la société : elle est cette habilité à tisser à partir de ses propres névroses et à tisser avec celles des autres, encore plus difficiles à digérer, un talent quasi alchimique de faire avec les pulsions autre chose que du pulsionnel régressif, de les tourner vers un au-delà d'elles mêmes, d'utiliser à bon escient l'énergie créatrice qui les parcourt". Cynthia Fleury apporte une conclusion convaincante quand elle évoque la voie rilkéenne, "l'Ouvert ou s'ouvrir, tolérer l'incertitude, refuser le dogme, cultiver la pensée critique, pratiquer la vis comica, la force comique, le rire, enseigner les humanités". Un essai à lire surtout pour éclairer notre temps si sombre, si complexe en attendant avec patience le retour de notre vie d'avant quand le virus oubliera l'espèce humaine... 

jeudi 29 octobre 2020

Derniers pèlerinages avant fermeture

 Encore un attentat horrible sur notre sol de France. Cette fois-ci des catholiques tranquilles et sereins attaqués dans leur église. Incompréhension, sidération et colère. Les jours s'assombrissent avec ces attaques islamistes qui fragilisent notre démocratie, affaiblissent notre République. Il va falloir rester debout contre vents amers et marées chagrines. A côté de ces évènements tragiques, les annonces de notre Président semblent inévitables et acceptables pour tous. Après un nouveau confinement à partir de minuit, il va falloir retrouver l'esprit de ce printemps où nous sommes restés dans nos maisons ou appartements. Cette privation de liberté va durer un mois ou plus pour notre bien à tous. Comme je suis retraitée, je n'oserai en aucun cas me plaindre de cette situation. Je suis soulagée que nos enfants et nos adolescents continuent leur scolarité, leurs acquisitions du savoir pour mieux vivre plus tard. Je regrette la fermeture des bibliothèques et des librairies, lieux essentiels pourtant caractérisés de "non essentiels". Quel dommage ! Pour "commémorer" cette dernière après-midi de liberté, j'ai pratiqué une des plus belles des "religions", celle de la culture, de la connaissance, de la nuance, de la tolérance et de la liberté. J'ai réservé ma première visite à la librairie Garin où j'ai constaté avec plaisir une grande affluence. Quelques clients portaient une pile de livres à bout de bras. Des lecteurs écureuils avec leurs noisettes culturelles... J'ai choisi le dernier Daniel Mendelssohn, "Trois anneaux" et celui de Dominique Fernandez.  Puis, j'ai mené mes pas à la Médiathèque de Chambéry très fréquentée à la veille de sa fermeture. Chaque adhérent pouvait choisir une cinquantaine de livres... J'ai remarqué la même fièvre autour des livres et de la culture. En temps de confinement, leur compagnie me semble apaisante, nécessaire et consolatrice. J'ai terminé mon après-midi avec une belle marche sur les bords du lac du Bourget. J'ai regardé encore avec plus d'attention la Dent du Chat, le lac, les roselières, l'étang des Mottets, les mouettes, les barques, le port de Terre nue en leur donnant rendez-vous en décembre, peut-être. Ce temps suspendu dans cette bulle si belle de nature préservée m'a donné l'énergie pour traverser ce long mois de novembre où chacun devra accomplir son devoir de citoyen en respectant les mesures contre ce virus mortifère et mondialisé. En compagnie des livres, de la musique, de l'écriture. Cultivons nos passions et ce mois de novembre passera plus vite. Et surtout tenons ce virus à distance... 

lundi 26 octobre 2020

"Intimité"

J'ai terminé la lecture "d'Intimité" d'Alice Ferney avec soulagement. Je me suis fait un devoir de le lire et de le parcourir dans la dernière partie pour me fabriquer ma propre opinion. Ce roman ressemble à un traité sur les relations amoureuses hétérosexuelles à notre époque et sur les problèmes de la parentalité directe ou indirecte. Alexandre symbolise le héros masculin par excellence et il traverse le livre du début à la fin. Autour de lui, gravitent ses "femmes" et ses enfants. Sa première compagne, Ada, attend un enfant alors qu'elle ne désirait pas revivre une deuxième grossesse. Mais, Alexandre n'avait qu'une obsession : être père, à n'importe quel prix. Le couple confie le fils d'Ada à Sandra, une voisine célibataire, libraire de son état. Mais, l'accouchement se passe mal et Ada perd la vie en donnant naissance à une petite fille. Alexandre est ravagé par la mort de sa compagne et par sa culpabilité : "Mon désir a tué Ada. Si je n'avais pas voulu d'enfant, Ada serait vivante". Au fil du temps, il se lie d'amitié avec Sandra qui l'aide à surmonter cette épreuve. Au fil du temps, ils partagent les repas du soir et Sandra prend souvent soin de ses enfants. Sandra est une femme libre, qui ne veut pas s'attacher à un seul homme et revendique un féminisme serein et affirmé. Quand l'écrivaine introduit la deuxième compagne d'Alexandre, Alba, rencontrée sur un site internet, l'histoire devient de plus en plus pesante et quelque peu invraisemblable. Cette professeur de français refuse la dimension sexuelle de sa relation avec Alexandre qui accepte ce contrat par culpabilité. Ils se marient et vivent ensemble. Mais, Alba veut à son tour devenir mère, les enfants de son conjoint ne lui suffisent pas. Elle choisit la GPA en contactant une jeune américaine comme mère porteuse. Le roman à ce moment là ressemble à un mode d'emploi : comment se renseigner sur les sites internet, les pour et les contre, les hésitations et les certitudes. Alexandre cède malgré son opposition et accepte cette méthode si complexe. Cette partie du roman m'a semblé un peu indigeste. Alba ne possède aucune empathie et semble marmoréenne. Les thèmes du couple, de la maternité et de la parentalité sont débattus à chaque page du roman et même si, l'écrivaine veut jouer le registre de la comédie, ce roman bavarde trop... Dommage... 

vendredi 23 octobre 2020

Rubrique Cinéma

 Cet après-midi, je suis allée voir "Michel-Ange" ou "Il Peccato" du réalisateur russe Andréï Kontchalovsky. Michelangelo Buonarroti (1475-1564), ce génie, cachait aussi un tempérament orageux, colérique et déroutant. Le film s'attache au cadre historique et social de l'époque et à l'homme, tiraillé entre ses mécènes. D'un côté, le pape Jules II de la famille Della Rovere, le commanditaire de la Chapelle Sixtine et de l'autre, les Médicis dont un de ses membres est devenu pape. Michel-Ange croule sous le travail. La famille Della Rovere exige la poursuite du tombeau en marbre de Jules II alors que le nouveau pape lui ordonne d'exécuter la façade de l'église San Lorenzo. L'artiste accepte le contrat des Médicis tout en trahissant les autres. Sa cupidité se vérifie avec l'achat d'une maison et d'une ferme par son propre père. Il est agité, épuisé, tourmenté, car il a donné cinq ans de sa vie à la Chapelle Sixtine. Le réalisateur fouille le personnage avec une vision complexe de sa personnalité. Loin de le mythifier, de le glorifier, il brosse un portrait ambigu du sculpteur en le replaçant dans une Italie du XVIe à Rome, à Florence, à Carrare, en Toscane. Le décor reconstitué ne cache pas la puanteur des rues, la boue, la saleté permanente avec les seaux jetés par les fenêtres. On voit aussi la Chapelle Sixtine, les couloirs du Vatican, les palais des Médicis. La beauté italienne dans les églises, dans les palais et la misère du peuple. Un contraste frappant dans le film. Michel-Ange était autant célébré que haï. Ses concurrents comme Raphaël l'admiraient en le considérant comme le Maître. D'autres le craignaient à cause de ses colères, de sa méfiance. Il peut aussi devenir un magnifique meneur d'hommes dans les carrières de Carrare les amenant à se dépasser pour descendre un bloc de marbre surdimensionné pour l'époque. Ce génie de la Renaissance, exténué par sa propre créativité, devient presque fou dans ses projets titanesques. L'art n'est pas immatériel selon le réalisateur russe mais parfois englué dans les compromissions du pouvoir. Le commerce, l'argent, le pouvoir interviennent dans le destin d'un des plus grands génies de l'humanité. Andréï Kontchalovsky explique dans un article de presse qu'il a voulu évoquer "un homme ordinaire qui a des intérêts, des buts, des batailles de chaque jour à livrer, des problèmes de santé, des superstitions, qui vit avec la présence de Dieu ou du diable". Un film surprenant, somptueux et hybride avec une coopération russo-italienne... A voir, évidemment à l'Astrée.


mercredi 21 octobre 2020

Nostalgie

 Quand j'ai appris l'attentat horrible de ce fanatique islamiste sur ce professeur d'histoire, Samuel Paty, je suis restée sans voix, le cœur étreint de tristesse et de sidération. Le professeur a fait son travail en montrant deux caricatures de Mahomet. On connaît tous la suite, la dramatique, la tragique suite des événements. Je pense à lui en ce moment, je pense à tous ces professeurs qui, jour après jour, consacrent leur vie aux autres, aux enfants, aux adolescents, aux étudiants. Quand j'étais enfant à l'école primaire, j'ai tout de suite compris le bonheur d'apprendre à lire et à écrire. Au lycée, j'ai rencontré des professeurs extraordinaires qui m'ont enseigné le français que je vénère, les langues vivantes, l'histoire et la géographie, la musique, le dessin, les maths. Je me souviens encore de leur bienveillance, de leur professionnalisme, de leur rigueur de leur patience. Des fonctionnaires exemplaires, des hussards de la République, des médiateurs, des passeurs de mémoire collective. Ecole primaire du Boucau, lycée de Bayonne, Université des Pays de l'Adour à Pau, toutes ces institutions ont forgé mon identité de Française, de Républicaine et de femme libre. Une de mes plus grandes fiertés est d'avoir relayé ce travail républicain dans mon métier de bibliothécaire où j'ai rencontré beaucoup d'enseignants. Ces professeurs des écoles, ces instituteurs et institutrices répondaient toujours présents pour emmener leurs élèves à la bibliothèque. Le goût des livres, de la lecture, des idées, se partage dans ces lieux complémentaires de l'école. Les mairies avec leur bibliothèque sont les piliers de la République comme l'école. Comme c'était un bon temps, serein, innocent, sans accroc, sans contestation, un temps béni où tout le monde pouvait respirer sans avoir peur.  Dans l'hommage national, le Président Macron a eu raison d'honorer ce professeur en rappelant la grandeur de notre laïcité, de notre liberté de penser et d'être. Je retiens sa dernière phrase : "Les Lumières ne s'éteindront jamais en France". Face à la barbarie islamiste, ce discours mobilisateur doit s'accompagner d'actes fermes pour sauver notre art de vivre, notre culture, notre humour et notre civilisation. Plus de vague à l'âme, plus de poussière sous le tapis, tolérance zéro. Nous ne les laisserons pas faire. Hors de question. Pour Samuel Paty. 

mardi 20 octobre 2020

Atelier Lectures, 4

 La dernière séquence de l'atelier Lectures concernait la liste des ouvrages sur les voyages. Je l'avais donnée en juin pour avoir quelques idées de lectures pendant l'été. Mais ce laps de temps, presque trois mois et demi, a démotivé une majorité de lectrices. Comme Annette appréciait ce thème, elle a lu "Le phare, voyage immobile" de Pablo Rumiz. Ce voyage immobile au sein d'un phare dans la Méditerranée a enchanté Annette. Sans agenda, sans horaires, sans connexion, l'écrivain raconte son quotidien dans cette nature exceptionnelle : le cri des mouettes, les couchers de soleil, les tempêtes, les vents. Il n'oublie pas les gardiens, les repas, la pêche, la rêverie. Vivre sur une île déserte comme un ermite voyageur, un rêve réalisé capté dans ce récit où l'odeur salée de la mer embaume les pages à tout instant. Elle a aussi lu "La consolation des voyages" de Jean-Luc Coatalem. Dans ce livre très personnel, l'auteur égrène des souvenirs liés à ses escapades à travers le monde, de l'Ombrie au Grand Nord, à Goa, sans oublier sa Bretagne natale ou Paris. Où est le vrai voyage ? Où aller pour se perdre et pour se retrouver ? Il évoque les écrivains qui ont influencé ses vagabondages comme Rimbaud et Victor Segalen. Véronique a bien apprécié "Remonter la Marne" de Jean-Paul Kaufmann. Cette région française un peu délaissée a permis à l'auteur de découvrir son passé historique à travers des anecdotes. Mais le charme des récits de ce voyageur atypique naît de sa merveilleuse curiosité érudite non pédante. Il relate ses rencontres, ses marches de pèlerin, pérégrinant avec un style fluide et classique.  Un récit à savourer. Régine a lu avec plaisir, "Briser la glace" de Julien Blanc Gras. L'auteur se lance dans un périple au Groenland. Avec un humour loufoque, il décrit de beaux paysages, mange du phoque au petit déjeuner, sent ses doigts gelés, admire une aurore boréale, rencontre des Inuits déboussolés. Voilà pour les lectures de l'été concernant le voyage. Nous nous retrouverons le jeudi 17 novembre pour parler de quelques romans américains (écrits par cinq femmes et cinq hommes) parus après l'an 2000. Ces romans racontent l'Amérique qui s'apprête à voter le 3 novembre. J'aime bien lié la littérature à l'actualité et rien ne vaut la plume des écrivains pour raconter l'identité multiple, complexe d'un pays aussi vaste que les Etats-Unis. 

lundi 19 octobre 2020

Atelier Lectures, 3

 La deuxième partie de l'atelier concernait les nouveautés de la rentrée littéraire. J'avais envoyé une petite sélection de romans français pour jouer au jeu des prix littéraires qui vont bientôt commencer en novembre. Geneviève a commencé la séquence avec "Comédies françaises" d'Eric Reinhardt, un roman "documentaire" à ses yeux. Dimitri, un jeune reporter de 27 ans, mène une vie tourbillonnante. Un jour, il se lance dans une enquête sur la naissance d'Internet et apprend qu'un ingénieur français avait inventé un système de transmission de données. Mais dans les années 70, les pouvoirs publics ont interrompu ses recherches et ont choisi le Minitel. Cet erreur stratégique montre l'influence des lobbies au sein du milieu politique. L'écrivain décrit aussi les frasques sexuelles de Dimitri entre deux moments d'enquête. Ce roman parodique et plein d'humour veut décrire une comédie humaine dans les coulisses de la vie économique et politique française. Mylène, Régine et Janelou ont choisi le même livre : "Intimité" d'Alice Ferney. Elles ont apprécié ce roman dense et intimiste à l'unanimité. L'écrivaine raconte le destin de trois personnages contemporains : une libraire féministe et célibataire par conviction, un père architecte et veuf élevant sa fille et une enseignante qui s'est inscrite sur un site de rencontres. Cette polyphonie sur le couple, sur la parentalité, sur l'amour forme un récit dynamique et illustre les différentes façons de vivre à notre époque où tout peut advenir. Bonheur familial ou individuel, Alice Ferney manie l'humour et la dérision à bon escient pour montrer que la vie en société n'est pas toujours d'une simplicité harmonieuse. Un coup de cœur à découvrir pour rejoindre ou pas le clan des fans ! Annette a lu "Une rose seule" de Muriel Barbery, publié chez Actes Sud. Un roman japonais, subtil, délicat comme les promenades que la narratrice entreprend pour retrouver les traces de son père. Annette a cité aussi "Une farouche liberté" de Gisèle Halimi et "Quitter Madrid" de Sarah Manigne. Odile a présenté "Chavirer" de Lola Lafon, publié chez Actes Sud. Cléo, une jeune collégienne, rêve de devenir danseuse. Elle est sexuellement piégée par une pseudo Fondation de la vocation qui l'aide à réaliser ce rêve puéril. Cléo devient à son tour une "entremetteuse" pour faire carrière. 30 ans plus tard, l'affaire ressurgit et le pardon est-il encore possible ? Un très bon roman de cette rentrée littéraire. Chantal a présenté l'autobiographie philosophique et intellectuelle de Barbara Cassin au titre rimbaldien, "Le bonheur, sa dent douce à la mort". Elle a apprécié ce livre tout en avouant que certains passages lui ont semblé un peu obscurs. A découvrir. La suite, demain.