mercredi 18 janvier 2023

"La naissance du jour", Colette

 Cette année, Colette (1873-1954) fêterait ses 150 ans ! La dame la plus âgée du monde était française et elle vient de s'éteindre à 118 ans... Notre grande écrivaine s'est éteint à l'âge de 81 ans dans son appartement du Palais Royal à Paris. J'aurais bien imaginé une très longue vie pour cette femme exceptionnelle qui n'avait qu'une obsession : la célébration du monde. Cela faisait bien des années que je n'avais pas ouvert un de ces textes. J'avais hérité des Pléiades de ma mère qui vouait un culte particulier à Colette et elle m'avait transmis ce patrimoine littéraire comme un cadeau unique et  précieux. Ma passion de lire a, par ailleurs, démarré avec les "Claudine", écrits comme une série d'aujourd'hui. Suivre ce personnage était un enchantement de mots et une plongée dans une France mythologique. J'avais pourtant une quinzaine d'années et même dans ces années 60, Colette se lisait dans toutes les couches de la population comme François Mauriac, Jean Giono, Roger Martin du Gard, Marcel Aymé. Quelle époque ! La naissance du Livre de Poche a permis ces lectures totémiques. J'ai donc relu "La naissance du jour", publié en 1928 dans la Revue de Paris. Ecrit à la première personne, la narratrice évoque sa mère, Sido, lumineuse et généreuse : "Je suis la fille d'une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d'un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d'éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle". Colette décrit sa maison de Saint-Tropez, "La Treille Muscate", son ancrage dans un pays de cocagne et se demande si elle sera sa dernière demeure. Elle songe à son âge (55 ans à peine) mais elle ressent la nostalgie de ses jeunes années : "C'en est donc fini, cette vie de militante, dont je pensais ne jamais voir la fin ? Il n'y a plus que mes songes pour ressusciter, de temps à autre, un amour défunt". Au fil de ce récit, des menus événements, des repas amicaux, des observations sur la nature, des réflexions sur les lettres de Sido s'enchâssent et forment un "livre-arlequin". Une intrigue triangulaire amoureuse parvient à se nouer entre un jeune voisin, Vial, une jeune peintre, Hélène et la narratrice, Madame Colette. L'écrivaine rejette l'attirance de Vial pour elle car ils ont une grande différence d'âge. Elle se retire de ce jeu amoureux en souhaitant que les deux protagonistes se rapprochent. La Provence charnelle et savoureuse enchante Colette et la console de la venue inéluctable de l'âge. Ce récit hybride à la fois fictionnel et autobiographique se lit avec un plaisir intense : somptuosité du style et besoin de réfléchir sur elle, en profondeur. L'écriture la maintient dans une acceptation du réel tel qu'il est avec un retour aux sources de son identité, déposées par sa mère, Sido, un modèle de vie. Ce texte d'une grande sensualité se transforme sans cesse en une ode à la vie. En redécouvrant notre immense Colette, je songeais à Marcel Proust, un frère d'adoption dans ce génie de la langue française, une langue d'une beauté inégalée. Il faut absolument relire Colette et considérer ces heures de lecture comme un bain de jouvence. Adoptons son slogan qu'elle écrit à la fin de son récit : "Ce n'est pas trop que de naître et de créer chaque jour". A méditer.