jeudi 2 octobre 2014

"Un bon fils"

Pascal Bruckner, philosophe, essayiste et écrivain, livre ses confidences sur sa drôle de famille. Ce "bon fils" qu'il est, écrit cette phrase dès la première page : "Mon Dieu, je vous laisse le choix de l'accident, faites que mon père se tue." Le petit Pascal a dix ans quand il exprime ce souhait : quel père attire ainsi le désir morbide de son fils ? Un père vraiment atroce, antisémite et raciste, misogyne et pervers, Cet homme, d'origine allemande, se montre fasciné par l'ordre nazi et cette monstruosité idéologique blesse à juste titre le narrateur. Ce mari violent bat et humilie sa femme, mère du petit garçon. On ne pouvait pas soupçonner que cet intellectuel brillant, libertaire et frère jumeau d'Alain Finkielkraut, a vécu une histoire familiale aussi cruelle et aussi particulière. Ce père indigne a pourtant donné la vie à ce fils sans le modeler à son image et Pascal Bruckner écrit : "mon père m'a permis de penser mieux  en pensant contre lui. Je suis sa défaite : c'est le plus beau cadeau qu'il m'ait fait". Le narrateur relate de multiples anecdotes sur cette famille déchirée, complexe, traversée par des secousses continuelles, provoquées par ce père pervers. Dans ce récit autobiographique, le lecteur retrouve avec plaisir les vrais re(pères) de cet intellectuel : Mai 68, Roland Barthes, Jankélévitch, Sartre. A la page 144, je lis cet hommage : "Les livres m'ont sauvé. Du désespoir, de la bêtise, de la lâcheté, de l'ennui. Les grands textes nous hissent au-dessus des nous-mêmes, nous élargissent aux dimensions d'une république de l'esprit. Entrer en eux, c'est comme aborder la haute mer ou décortiquer un mécanisme d'horlogerie extrêmement sophistiqué". Son père est mort en 2012 et il n'avait changé pas d'opinion et était même fier de ses idées fascistes. Pascal Bruckner révèle sa fatigue, une fatigue morale qui attenue sa haine du père. Il n'a jamais rompu avec ce père-pitre par fidélité filiale et par pitié familiale... "Un bon fils" et un très mauvais père ! Ce récit autobiographique, écrit avec une retenue pudique, montre que l'on peut échapper à un héritage familial particulièrement lourd à porter.