vendredi 27 mars 2015

Atelier de lectures, 2

J'avais choisi en deuxième partie de l'atelier, un écrivain masculin car j'aime bien respecter la parité homme-femme... Après Stefan Zweig en janvier, Annie Ernaux en février, j'ai proposé Vassilis Alexakis, un gréco-français ou franco-grec. Cet écrivain correspondait à mon désir de relier l'actualité à la littérature. On entend sans cesse le mot Grèce, non pas pour le "miracle grec" pendant l'Antiquité, mais pour le "désastre grec" avec sa crise économique, les nombreuses faillites, les baisses de salaire, etc. Alexakis symbolise à lui tout seul une culture à deux têtes, lançant un pont entre la Grèce et la France, une culture métissée, une petite Europe à lui seul. Les lectrices ayant lu quelques-uns de ses ouvrages l'ont dans l'ensemble apprécié sans montrer un grand enthousiasme, ce qui est un peu dommage. Une amie-lectrice a même avoué qu'elle n'avait pas rencontré dans ces livres, de l'émotion, de l'empathie. Rien de grave dans cette déception. Entrer dans une œuvre, c'est pénétrer dans un pays étranger, un monde inconnu parfois, avec des références inaudibles, des images incompréhensibles, des traditions déconcertantes et des parcours singuliers. Il faut faire le vide dans sa tête et entrer de plain pied dans une planète différente de son monde personnel. Vassilis Alexakis appartient à cette catégorie d'écrivains singuliers avec des obsessions tenaces et récurrentes. Je vais en énumérer quelques-unes : il parle souvent de lui (autofiction) en évoquant sa famille, ses amours, ses grandes amitiés, sa vie quotidienne à Paris et à Athènes. Je citerai deux titres de lui, significatifs de sa démarche : "Je t'oublierai tous les jours" (2008) et "Ap. J.-C.". Dans le premier cité, il raconte sa relation d'amour avec une femme, une femme essentielle pour lui, sa mère, disparue et qu'il fait revivre dans cette œuvre chaleureuse. Le deuxième titre évoque les moines du Mont Athos et leur richesse scandaleuse dans une Grèce appauvrie et endettée. Cette dénonciation courageuse (les Grecs sont très respectueux du fait religieux) montre son engagement politique. Comme son œuvre semble liée à sa vie, il vaut mieux lire ses ouvrages dans l'ordre chronologique. Pour moi, il représente un modèle de bi-culture enrichissante : toute la mythologie de sa Grèce avec la littérature française, l'attachement au langage,  aux mots, à l'alphabet, son empathie totale et militante envers le genre humain, son humour, son esprit de dérision : en trois mots,  un gentilhomme contemporain. Son dernier roman, "La clarinette", a conquis deux lectrices, Evelyne et Danièle, qui ont beaucoup apprécié l'hommage amical d'Alexakis à Jean-Marc Roberts, son éditeur, récemment disparu. Je reviendrai sur cette parution après l'avoir lue.

jeudi 26 mars 2015

Atelier de lectures, 1

Nous étions une dizaine de lectrices, ce mardi 24 mars, à nous retrouver pour partager les coups de cœur du mois. Geneviève a présenté un roman d'Anne Enquist, "Les porteurs de glace", édité chez Actes Sud. Cette femme écrivain, néerlandaise, est très connue dans son pays et ses romans captivent souvent son lectorat. Elle excelle dans le drame intime familial. La fille d'un couple, composé d'une mère professeur et d'un père psychiatre a disparu. Le sujet de la non-communication entre cet homme et cette femme ressemble à ces peaux de chèvre où les Hollandais transportaient l'eau qui se transformaient en glace. Un très beau livre, à découvrir ainsi que toute l'œuvre romanesque d'Anne Enquist. Dany a beaucoup aimé "La garçonnière" d'Hélène Gremillon. L'histoire se passe en 1987 en Argentine. Un psychiatre vit avec une danseuse de tango qui se suicide en se défenestrant et son mari est soupçonné de l'avoir tuée. Des enregistrements de patients vont peut-être le sauver. Dany a évoqué un ouvrage d'Elisabeth Brami, "Lou pour toujours", un échange épistolaire entre une grand-mère et sa petite fille. Un régal de lecture et Dany a aussi présenté une belle revue sur la nature, "Salamandre". Danièle, de retour d'un séjour à Cuba, a pris l'excellente initiative de proposer un écrivain de ce pays, Leonardo Padura et ses "Brumes du passé". Mario Conde, un inspecteur à la retraite, un peu déjanté, fait commerce de livres anciens et découvre un article sur une danseuse de boléro, disparue dans les années 50. Il se lance sur ses traces dans les bas-fonds de la ville. Elle nous a aussi parlé de Wendy Guerra, "Tout le monde s'en va", sur l'enfance de la narratrice avec un père violent. Mylène a été marquée par la biographie de Dominique de Saint Pern, "Baronne Blixen", dont la narratrice, l'assistante de l'écrivain, raconte à la première personne, la vie mouvementée, tragique de cette femme exceptionnelle. Mylène nous a conseillé de lire évidemment "La ferme africaine" et le fameux "Festin de Babette".  Janine a eu le même coup de cœur que Mylène, ce qui redouble notre envie de redécouvrir Karen Blixen... Janelou a présenté "Rien ne s'oppose à la nuit" de Delphine de Vigan, roman fort, bouleversant sur la vie de sa mère. Voilà pour la première partie de l'atelier. La suite, demain.

mercredi 25 mars 2015

Escapade à Londres, 3

Je ne cesse de "célébrer" à ma façon la présence des livres dans tous les lieux que je visite et Londres n'échappe pas à ma démarche littéraire. J'ai donc retrouvé les traces de Virginia Woolf dans son quartier de prédilection, Bloomsbury. Je me suis rendue dans le square de Tavistock, où j'ai tout de suite repéré le buste de l'écrivain. Son appartement donnait sur ce jardin public, typique de la cité londonienne, véritable oasis de verdure, de fleurs et d'arbustes. J'étais émue de me retrouver dans ce lieu en pensant que Virginia Woolf devait le traverser, s'y promener, s'assoir sur un banc en méditant sur le roman qu'elle était en train d'écrire... Je regrette que la ville ne lui consacre pas de musée (il y a celui de Dickens, bien plus populaire qu'elle). J'ai retrouvé Virginia Woolf sur la façade du King's College en présence des grandes figures intellectuelles du pays. Dans la plus vieille librairie de Londres, la Hatchard  (1797),  j'ai déambulé dans cet espace avec délectation, feuilletant les nouveautés et les auteurs non traduits en français. J'avoue que je suis repartie avec un mug "Virginia Woolf", un souvenir concret de cette femme, si émouvante et si belle aussi, un génie littéraire inégalé. Je ne pouvais pas quitter Londres sans visiter la British Library, ma dernière étape autour des livres. Le bâtiment se situe près de la gare de Saint-Pancras et j'ai passé ma matinée du samedi à admirer les trésors de la bibliothèque nationale anglaise. Malgré sa fondation récente en 1973, elle réunit plus de 150 millions de volumes, ce qui en fait l'une des plus importantes au monde. Sur le parvis, une sculpture de Newton rend hommage aux... mathématiques. Au centre de l'édifice, j'ai remarqué une tour en verre où sont stockés les 65 000 volumes de la bibliothèque de Georges III. Une salle est réservée aux trésors bibliophiliques : textes sacrés, manuscrits d'écrivains, partitions d'Haendel, de Bach, de Beethoven, un exemplaire de la Bible de Gutenberg, des cartes géographiques, des documents historiques (Churchill) et j'ai même vu la chanson des Beatles, "Yesterday"... Un lieu incontournable pour les amoureux des livres ! J'ai pris le train pour me rendre à l'aéroport avec dans ma tête tous ces images du patrimoine anglais et aussi toutes celles liées à la ville : les bus, les taxis, la foule permanente jeune et diverse, les squares, les arbres dépouillés formant des sculptures naturelles, les immeubles anciens à côté de tours vitrés, des magasins de tous genres (dont un, très joli de parapluies). Londres, une étape essentielle dans ma découverte des capitales européennes pour ses musées extraordinaires, ses habitants tolérants et flegmatiques, son bourdonnement permanent dans les rues, sa Tamise même grisâtre, ses ponts, ses buildings, un ville vibrante, vivante, stimulante...

mardi 24 mars 2015

Escapade à Londres, 2

Après le British Museum, j'ai choisi la National Gallery, un musée entièrement dédié à la peinture. Comme la Tate Britain présente les peintres anglais, ce musée possède 2300 tableaux couvrant tous les courants de l'Europe occidentale du XIIIe au XIX siècle. L'excellent guide bleu de Londres, publié chez Hachette, consacre une dizaine de pages sur les chefs-d'œuvre à ne pas "rater" : Van Eyck, Holbein, Piero della Francesca, Raphaël, Bellini, Vermeer, Rembrandt, Van Gogh. Mais, j'ai un intérêt particulier pour les toiles du Caravage, et j'ai pu en admirer trois... J'aime aussi beaucoup la peinture flamande dont le mystérieux Patinir, les natures mortes et le musée m'a offert un festival de merveilles. Comme le bâtiment se trouve sur la place Traflagar Square, j'ai visité l'église Saint Martin in the Fields, réputée pour son orchestre de chambre. Puis, ma curiosité a conduit mes pas dans le quartier de Westminster et j'ai entendu "en vrai" le son de Big Ben... Le Parlement anglais, House of Parlement, vu du pont, est impressionnant par sa dimension, son architecture néogothique, son emplacement au bord de la Tamise. Il faisait froid, gris, venteux mais malgré ce temps, le ciel donnait à Londres, une aura fantasmatique, fantasmagorique. Le voyage est aussi une rêverie, une plongée dans le temps et je constatais ce phénomène en observant ce bâtiment historique. Le lendemain, j'avais un programme chargé : la Tate Modern, le Musée de Londres, la Courteaud Gallery, Bloomsbury, Piccadilly. Quand je découvre une capitale, je veux absolument prendre le métro pour vivre pendant quelques minutes ce qu'un londonien(ne) vit tous les jours. J'ai pris l'Underground à Saint-Paul pour Holborn et j'ai remarqué l'utilisation courante des liseuses électroniques dans les mains des citadins et des portables comme partout dans le monde... J'ai préféré le bus à étage pour visiter des quartiers et quand je me trouvais au premier étage, j'avais l'impression d'être sur un bateau urbain tellement le bus penchait à gauche, à droite : une expérience amusante en pleine circulation intense. Demain, suite et fin de mon périple à Londres.

lundi 23 mars 2015

Escapade à Londres

J'ai longtemps hésité à me rendre à Londres, préférant les capitales européennes, côté Sud... Mais, ma passion des musées, ces grands livres d'images, m'ont décidée à franchir la Manche, en avion et je n'ai même pas ressenti que je survolais cette mer grise. En débarquant à Luton Airport, j'ai pris un train de banlieue pour me rendre dans le quartier des juristes, Holborn. A Saint-Pancras, j'ai tout de suite remarqué une foule dense, jeune, dynamique, calme et pourtant affairée, allant et venant, sous l'immense coupole de la gare. En me dirigeant vers l'hôtel, je me suis transformée en touriste lambda en observant avec des yeux admiratifs, le ballet incessant des taxis ou "cabs" noirs et grenat, certains portant sur leur carrosserie des publicités tapageuses. Les célèbres bus à étage, de couleur rouge, n'étaient plus une légende et circulaient dans des couloirs réservés. Cette métropole tentaculaire reste malgré tout à taille humaine et le comportement des Londoniens attire l'admiration : leur flegme, leur gentillesse, leur disponibilité m'ont aidée à apprécier leur légendaire politesse. Je voulais arpenter les musées principaux de la ville, réputée surtout pour les magasins gigantesques comme Harrods (où je n'ai pas mis les pieds...). Pour ma première journée, deux priorités s'imposaient :  le British Museum et la National Gallery. Dès que l'on pénètre dans le hall d'accueil du British Museum, le colossal toit de métal et de verre, signé Norman Foster, semble abriter des merveilles à venir. Et la visite se poursuit avec un espace incroyable : la King's Library, la bibliothèque reconstituée de George III, un cabinet de curiosités où se mêlent avec bonheur, dans les vitrines, des livres anciens, des atlas, des encyclopédies, des fossiles marins, des instruments scientifiques, et des objets antiques : une plongée dans le XVIIIe siècle des Lumières. Après cette salle magnifique, l'admiration ne cesse de s'amplifier : les salles de l'art grec avec des centaines de vases, mycénien, égyptien, assyrien, asiatique, précolombien, le monde entier dans ses premières traces artistiques. La Pierre de Rosette et les frises du Parthénon m'ont particulièrement touchée... On pourrait rester des jours et des jours à déchiffrer chaque œuvre exposée mais le temps, hélas, court trop vite et les jambes, aussi, fatiguent... Je devais garder des forces pour le deuxième musée de la journée, celui de la peinture du XIIIe au XIX siècle. Comme je préfère écrire des billets brefs, je poursuivrai le compte-rendu de mon escapade à Londres dans les jours suivants.

mardi 17 mars 2015

Atelier d'écriture

Mylène, animatrice de l'atelier d'écriture, nous a proposé deux exercices ce matin à l'AQCV de Chambéry. Elle part d'un livre pour nous donner un modèle et nous brodons quelques petits textes modestes, parfois réussis, parfois moins réussis. Le premier exercice oulipien devait commencer par la phrase : "A quoi tu penses ? Je pense à... ". L'écrivain emblématique de ce style d'écriture se nomme Hervé Le Tellier. Voilà mon texte :
"A quoi tu penses ? Je pense à mon rêve de la nuit, à ma nuit de rêve.
A quoi tu penses ?  Je pense à mon frère qui survole l'Océan Atlantique pour se rendre à Los Angeles.
A quoi tu penses ? Je pense à mon séjour à Londres et à la pluie, qui va peut-être tomber vendredi.
A quoi tu penses ? Je pense à l'info du matin, entendue à la radio sur la suppression du latin et du grec au collège, adieu à notre héritage gréco-latin.
A quoi tu penses ? Je pense au roman que je lis, une histoire de moines au Mont Athos.
A quoi tu penses ? Je pense à la mer et aux vagues qui me manquent.
A quoi tu penses ? Je pense que tout a changé mais, je suis restée fidèle à ce que j'étais."
La liste pourrait s'allonger mais il vaut mieux arrêter...
Pour terminer cet exercice, nous avons tiré au sort trois mots qu'il fallait conjuguer de la même façon.
Le kitsch : "A quoi tu penses ? Je pense à Milan Kundera et à sa définition du kitsch, une idéologie du faux, de la bêtise et de la vulgarité.
Le gri-gri : "A quoi tu penses ? Je pense que tout le monde a besoin d'un gri-gri. J'ai le mien mais je ne vous dirai pas lequel.
La kermesse : "A quoi tu penses ? Je pense que la vie est une vaste kermesse avec ses jeux de massacre, ses jeux de balles perdues, ses danses folles et ses feux de la Saint-Jean, un petit tour et puis, on s'en va...
Voilà ma matinée d'écriture, salutaire, conviviale et quand les collègues lisent chacune leur production, des éclats de rire fusent souvent dans les rangs. Une bonne thérapie collective, chaleureuse et légère.

lundi 16 mars 2015

"La Folle du logis"

Rosa Montero est célèbre, reconnue en Espagne. Les Editions Métailié l'éditent depuis longtemps et, même si les lecteur(trices) en France la connaissent beaucoup moins que dans son pays, elle mérite comme on le dit simplement, un  grand détour. Dans les nouveautés du début de l'année, son dernier roman vient de paraître, "L'idée ridicule ne plus jamais te revoir" et "Le Monde des Livres" a parlé de cet ouvrage autobiographique avec enthousiasme (ce qui est assez rare pour le supplément)... La romancière raconte la vie de Marie Curie à travers son propre deuil car elle a perdu son mari récemment. En attendant de découvrir sa dernière œuvre auto-fictionnelle, j'ai emprunté à la bibliothèque un essai, "La Folle du logis", écrit en 2003. Quand un écrivain parle de la création littéraire, il faut saisir cette opportunité avec gourmandise. Quand un critique littéraire tente de décrire le processus de l'écriture romanesque, la lecture s'avère ardue et souvent hermétique. Rosa Montero connaît le sujet sur le bout des doigts parce qu'elle pratique l'imagination avec passion. Dans cet essai, elle parle de ses lectures, de sa vie amoureuse rocambolesque, de son métier de journaliste à Madrid, de ses réflexions sur la littérature. Elle place l'imagination au cœur de toute création littéraire. Cette "folle du logis" se manifeste dans les rêves, les rêveries, les névroses, les peurs, les passions, toute une panoplie de moments "fous" dans la vie psychique. Elle évoque Tolstoï, Melville, Goethe, Walser, Klemperer, Rimbaud, Verlaine, etc. Les femmes d'écrivains n'échappent pas à ces commentaires souvent pleins d'humour et de pertinence. Ce texte fourmille d'anecdotes surprenantes, bouscule avec une vivacité toute "flamenca", les idées reçues sur l'écriture. Je citerai cet extrait : "Je continue pourtant de penser que l'écriture nous sauve la vie. Quand tout le reste échoue, quand la réalité se décompose, quand notre existence part à vau-l'eau, nous pouvons toujours avoir recours au monde narratif." Un hommage à la littérature, un vrai régal de lecture.

jeudi 12 mars 2015

Revues du mois

Ce mois-ci, la revue Lire propose un grand entretien avec Elisabeth Badinter et se pose la question suivante : "Peut-on rire encore de tout ?" Evidemment, on peut rire de tout, nous conseille François Busnel, l'éditorialiste de Lire. Je le cite : "Rire, c'est se libérer de la pesanteur du monde dans lequel nous vivons. C'est faire disparaître la terreur que peuvent inspirer les fanatiques. C'est relativiser. Humaniser. Résister. Exercer son esprit critique. Mettre à distance les dogmes et les idées reçues, les idéologies dominantes et les opinions communes." Il est donc salutaire de ne pas se prendre trop au sérieux. Dans le dossier consacré au rire, on retrouve Rabelais, Voltaire, Jarry, la bande à Charlie. Elisabeth Badinter, cette intellectuelle "lumineuse", défend sans concession, la laïcité et les valeurs de la République avec une ténacité et une obstination que l'on ne peut qu'admirer. Elle relève, dans l'après des événements de janvier, le mot "mais", ce mot qui veut limiter la liberté d'expression. Il ne fait pas blesser les croyants, dit-on... Elisabeth Badinter revendique au contraire la liberté de se moquer de toutes les croyances et de les critiquer. Pour elle, il faut "réaffirmer un certain nombre de choses : apprendre à lire, résister au moralisme du politiquement correct, restaurer l'autorité de l'école."  Et l'article se termine par la formule : " ne pas avoir peur". Le Magazine littéraire de mars a aussi met l'accent sur la résistance avec Voltaire, en reprenant le slogan "Je suis Voltaire". La revue propose un dossier sur les intellectuels français en posant la question de la relève. J'ai découvert ainsi un vivier de jeunes penseurs (y compris des femmes) qui apportent un air frais dans le paysage intellectuel d'aujourd'hui. Ces deux revues ont rempli leur contrat d'informations littéraires et culturelles en offrant une réflexion salutaire sur la tolérance, la laïcité, la liberté d'expression. Tant mieux car les informations médiatiques ne s'attardent jamais longtemps sur les tragédies nationales. Il ne faut pas baisser le moral des ménages car les affaires s'affaissent...

mardi 10 mars 2015

"Lignes de faille"

Après Baudelaire, nous devions lire "Lignes de faille" de Nancy Huston, Prix Femina 2006.  Je l'ai donc mis dans le programme de mes lectures de février et j'ai rempli mon devoir. Après une deuxième lecture à presque dix ans de distance, le regard est  différent et la critique plus pointue. Manifestement, notre professeur de littérature n'apprécie guère l'écrivaine franco-canadienne... Nous avons "décortiqué" le texte en analysant la construction en quatre chapitres, en quatre voix d'enfants du même âge (6 ans) et quatre générations d'une famille. La chronologie inversée du plus récent au plus lointain raconte un secret détenu par la première génération. Nancy Huston utilise le langage enfantin, ce qui semble un procédé artificiel tellement ces voix sonnent trop élaborées pour leur âge. Mais, le lecteur(trice) peut adhérer sans problème à ce style de récit. Le roman se veut aussi un témoignage puissant sur les enfants "blonds" des pays de l'Est qui étaient volés à leurs parents et adoptés par les familles nazies. Cela a concerné des milliers d'enfants dont certains ont retrouvé leur famille à la fin de la Guerre. Nancy Huston dénonce la violence des hommes, l'horreur des guerres, la tragédie de l'Holocauste. La pulsion de mort des humains triomphe à cette époque (comme aujourd'hui, hélas). Le roman montre le traumatisme de la grand-mère qui se transmet de génération en génération. Le livre n'a pas fait l'unanimité au sein du groupe et nous n'avons passé que deux heures à l'étudier. Manifestement, notre professeur ne voulait pas aller plus loin et ne rangeait pas Nancy Huston dans le rayon "Grande littérature"... Jugement sévère mais peut-être que les hommes ne goûtent guère ce type d'ouvrages dits "féminins". L'expérience d'une deuxième lecture peut s'avérer décevante et j'ai préféré, de loin, son dernier livre, "Bad girl" où elle conte, à sa manière passionnelle, sa vocation d'écrivain.

lundi 9 mars 2015

"Chemins"

J'avais beaucoup aimé "Ecoute la pluie" de Michèle Lesbre, paru en 2013 chez son éditrice Sabine Wespieser. Je viens de terminer son dernier opus, "Chemins" et j'ai retrouvé avec un grand plaisir la musique de cette femme écrivain, une prose musicale, élégante, nostalgique, subtile... La trame de l'ouvrage importe peu et je dis à ceux (et celles) qui aiment l'action, les tribulations, l'agitation : passez votre "chemin" et n'empruntez pas ceux de Michèle Lesbre. La narratrice évoque l'image de son père, un père méconnu et absent quand elle rencontre un homme dans la rue, dont la silhouette, l'attitude lui rappellent l'image paternelle. Elle aperçoit le titre du livre que cet étrange étranger tient dans ses mains : "Scènes de la vie de bohême" d'Henry Murger, le livre de chevet de son propre père. A partir de cette scène, le passé resurgit. Le roman est construit en alternance avec des flashs sur son enfance et avec des scènes de son temps présent. La narratrice part à la campagne, près d'un canal afin d'entretenir une maison d'amis et raconte ses rencontres au fil de l'eau : une gardienne de vaches, un éclusier, un couple de mariniers. L'évocation de son père se fait par touches minimalistes et le portrait se précise au fil des mots. Ce père fuyant, secret, insaisissable devient le fil conducteur dans ces "Chemins" intimes. J'apprécie aussi dans ce roman "impressionniste" l'amour de l'auteur pour la littérature en évoquant en particulier Jean-Claude Pirotte, disparu récemment. Dans un article de la revue Page, élaboré par des libraires, j'ai lu cet avant-propos : "Lire un nouveau roman de Michèle Lesbre, c'est comme retrouver une amie qui nous entraîne dans ses errances". Un beau roman rêveur, nostalgique et écrit avec un pinceau...

dimanche 8 mars 2015

Le 8 mars, journée des femmes

En général, je n'écris jamais le dimanche mais, aujourd'hui, je fais une exception. J'ai envie de marquer cette journée en évoquant la littérature féminine et féministe. Les femmes ont obtenu la liberté : liberté du corps (amour et maternité), liberté de l'esprit (littérature et politique). Mais, n'oublions jamais les luttes des femmes pour acquérir le droit de vote, de travailler, de posséder un compte en banque, etc. La libération des femmes est un combat continuel, perpétuel car tous les acquis sont fragiles. Le machisme et le sexisme courent toujours,  la violence contre les femmes persiste au sein des couples, et le viol est une arme de guerre en Afrique. Et si on pense à la situation des petites filles dans le monde, il vaut mieux naître garçon. Il ne faut pas céder à la peur de perdre nos libertés et l'égalité. Je me suis inscrite récemment à un cours de littérature sur le roman féminin au XXe siècle. Lundi dernier, notre professeur a abordé les "romancières en armes", jolie formule pour qualifier les femmes écrivains des années 70, grande époque du féminisme dans notre pays. La nostalgie m'a saisie quand nous avons évoqué Benoîte Groult et son "Ainsi soit-elle", Michelle Perrein, Chantal Chawaf, Hélène Cixous, Christiane Rochefort, etc. Les Editions des Femmes sont nées en 1973 avec Antoinette Fouque. Ces femmes ont écrit des témoignages essentiels, précieux et même si leurs œuvres sont oubliées, elles ont marqué la fin du XXe siècle et ont affirmé haut et fort qu'être une femme n'était pas une sombre fatalité. Leurs dénonciations, leurs frustrations, leurs rancunes et leurs humiliations ont nourri des milliers de textes qui ont rencontré un public très large, les hommes y compris. En cette journée du 8 mars, je pense à ces femmes battantes, à ces femmes en lutte contre l'injustice, le mépris, la violence. Je suis étonnée quand j'entends que le féminisme est une idéologie archaïque, dépassée, oubliée, démodée, raillée, mais avec tous les événements de janvier, les femmes de plus en plus voilées, les femmes toujours infériorisées, la vigilance s'impose... 

jeudi 5 mars 2015

"Les Fleurs du Mal"

Dans le cours de littérature du Covet à Chambéry, nous avons étudié "Les Fleurs du Mal" de Baudelaire. Daniel, notre professeur, nous proposait plusieurs poèmes par semaine, que nous devions lire avant le cours. Ensuite, l'explication de texte se déroulait avec les commentaires des "étudiantes" d'un nouveau genre : des dynamiques retraitées, avides de connaissance et curieuses de découvertes... Le professeur-animateur proposait sa "lecture". Je ne vais pas retranscrire toutes les notes prises dans les cours, consacrés à ce poète car ce serait fastidieux, ennuyeux et pédant et rien ne vaut l'oralité de ces moments de vie en groupe.  Pour ma part, ces heures d'étude m'ont permis de découvrir un grand classique, de dépoussiérer les idées reçus, de savourer à nouveau la langue poétique avec des images, des sons et des sens que dégagent les textes baudelairiens. J'ai mieux compris la notion des correspondances en poésie, de la musicalité des allitérations, de l'architecture des strophes, du rythme des vers. Baudelaire était un poète moderne, hermétique, puissant et précurseur du surréalisme dans sa conception de  la vie, de l'amour, de la nature, du rêve... Quand j'ai fait des études de lettres dans les années 70, aucun enseignant n'évoquait l'approche psychanalytique d'un texte. J'ai été agréablement surprise que notre professeur propose une lecture de ce type. J'ai ainsi appréhendé certains poèmes avec plus de clarté et de compréhension. Je citerai quelques vers pour ne plus les oublier :
"Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
traversé ça et là par de brillants soleils ;"
(L'ennemi)
"Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer."
(L'homme et la mer)
"La musique me prend comme une mer"
(La musique)
"J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans"
(Spleen)
"Mon enfant, ma sœur
songe à la douceur
d'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
(L'invitation au voyage)
Ce cours sur Baudelaire était aussi "une invitation au voyage", un voyage dans l'univers poétique de ce mage des mots...

mercredi 4 mars 2015

La bibliothérapie

J'ai lu un article paru le 19 février, dans l'hebdo "Marianne" traitant de cette nouvelle tendance, la bibliothérapie. On se pose souvent la question de l'utilité de la littérature dans la société d'aujourd'hui. Pierre Jourde écrit dans son blog : "La littérature donne intimement accès à l'autre, élargit le champ de connaissance et la profondeur de l'expérience". Patrick Modiano dans son discours de réception de son prix Nobel a déclaré : "La littérature ajoute du mystère aux êtres qui semblent submergés par la vie quotidienne, aux choses en apparence banales et cela à force de les observer avec une attention soutenue et de façon presque hypnotique". Encore une citation de Charles Dantzig : "On lit par protestation contre la vie. La vie est très mal faite". La lecture peut donc détenir des vertus curatives et l'écrivain anglais, Alain de Botton a même ouvert une "School of life" où l'on enseigne tout ce que l'école n'apprend pas. C'est toujours ce même homme de lettres qui  a proposé l'ouvrage suivant, "Comment Proust peut changer votre vie", un titre de bibliothérapie en soi. La littérature nous aide à vivre, à ressentir des émotions, à rompre notre solitude existentielle, à comprendre la vie en société... Notre cher Marcel a même dit : "Il est certain cas pathologiques, pour ainsi dire de dépression spirituelle, où la lecture peut devenir une sorte de discipline curative". Comme cet article est riche d'informations, j'ai relevé le beau projet de Régine Détambel qui parle de "poéticothérapie" et publiera prochainement un ouvrage intitulé joliment, "Les livres prennent soin de nous". Il est aussi question d'un philosophe, Marc-Alain Ouaknin, qui prône la guérison par la lecture dès 1994 : "de sortir de tout enfermement, de toute lassitude, pour s'inventer, vivre et renaître à chaque instant». L'article de Marianne, d'une densité rare pour un hebdo, se termine par l'évocation de l'attitude de médecins dont certains conseillent des livres lors d'une consultation. Je me souviens de mon rôle de libraire et de bibliothécaire quand je conseillais des livres que les lecteurs me demandaient pour se sentir mieux dans leur vie... Je ne sais pas si j'ai réussi à soulager certains(es) mais recevant de nombreuses confidences intimes, je pensais à des livres qui pouvaient apporter des réponses. Bibliothécaire, bibliothérapeute, c'est un peu le même métier. Je ne pourrais pas passer un jour de ma vie sans lire. Les livres nous aident à vivre, j'en suis persuadée et ce blog le prouve... Et je remercie "Marianne" pour cet hommage à la lecture et à la littérature !

mardi 3 mars 2015

Atelier d'écriture

Marie-Christine nous a proposé d'écrire une petite nouvelle sur une rencontre imaginaire. Il fallait utiliser la troisième personne. Voilà mon texte, un mélange de vécu et d'imaginaire...
"Elle prenait régulièrement l'avion pour voir sa famille, car elle avait quitté sa terre natale pour des raisons professionnelles. Elle croisait des passagers solitaires comme elle et quand elle s'asseyait dans un siège, près d'un inconnu, soit le silence régnait, soit la conversation s'engageait. Elle préférait se taire, savourant sa bulle éphémère. Ses journaux, ses revues et ses livres s'étalaient sur le siège vacant quand elle se retrouvait l'unique passagère. Dans les deux heures de vol, son temps se suspendait entre le vrombissement du moteur, ses soubresauts dans les turbulences inquiétantes. L'avion entamait sa descente toute en douceur et le soulagement se diffusait chez les passagers quand l'appareil touchait brutalement le sol. Certains s'affairaient pour saisir leurs bagages et d'autres, fiévreux, ouvraient leur portable de peur d'avoir raté le contact téléphonique de leur vie. Un jour, une jeune femme prit place près d'elle. Elle l'avait repérée dans la fille d'attente car elle portait à l'épaule un étui de violoncelle. L'hôtesse lui prit son instrument de musique pour le déposer dans la soute à bagages. Cette jeune musicienne s'installa par miracle près de la voyageuse nostalgique. Oserait-elle lui parler ? L'anonymat reste la règle absolue. Le vol se déroulait en toute quiétude. Et la timidité l'emportait et chez l'une et chez l'autre. A dix minutes de l'arrivée, le silence fut rompu. "Je vous reconnais et je vous admire". La musicienne n'avait pas l'habitude de recevoir un tel compliment, habituée à l'indifférence des passagers. La conversation s'engagea enfin sur la carrière de la violoncelliste, ses tournées, sa vie monacale et nomade. Leur amour commun de la musique créait une complicité immédiate, chaleureuse et secrète. En se quittant, l'admiratrice demanda à l'interprète : "Quel est votre compositeur préféré ?" Sa co-passagère lui répondit :  "Bach, évidemment" .

lundi 2 mars 2015

"La gaité"

Justine Lévy offre un témoignage très vivant sur la condition de "maman", une maman moderne, émancipée et vivant dans le milieu intellectuel parisien. On connaît son lien filial avec le philosophe BHL et ses trois précédents livres traitaient de sa vie privée, de ses relations avec une mère originale et avec un père surmédiatisé. Son œuvre s'inspire de sa vie propre, et peut s'inscrire dans l'autofiction. Dans son avant-dernier ouvrage, "Rien de grave" Justine Lévy évoquait la trahison amoureuse, la perte de l'être aimé, l'échec du couple. Nous la retrouvons mariée à un super "Pablo", son compagnon de vie, un super-héros positif et hyperactif. Elle a décidé de passer du côté de la "gaité", du bonheur en donnant naissance à deux enfants, une fille et un garçon. Certains passages concernant la maternité feront sourire toute mère débordée, angoissée, vigilante. Elle écrit sa peur de  tous les événements qui pourraient nuire à ses deux petits, en particulier, les nombreuses petites maladies qui les affectent. La question que la narratrice se pose au fil du récit : suis-je une bonne mère ? Ou une mauvaise ? Car revient en filigrane le rôle de la sienne, une mère en souffrance, déprimée, et même sous l'emprise de la drogue. Ce lien mère-fille d'avant conditionne le lien mère-enfants d'aujourd'hui. Ce livre écrit dans un style alerte, léger, syncopé raconte cette histoire de "psycho-généalogie". Son vécu de petite fille entre un père instable (il change souvent de compagnes) et une mère fragile (elle vit en marge) resurgit dans sa vie d'adulte. Comment guérir de cette enfance perturbée ? Comment se créer sa propre famille sans la pesanteur du passé ? La narratrice, Louise, lutte contre sa détresse, son anxiété, et cherche sans cesse à vivre dans une certaine sérénité, un apaisement retrouvé. Ce livre attire le sourire avec la description d'une maternité idéalisée. Mais, Justine Lévy raconte aussi le combat incessant qu'elle mène contre sa dépression, son mal d'être, sa tristesse... La littérature lui apporte-elle la "gaité" espérée ? Sans doute.