vendredi 25 septembre 2020

"Le Débat", disparition d'une revue

 L'historien Pierre Nora a fondé Le Débat en 1980 au sein de la maison Gallimard. La publication de son dernier numéro est sortie en septembre. 40 ans de culture, 40 ans de débats, 40 ans d'analyses de la société française. Les revues se meurent et elles ne peuvent plus concurrencer le numérique. Le philosophe Marcel Gauchet, cet infatigable analyste de notre démocratie libérale, a dirigé Le Débat dans une mouvance au centre droit de l'échiquier politique en irrigant la pensée d'une gauche de gouvernement sur le féminisme, l'école, la République, la liberté et tant d'autres sujets sociétaux. Le temps des nuances semble obsolète. La revue se voulait universaliste, humaniste, antitotalitaire et européenne. La publication trimestrielle s'adressait en particulier aux étudiants, aux lecteurs et lectrices exigeants, aux usagers des bibliothèques. Des articles de presse confirment une certaine mort des Intellectuels, de la pensée et des idées dans un monde où de moins en moins de curieux prennent une revue pour simplement s'informer et se cultiver. Dans le quotidien Le Monde du mardi 22 septembre, Nicolas Truong propose une longue réflexion sur la disparition annoncée de la revue. L'équipe du Débat soutient que l'époque d'aujourd'hui ne permet pas la discussion entre "gens raisonnables". Marcel Gauchet constate la "résurgence des radicalités". Ce sabordage volontaire s'explique selon eux par diverses raisons : "l'érosion de la curiosité encyclopédique, la désintellectualisation des élites, la mort du genre de la revue généraliste et la radicalisation du débat public. Il faut ajouter le poids des ans des intervenants dont Pierre Nora (88 ans). Celui-ci constate aussi l'affaissement du niveau universitaire, le déclin de la lecture, la faiblesse des sciences humaines. Des livres comme celui de Michel Foucault, "Surveiller et punir" s'est vendu à plus de 300 000 exemplaires en 1975. Combien aujourd'hui ? 3 000 maximum... Pierre Nora précise qu'une collection de textes poursuivra l'héritage de la revue comme celle des "Tracts" au moment de la crise sanitaire. Il reste encore quelques bastions de résistance papier comme la revue "Esprit" et la "Revue des Deux Mondes". Mais, dorénavant, elles se développeront sur le net et nous verrons peut-être fleurir des sites de revues intelligentes, cultivées, impertinentes, curieuses, encyclopédiques, universalistes et républicaines... Je regrette, évidemment, la perte symbolique de la revue Le Débat qui n'a pas su préparer la relève par de jeunes intellectuels, hommes et femmes. Les collections vont partir dans les réserves des bibliothèques pour un temps infini. Un jour, dans cent ans, un jeune doctorant ou doctorante se penchera sur ces archives et étudiera avec un sentiment d'admiration, la vie intellectuelle de 1980 à 2020.